La bataille d’Abidjan n’aura pas lieu !

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

La Côte d’Ivoire est, incontestablement, à la croisée des chemins. Jamais, sans doute, depuis l’échec du coup d’État du 19 septembre 2002 et le déclenchement d’une rébellion qui a conduit à des affrontements, puis à une partition de fait du pays, les chances d’un retour à la paix n’ont été aussi fortes. Depuis la fin du mois de janvier, le processus de normalisation suit son bonhomme de chemin. Après les tergiversations et les surenchères, inévitables dans ce type de situation, un Premier ministre de « consensus » – Seydou Elimane Diarra – a été nommé. Et un gouvernement de « réconciliation nationale », ouvert à tous, mis en place.
Après deux rendez-vous manqués à Yamoussoukro, les rebelles ont repris leurs places en Conseil des ministres. Jusque-là, ils invoquaient des raisons de sécurité pour se dérober. Ils exigeaient également que le président Laurent Gbagbo signe un décret de délégation de pouvoirs assurant au Premier ministre « toutes les prérogatives de l’exécutif » et rejetaient la nomination de ministres intérimaires aux portefeuilles de la Défense et de la Sécurité. Toutes ces revendications ont, semble-t-il, été (provisoirement ?) remisées au placard. Du coup, la « bataille d’Abidjan », redoutée par beaucoup, n’aura sans doute pas lieu. Et on ne peut que s’en réjouir.
Annoncé à la mi-mars, le réaménagement de la durée du couvre-feu (il court désormais de minuit à 6 heures du matin), permet de relancer certaines activités commerciales. Les célèbres maquis, les restaurants populaires, qui tournaient au ralenti depuis sept mois, retrouvent déjà un peu de leur ambiance d’antan. Les hôtels, hier désespérément vides, commencent, timidement certes, à retrouver leur clientèle. Et nombre d’immigrés français, qui avaient quitté précipitamment Abidjan au cours du premier trimestre de 2003 pour cause de violences, commencent à y retourner. Par ailleurs, à la fin avril, le trafic ferroviaire Abidjan-Ouagadougou-Abidjan devrait reprendre. Du moins, si l’on en croit Michel Roussin, membre du patronat français et président du conseil d’administration de la Sitarail, la compagnie qui gère ce réseau long de quelque 1 150 kilomètres. Ce sont là autant de signaux qui devraient contribuer à faire baisser la tension qui prévaut depuis près de sept mois en Côte d’Ivoire, et rassurer les bailleurs de fonds. Autant de facteurs favorables que Seydou Diarra tente inlassablement de rassembler pour – enfin – traduire en actes les engagements pris par les différentes parties prenantes dans la crise.
La dynamique enclenchée après les accords de Marcoussis et d’Accra montre bien que la paix mérite quelques sacrifices et des concessions qui, avec le temps, seront mis à l’actif de tous les protagonistes. C’est, en tout cas, le choix qui paraît avoir été fait par Laurent Gbagbo et ses partisans. Le chef de l’État a su habilement amener son parti, le Front populaire ivoirien, à intégrer l’idée d’un réel partage du pouvoir avec les autres forces politiques. Ce qui a été parfois pris pour un double langage n’aura été, en fin de compte, que la traduction d’efforts soutenus pour convaincre ses compagnons, pour la plupart rétifs au choix de la négociation pour sortir le pays de la tragédie.
Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI-RDA), de l’ancien président Henri Konan Bédié, et le Rassemblement des républicains (RDR), de l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, semblent également avoir pris le parti d’en finir avec la guerre civile et l’instabilité politique, récurrente depuis le coup d’État de décembre 1999. Les uns et les autres mesurent sans doute la portée de leurs actes à l’approche de l’élection présidentielle de 2005. À n’en pas douter, les rebelles eux aussi, malgré les clivages – somme toute classiques dans ce type de mouvement – qui affleurent entre « politiques » et « militaires », ont visiblement compris que les Ivoiriens avaient besoin d’autre chose que d’une reprise des hostilités.
Il reste que, malgré ce climat de détente, déjà perceptible dans la capitale économique ivoirienne, et les espoirs mis dans la politique de réconciliation nationale, la paix demeure fragile. Près de sept mois de violence ont indéniablement laissé des traces et ouvert des plaies qui mettront du temps à cicatriser. D’autant plus que certains observateurs doutent toujours de la volonté du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire et de ses deux clones (le MPIGO et le MJP) d’abandonner les sentiers de la guerre et de désarmer. Or, sans ce préalable, on ne voit guère comment le « pays d’Houphouët » pourrait recouvrer son intégrité territoriale et exercer pleinement sa souveraineté. Les adversaires d’hier doivent donc se convaincre que le salut de la Côte d’Ivoire et leur propre survie politique passent par un changement radical de comportement. Tout comme les pays voisins doivent abandonner toute velléité de peser coûte que coûte sur le destin d’un pays dont la population est, à près de 26 % (un record !), d’origine étrangère.
Laissés à eux-mêmes, les Ivoiriens retrouveront très vite les valeurs qui ont toujours fait leur force et leur charme : l’akwaba (l’« hospitalité »), la capacité d’absorption d’hommes et de cultures venus d’ailleurs, et – ce qui ne gâche rien – un humour décapant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires