Retour en enfance avec les dombrés antillais
Éloges de l’Afrique gourmande (2/6). Ces petites boules de farine ont longtemps été considérées comme un plat de pauvres aux Antilles. Aujourd’hui, on leur consacre un festival… Et pour Eva Sauphie, ce sont de merveilleuses madeleines de Proust.
Il est des plats réconfortants. Comme ceux que me concoctait ma grand-mère et qui mijotaient dans une impressionnante cocotte durant des après-midi, l’hiver. Alors haute comme trois pommes, ne pouvant atteindre la gazinière pour vérifier ce qui se tramait à l’intérieur du faitout encore fumant, je pouvais néanmoins identifier, au nez, les différents aromates qui émanaient de la cuisine : bois d’inde, muscade, clou de girofle, gingembre, bouquet garni… Un cocktail d’épices apprécié des palais antillais, caractéristique des assaisonnements de la gastronomie créole. Mais le doute quant à la nature de la tambouille ne planait jamais bien longtemps.
Les bambins italiens auraient très bien pu les confondre avec leurs gnocchis nationaux
Je savais que ma mamie, qui a vu le jour à Fort-de-France (Martinique) en 1922, avait emporté avec elle – à son arrivée en métropole, suite à la politique migratoire du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer (Bumidom), à la fin des années 1960 – la meilleure des recettes pour la petite fille de cinq ans que j’étais. Un frichti sans chichi composé de boules de farine nappées d’une sauce crémeuse aux haricots rouges. Cette recette lui avait sans doute été transmise par sa mère, qui avait elle-même dû l’hériter de sa propre mère, née avant l’abolition de l’esclavage.
Drôles de bonbons salés
Ce mets simple et rustique appelé « dombrés » en Guadeloupe – terre où il aurait d’abord vu le jour avant d’être importé sur l’île voisine – aurait en effet été préparé par les esclaves quand ils pouvaient avoir accès à la farine de froment et aux pois noirs. Le terme viendrait d’ailleurs de l’anglais « dumb braid » qui signifie littéralement « pain stupide ». Une pitance peu noble, en somme, que d’aucuns qualifient encore aujourd’hui de plat de pauvres. Pour d’autres, il s’agirait d’un dérivé du mot persan « dum », qui signifie la cuisson à feu doux, chère aux Indiens. Une population ayant migré en Guadeloupe peu après l’abolition de l’esclavage face à la pénurie de main-d’œuvre dans les plantations. En Haïti, le plat est d’ailleurs sobrement baptisé ainsi.
Traditionnellement servies avec des salaisons, c’est à dire des abats de cochon généralement boudés par les colons, ces boulettes nutritives et roboratives permettaient aux esclaves de supporter la pénibilité du travail dans les champs. Si aujourd’hui je mesure la portée symbolique et historique des dombrés, ils étaient surtout pour mes yeux et mes papilles d’enfant, ludiques et gourmands. Leur forme sphérique proche d’une balle en caoutchouc et leur mâche gluante me donnait la sensation de déguster de drôles de bonbons salés. Les bambins italiens auraient très bien pu les confondre avec leurs gnocchis nationaux. D’ailleurs, certains puisent l’origine de cette pâte dans les « knepfle » importés dans les Caraïbes françaises par les juifs hollandais, alors chassés du Brésil par l’inquisition portugaise. Un brassage culturel qui fait toute la créolité du plat.
Les dombrés s’apprécient à toutes les sauces
Longtemps considéré comme le parent pauvre de la gastronomie créole, les dombrés retrouvent enfin leurs lettres de noblesse. Aujourd’hui, ces perles pâteuses sont également mitonnées avec des gambas, du colombo de cabris, des burgots, version rougaille ou papaye pour les becs sucrés ! Les dombrés s’apprécient à toutes les sauces. En témoigne la création en 2017 du festival Dombré an tout sòs dans la commune du Moule en Guadeloupe, qui propose de découvrir une quarantaine de recettes chaque année. L’occasion pour beaucoup d’honorer la mémoire des ancêtres. Et pour moi, en toutes occasions, celle de ma grand-mère aujourd’hui disparue.
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