Faiçal Zahraoui, le petit génie de la cuisine marocaine

Meilleur jeune talent du guide « Gault et Millau 2017 » et candidat récent de l’émission « Top Chef » du monde arabe, le cuisinier de 39 ans, arrivé là un peu par hasard, est une étoile montante de la gastronomie marocaine.

Khouloud Belkahia et Faiçal Zahraoui, à Marrakech, le 6 décembre 2021. © Naoufal Sbaoui pour JA

Publié le 4 février 2022 Lecture : 5 minutes.

« À 18 ans, je ne savais même pas faire une omelette », lance Faiçal Zahraoui, installé devant une assiette composée de six gyozas à l’enveloppe noire de jais. C’est le carbone alimentaire qui donne cet aspect, tandis qu’à l’intérieur se nichent du foie gras grillé avec une farce qui mêle poireaux, céleri rave, morceaux de Granny Smith et confiture de pommes et de coings. Le chef l’arrose d’un bouillon. On déguste. On a beau savoir faire une omelette depuis plus longtemps que lui, on n’est pas près de préparer une telle recette !

Mécanique, plomberie ou cuisine ?

Faiçal Zahraoui est une sorte d’ovni de la cuisine, un outsider. Sélectionné pour le Bocuse d’or Africa en 2012, meilleur jeune talent du Gault & Millau 2017, réclamé par Top Chef du monde arabe à trois reprises avant qu’il ne puisse y participer… À désormais 39 ans, l’homme sait concocter bien plus qu’une omelette, et il est considéré comme l’un des petits génies de la cuisine marocaine.

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« J’ai passé mon bac au Maroc. À 18 ans, comme je ne savais pas ce que je voulais faire, je suis parti en France pour un diplôme de reconnaissance des métiers appelé certificat de qualification professionnel (CQP). En un an, j’ai fait quatre stages : mécanique, plomberie, menuiserie, et finalement, restauration. J’ai beaucoup aimé ! » De retour au pays, il s’inscrit à l’école hôtelière de Mohammedia, avec le projet d’être restaurateur, côté service, « parce qu'[il] adore discuter avec les gens ». « Quand j’étais jeune, dit-il, je travaillais dans des commerces pour me faire de l’argent de poche pendant les vacances. J’étais bon vendeur, je négociais bien au marché aux puces ! »

J’ai aimé l’adrénaline, la rigueur, la discipline : tout ce que je n’étais pas ! La cuisine m’a canalisé

Lors de la première année généraliste, il rencontre la cuisine. La découverte est amère. Il rate une pâte à choux, se fait « pourrir la vie » par le professeur. Il écarte un temps l’idée de devenir restaurateur, mais termine malgré tout l’année major de promotion. Envoyé en France pour un stage avant la spécialisation, il est employé au restaurant Perard au Touquet-Paris-Plage. « Je suis très bon au bar et en service. Un jour, mon directeur me dit : « Ça sera calme cette semaine, fais ton stage obligatoire en cuisine, comme ça on n’en parle plus et tu reviens la semaine prochaine en salle. » « Je suis rentré en cuisine et plus jamais ressorti. » Lui qui confie être extrêmement maladroit, se cogne à chaque coin de table, glisse, fait valdinguer ce qu’il a sous la main, est saisi par la précision, le détail de la cuisine. « J’ai aimé l’adrénaline, la rigueur, la discipline : tout ce que je n’étais pas ! J’étais un jeune déconneur. Je faisais des bêtises… La cuisine m’a canalisé. À la fin de cette semaine, j’ai dit : je reste là. »

Après avoir bataillé avec l’école pour changer de spécialité et menacé de tout arrêter, il termine sa deuxième année avec le titre de champion du Maroc au concours des écoles hôtelières avec un plat très technique à réaliser, un faux-filet à ficeler avec des carottes et des pommes tournées.

Marché de Rabat, le point de départ

Mais à bien y réfléchir, son histoire avec la cuisine n’a pas tout à fait commencé là, rectifie-t-il. C’est de sa mère que lui vient ce goût. « Je me souviens, petit, j’adorais me rendre avec elle sur le marché de l’ancienne ville de Rabat. Elle y passait deux ou trois heures, mes frères et mes sœurs détestaient ça. Je la regardais choisir ses sardines, ses tomates, sa menthe. Aujourd’hui, je fais les mêmes gestes, je sens la pomme de terre exactement comme elle. Par contre, je détestais cuisiner. Je restais avec elle en cuisine et goûtais à tout ! Elle finissait par me virer », sourit-il.

Amateur d’associations improbables, Faiçal cuisine à l’instinct, à l’émotion : il sent, goûte et mélange

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Bien plus tard, c’est elle qui lui fera préparer sa première recette. La fameuse pâte à choux qu’il a ratée à l’école. Elle lui fait refaire à la maison, avec un four sans ventilation, seulement chauffé par le bas. Ce n’était pas approprié, mais c’est un succès. Son premier.

Ses parents recevaient beaucoup. Sa mère avait exclu l’idée d’employer une personne, préférant cuisiner seule et s’y consacrait entièrement. Elle a toujours préparé une cuisine du monde, fait découvrir à ses enfants des lasagnes ou des rôtis, en plus des spécialités marocaines, comme le fait Faiçal aujourd’hui.

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Ses parents ont eu beaucoup de mal à croire que leur jeune fils puisse être chef, alors même qu’il travaillait déjà dans de grands restaurants en France. « Chef, je n’aime pas ce mot, intervient-il. Je ne suis pas chef, c’est une question de hiérarchie, c’est un titre. Moi, je suis cuisinier. »

Bouchées doubles

Un jour, il reçoit une gifle : « Toi, tu as un bon potentiel, mais tu vas le gâcher avec tes conneries ! », lui balance un chef. Il est arrivé avec quatre heures de retard pour un événement qu’on lui a confié. « Je ne prenais pas les choses au sérieux. Je suis allé vite, on me disait que j’avais du talent, j’avais la grosse tête. » Depuis, il travaille « à 400 à l’heure » et cumule les projets. Il a ouvert l’Azalaï Urban Souk à Marrakech, un restaurant de 50 couverts dans le quartier de Gueliz, qui offre une cuisine marocaine et une cuisine du monde – notamment un couscous fumé –, avec des prix aux alentours de 150 dirhams (14 euros). Il fait aussi du conseil et organise de nombreux dîners privés.

Les gyozas de Faiçal Zahraoui proposés à la carte de son restaurant Azalai Urban Souk, à Marrakech. © Ayman Bardi

Les gyozas de Faiçal Zahraoui proposés à la carte de son restaurant Azalai Urban Souk, à Marrakech. © Ayman Bardi

Au menu ? C’est surprise ! Faiçal cuisine à l’instinct, à l’émotion. Il goûte et mélange, aime son foie gras poêlé avec de la sauce tomate marocaine, « même si c’est improbable ». Il arrose sa bavette de beurre blanc, « même si c’est pour le poisson ». Il cuisine des plats marocains en laissant place à une large part de tradition, tout en y apportant une touche créative et un dressage des assiettes précis. Parce que selon lui, la cuisine marocaine ne se limite pas aux spécialités que l’on connaît, elle est bien plus vaste. « On a des techniques fascinantes, parfois oubliées : la cuisine enterrée ou la cuisine aux cendres en font partie. Mais j’aime aussi cuisiner au charbon, fermenter mes aliments. Je fais, entre autres, mon propre kombucha. Je fermente aussi mes graines pour mes mayonnaises et fabrique mon levain. »

Sa cuisine voyage : depuis l’Asie, en passant par le Sénégal, l’Italie, et la France aussi. D’où le foie gras dans les gyozas ? Il sourit. « Le foie gras, on le fait ici ! Je l’ai préparé façon chouaya, une sorte de barbecue typique d’ici qui n’a rien à voir avec la version américaine que vous connaissez. Pour moi, aujourd’hui, vous avez goûté une recette marocaine. »

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