Omicron : « Ce n’est pas en fermant les frontières que nous viendrons à bout de la pandémie »

Face au variant Omicron, de nombreux pays ont fermé leurs frontières et les mesures ciblant les voyageurs en provenance d’Afrique australe se multiplient. Exagéré et inefficace, estime Amadou Sall, patron de l’Institut Pasteur de Dakar.

Le variant Omicron a été détecté le 24 novembre 2021 en Afrique du Sud. © Luz Garcia/ZUMA Press/ZUMA/REA

Le variant Omicron a été détecté le 24 novembre 2021 en Afrique du Sud. © Luz Garcia/ZUMA Press/ZUMA/REA

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Publié le 2 décembre 2021 Lecture : 8 minutes.

Faut-il s’inquiéter de l’apparition du nouveau variant B.1.1.529 du virus SARS-CoV-2, baptisé « Omicron » par l’OMS ? Depuis l’annonce de sa détection le 24 novembre en Afrique du Sud, c’est le branle-bas de combat. Jugée bien plus contagieuse que le variant Delta, cette nouvelle souche de Covid-19 pourrait mettre à mal les politiques sanitaires prises dans le monde depuis bientôt deux ans pour venir à bout de la pandémie. Laquelle semblait pourtant marquer le pas, il y a encore quelques semaines.

En Europe, plusieurs pays ont décidé d’isoler l’Afrique australe, notamment l’Afrique du Sud, durement touchée par la pandémie, en fermant leurs frontières et en multipliant les restrictions, alors que pointe la menace d’une cinquième vague.

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Mais que sait-on de ce nouveau variant Omicron ? L’Afrique est-elle bien outillée pour contrer sa propagation ? Et qu’en est-il de la production et de la couverture vaccinales sur le continent, alors que la ministre sénégalaise des Affaires étrangères, Aïssata Tall Sall, a annoncé le 30 novembre en clôture du forum sino-africain de Dakar que son pays produirait dès 2022 des vaccins anti-Covid avec l’aide de ses partenaires chinois ? Le Dr Amadou Sall, directeur de l’Institut Pasteur de Dakar, répond aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : L’inquiétude grandit dans le monde après la détection du nouveau variant Omicron en Afrique du Sud. Y a-t-il véritablement urgence ?

Amadou Sall : Des études sont en cours pour déterminer si ce nouveau variant se transmet plus, s’il est associé à un tableau clinique plus sévère, ou s’il pose un problème de résistance au vaccin. Comme d’autres variants précédents classifiés comme inquiétants, il contient un certain nombre de changements. Sur cette base et selon certaines hypothèses, Omicron pourrait être plus transmissible ou conduire à une forme plus sévère de Covid-19. Mais il faut laisser aux scientifiques le temps de prouver ces hypothèses.

Lorsque des restrictions sont mises en place à l’égard de certains pays et non d’autres, cela ne pas dans le sens de la transparence scientifique dont nous avons tous besoin

Plusieurs pays, notamment en Europe, ont fermé leurs frontières à l’Afrique du Sud et aux pays d’Afrique australe. N’est-ce pas excessif ?

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Je ne voudrais pas porter de jugement sur des pays qui sont souverains pour prendre leurs décisions. Mais ce n’est pas en fermant les frontières que nous réglerons le problème. L’expérience a montré qu’avant qu’un variant ne soit détecté, il s’est déjà propagé géographiquement. Les restrictions de voyage peuvent retarder son arrivée, mais elles n’empêcheront pas sa diffusion. Aujourd’hui, près d’une vingtaine de pays ont déjà signalé des cas de personnes ayant contracté le nouveau variant.

Pour éviter la propagation du virus, il est important de mieux s’organiser pour diagnostiquer les populations au plus tôt, avant qu’elles ne voyagent. Et il est absolument essentiel de privilégier la coopération entre scientifiques. Que ce soit dans le domaine du vaccin ou de la détection des variants, l’expérience a montré que plus on travaillera ensemble, mieux on arrivera contenir la pandémie.

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Les fermetures des frontières ont d’ailleurs été condamnées par Cyril Ramaphosa, le président sud-africain. Il juge ces mesures discriminatoires à l’égard des pays africains et peu favorables à la transparence scientifique. Partagez-vous son avis ?

Lorsque des restrictions sont mises en place à l’égard de certains pays et non d’autres, cela ne pas dans le sens de la transparence scientifique dont nous avons tous besoin pour contenir la pandémie. Les différents variants détectés viennent de plusieurs pays. Cela ne veut pas dire que certains pays sont des risques pour d’autres. Il y a une dynamique mondiale de collaboration scientifique dans la lutte  la lutte contre le SARS-CoV2. Il ne faut ni bannir les pays, ni encourager un certain nombre de pratiques menant à la non-transparence.

Jusqu’ici, l’Afrique a montré une forte résilience face au Covid. Elle enregistre à ce jour un peu plus de 220 000 décès, sur plus de 5 millions dans le monde. Saura-t-elle faire face au nouveau variant ?

Comme elle a su faire face aux autres variants, il y a des raisons de penser que l’Afrique saura affronter Omicron en adaptant son dispositif. Depuis le début de la pandémie, le continent a su s’organiser pour que la quasi-totalité des pays aient la capacité de diagnostiquer.

Aujourd’hui, il y a un système assez construit et solide dans plusieurs pays, organisé autour de certains hubs, pour détecter et faire du séquençage. Tout ceci avec le soutien d’acteurs, comme le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), l’OMS, et différentes institutions à travers le continent. C’est pour cela que je suis très optimiste sur le fait que l’Afrique, qui a l’expérience des épidémies, saura apporter des réponses si elle continue sur la trajectoire qui a jusqu’à présent été la sienne.

Comment se mobilise l’Institut pasteur de Dakar, qui fait office de hub régional en Afrique de l’Ouest ?

Nous avons une grande expérience en matière d’épidémies. Une semaine après le début de la pandémie au Sénégal, où le premier cas a été détecté le 2 mars 2020, l’Institut Pasteur avait déjà les moyens de séquencer le virus, en anticipant qu’il y aurait des variations. Ce travail, nous le faisons en continu pour le Sénégal. Mais nous appuyons aussi, dans ce domaine, treize autres pays d’Afrique dans le cadre du travail que nous ont confié l’OMS, l’Africa CDC et l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS).

Nous avons aussi organisé des formations au profit de plusieurs pays afin qu’ils développent les compétences nécessaires pour le séquençage et la surveillance des variants. Le but est qu’en Afrique, nous puissions détecter non seulement le nouveau variant Omicron et ceux déjà connus mais aussi les autres à venir s’il y en a.

Cette nouvelle souche du Covid-19 remet-elle en cause l’efficacité des vaccins déjà disponibles sur le marché ?

Cette question préoccupe tout le monde. Mais nous avons besoin d’encore un peu de temps pour y répondre. Jusque-là, les vaccins qui existent ont pu protéger de la sévérité du virus. Que se passera-t-il avec le nouveau variant ? Des analyses et des études sont en cours pour y répondre.

L’Afrique n’est pas indépendante sur le front de la production de vaccin. Et seulement 6 % de sa population est entièrement vaccinée. Quel est l’état des lieux aujourd’hui ?

Plusieurs projets sont en train d’être discutés en priorité avec l’Union africaine. Le Sénégal et le Rwanda portent des projets de production de vaccin. Le Maroc ou l’Égypte ont aussi des programmes. L’Afrique du Sud en produit déjà un certain nombre. Et d’autres pays sont en train de se mettre en position de le faire. On espère qu’à partir de 2022, un plus grand nombre d’acteurs pourront produire des vaccins en Afrique et pour les Africains. À l’Institut pasteur de Dakar, c’est l’objectif que nous nous sommes fixés avec le gouvernement du Sénégal, et sur lequel nous travaillons d’arrache-pied.

Il ne faut pas cristalliser le débat autour du brevet

La levée des brevets sur les vaccins jusqu’ici produits par les « Big Pharma », que réclament plusieurs pays dont l’Afrique du Sud et que soutiennent désormais les États-Unis, permettrait-elle de mieux lutter contre la pandémie en Afrique ?

J’ai, sur ce sujet, une approche pragmatique. Le brevet est un élément d’incitation majeur pour les firmes pharmaceutiques. C’est ce qui leur permet de développer des capacités de recherche pour produire de nouveaux vaccins et résoudre les problèmes de santé publique. Et, d’un autre côté, il est perçu comme un obstacle à l’accès aux vaccins pour les pays en voie de développement.

Il faut certes poser le débat, mais ne pas le cristalliser autour du brevet. À mon avis, il faudrait plutôt privilégier un partenariat de confiance entre ceux qui les détiennent et ceux qui peuvent les utiliser pour produire. Dès que nous aurons ce partenariat de confiance, où chacun est gagnant-gagnant, la question des brevets ne se posera plus en ces termes.

Concrètement, que doit prendre en compte ce partenariat de confiance ?

La levée du brevet ne permettra pas d’avoir un vaccin partout. C’est un problème parmi tant d’autres. Nous avons surtout besoin d’avoir accès aux connaissances. L’important aujourd’hui, c’est qu’un transfert de technologie se fasse entre ceux qui produisent des vaccins et les pays en Afrique qui ont les capacités et la volonté de les produire. Nous voulons un partenariat dans la durée avec les grandes firmes pharmaceutiques qui les incitent à s’intéresser au marché africain. Il faut qu’ils aient intérêt à ce que le vaccin soit produit en Afrique.

L’Afrique ne produit que 1 % de ses besoins en vaccins

Est-ce ainsi que le continent règlera la question de la souveraineté vaccinale ?

La souveraineté vaccinale en Afrique se réglera comme elle s’est réglée dans beaucoup d’endroits. Mais cette souveraineté ne peut s’établir que si un certain nombre de conditions sont réunies. Il faut d’abord avoir des producteurs dont les capacités et les compétences soient conformes aux standards internationaux. Il y en a quelques-uns en Afrique. L’Institut Pasteur de Dakar, par exemple, est le seul producteur préqualifié par l’OMS en Afrique pour le vaccin contre la fièvre jaune, ce qui lui donne la possibilité de vendre ce vaccin partout au niveau mondial. Plusieurs autres producteurs de vaccins doivent acquérir ces compétences. Pour cela, il faut un environnement réglementaire de distribution et de logistique.

Aujourd’hui, l’Afrique ne produit que 1 % de ses besoins en vaccins. Mais il y a désormais une vision qui a été clairement indiquée par l’Union africaine, à travers le Partenariat pour la production de vaccins en Afrique [lancé en avril avec l’appui de plusieurs institutions financières, dont la banque panafricaine Afreximbank, NDLR]. Ce partenariat passe en revue de façon coordonnée les problèmes liés aux financements, aux ressources humaines, à la recherche-développement, et au marché. L’ambition, c’est qu’à l’horizon 2040, le continent puisse passer de 1 % à 60 % de production locale.

Quel rôle entendent jouer l’Institut Pasteur et le Sénégal dans la couverture vaccinale en Afrique de l’Ouest ?

Le gouvernement sénégalais et l’Institut Pasteur de Dakar travaillent pour démarrer la production de vaccins dès 2022. À terme, nous ambitionnons une capacité de production de 300 millions de doses de vaccin. Ce n’est pas un projet que pour les besoins du Sénégal mais a un objectif continental.

Cette production locale se fera du début à la fin : depuis les matières premières jusqu’au produit fini. Cela permettra d’assurer notre autonomie. Dans un premier temps, la production sera tournée vers les vaccins pour lutter contre le Covid-19. C’est là où il y a urgence actuellement.

Nous avons noué des partenariats avec la firme américaine BioNTech pour faire du vaccin ARN. Dès que la pandémie sera derrière nous et que nous aurons besoin de moins de doses pour lutter contre le Covid-19, nous produirons des vaccins du programme élargi de vaccination ou d’autres vaccins pour faire face à d’autres pandémies ou épidémies.

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