Le lutteur et le libérateur

Le nouveau gouvernement issu du coup d’État est l’expression d’un compromis entre le Premier ministre Abel Goumba et le président François Bozizé.

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

«Ce n’est pas un coup d’État, c’est une révolution. » Démocrate, éternel opposant devenu Premier ministre et adversaire de toujours des pouvoirs kaki, le professeur Abel Goumba ne pouvait sans doute pas dire autre chose, même si la chute d’Ange-Félix Patassé doit beaucoup à la force des armes et bien peu à celle de la rue. Formé le 31 mars, soit une semaine à peine après le putsch du général de brigade François Bozizé, le nouveau gouvernement centrafricain est donc l’expression d’un compromis entre deux hommes, le militaire et le civil, avec comme tâche immédiate la reconstruction d’un pays au fond du gouffre et comme perspective à moyen terme une élection présidentielle qui pourrait bien les voir tous deux s’affronter. Chef de l’État autoproclamé, le général Bozizé a surpris nombre d’observateurs enclins à mettre en doute ses capacités de décision, de commandement et de manoeuvre. Parti de Bangui en octobre 2001 avec cinquante-six hommes, quelques véhicules et des moyens plus que réduits, l’ancien chef d’état-major de Patassé y est revenu dix-sept mois plus tard à la tête d’un millier de fidèles et de supplétifs tchadiens, s’emparant de la capitale en moins de deux heures. Soutenu ouvertement par Idriss Déby et plus discrètement par Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, bénéficiant de la bienveillance tacite d’Omar Bongo, cet homme taciturne et calculateur a su exploiter les faiblesses de son adversaire, déjouer les pièges de ceux qui pensaient le manipuler et convaincre de son sérieux les officiers français et autres fonctionnaires de la DGSE qu’il a rencontrés lors de son court exil parisien.

Ses premiers pas de président sont empreints de la même habileté. Surfant sur une vague de soulagement autant que de popularité, François Bozizé s’est placé sous deux protectorats très « rentables » en Centrafrique : celui – posthume – du père de l’indépendance Barthélemy Boganda, dont il se veut l’héritier, et celui des Églises, un domaine dans lequel il est particulièrement à l’aise puisqu’il a lui-même fondé, il y a quelques années, sa propre chapelle. Surtout, il a eu l’intelligence de nommer au poste de Premier ministre l’un des très rares politiciens centrafricains à la fois propre et – ceci expliquant peut-être cela – vierge de toute responsabilité gouvernementale : Abel Goumba.
Parce qu’il estime, à juste titre, ne rien leur devoir – tout en ayant besoin d’eux pour recomposer le pays -, François Bozizé a donc imposé aux « politiques » ses propres hommes au sein de l’équipe appelée à gouverner la Centrafrique. À des poste clés, bien sûr. Ainsi son propre neveu, le lieutenant Sylvain Ndoutingaï, a-t-il été nommé ministre de l’Énergie et des Mines, ce qui permettra au président de contrôler l’exploitation du diamant et l’attribution des permis de recherche pétrolière – le nerf de la guerre en somme. Quatre de ses proches, originaires de sa région, ont été placés à l’Administration du territoire, à la Défense, aux Finances-Budget et à la Coopération, avec pour tâche, en ce qui concerne ces deux derniers, de « marquer », en tant que ministres délégués, les titulaires des portefeuilles de l’Économie et des Affaires étrangères. Un « frère d’armes », le lieutenant-colonel Bondeboli, ambassadeur en Égypte sous Patassé, prend en main l’Intérieur et la Sécurité publique. Enfin, le fidèle capitaine Parfait Mbaye, ancien chef mutin de 1996 devenu porte-parole de la rébellion, se retrouve tout naturellement ministre de la Communication (et de la Réconciliation nationale). Le président Bozizé, dont la « garde rapprochée » est notamment composée de son propre fils Francis (militaire lui aussi), du mystérieux « lieutenant Demba » (un Français, blanc et originaire de Metz) et de l’inclassable Michel Gbezera Bria (qui fut directeur de cabinet de Patassé avec rang de ministre d’État), est à l’évidence un homme prévoyant.

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Le reste du gouvernement – c’est-à-dire l’essentiel, en nombre – a été laissé au libre choix des partis et au libre arbitre d’Abel Goumba. Y figurent donc des personnalités indépendantes de qualité, tels Karim Meckassoua aux Affaires étrangères (brillant, actif, proche d’Omar Bongo, de Blaise Compaoré, d’Amadou Toumani Touré, des Français et de quelques autres), Faustin Gbodou (ancien procureur au procès de Bokassa) à la Justice, ou Nestor Nali (professeur de médecine formé au Canada et ex-recteur de l’Université de Bangui) à la Santé. Y figurent aussi les représentants des principaux leaders politiques du pays. L’ancien président André Kolingba, dont on annonce le retour prochain d’Ouganda, a ainsi envoyé au gouvernement son argentier Idriss Salao (Postes et Télécommunications) et son avocat Assingambi Zarambaud (secrétaire général du gouvernement). Autre ex-président, David Dacko a dépêché son fils Bruno (Tourisme et Artisanat), alors que l’ancien Premier ministre Jean-Paul Ngoupandé a installé son bras droit Léa Doumta à la Famille et aux Affaires sociales. Abel Goumba, enfin, a placé les siens, puisés la plupart au sein de la société civile : Pierre Gbianza (Agriculture), Pockomandji Sonny, frère du leader syndicaliste Sonny Cole (Équipement et Transports), Joseph Kiticki (ancien condisciple de Patassé au lycée agricole de Clermont-Ferrand et vieux militant de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France – FEANF) à l’Environnement, etc. Un attelage aussi oecuménique qu’hétéroclite, on le voit, qui serait complet si y figuraient des membres du Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC), le parti d’Ange-Félix Patassé en exil à Lomé. Las : les deux ministres se réclamant de cette sensibilité, Denis Kossi Bella et Lazare Yagao Ngama, en ont été immédiatement exclus par le père fondateur.

« Je pense avoir une équipe composée d’hommes intègres, travailleurs, honnêtes et ayant le sens de l’État… Il ne faudrait pas qu’on nous accuse de profiter du pouvoir pour nous enrichir de manière illicite », a déclaré Abel Goumba le 2 avril, avant d’inviter tous ses ministres à déclarer leurs biens. C’est à cette aune, à n’en pas douter, que sera jugé ce vieux lutteur de 77 ans. Et à la réalisation de ce vrai miracle que François Bozizé passera du statut d’organisateur de coup d’État à celui de « Grand Libérateur du peuple centrafricain » – ainsi que l’appellent, déjà, ses plus zélés partisans.

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