De Beyrouth à Bagdad

Par sa justification, l’opération « Liberté en Irak » n’est pas sans rappeler son pendant israélien de triste mémoire « Paix en Galilée ».

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Il ne faut pas croire aux bégaiements de l’Histoire. Mais, à défaut de se répéter, celle-ci présente parfois des analogies surprenantes. Aujourd’hui, le siège de Bagdad rappelle le martyre de Beyrouth en 1982. Déjà, la notion de guerre préventive inventée par l’administration Bush n’est pas sans rapport avec l’attitude adoptée alors par Tel-Aviv. Cette année-là, pour la première fois depuis sa création, Israël attaque un pays arabe sans que son existence ait été mise en danger. Comme Bush en Irak, le Premier ministre Menahem Begin décide une guerre politique obéissant à des motivations sans grand rapport avec la réalité.
Officiellement, en envahissant le Sud-Liban en juin 1982, le gouvernement israélien répond à un attentat contre l’ambassadeur d’Israël à Londres revendiqué par le Palestinien Abou Nidal. C’est évidemment un prétexte. Vis-à-vis des démocraties occidentales, Begin et le général chargé de l’intervention, Ariel Sharon, usent d’un vieil argument : la nécessité de se défendre face au terrorisme. Washington, bien sûr, donne son feu vert. Dès le 4 juin, l’aviation israélienne bombarde Beyrouth, et, le 6, commence l’opération « Paix en Galilée » : le Liban est envahi et, six jours plus tard, sa capitale est cernée. C’est que les combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), battus dans le Sud-Liban, se sont réfugiés à Beyrouth-Ouest. Avec leurs alliés libanais, ils sont désormais les seuls à résister puisqu’un cessez-le-feu a été conclu le 11 juin avec la Syrie.
Le siège va durer trois mois. Il sera effroyable. Dès le 13 juin, Beyrouth est bloqué et sera totalement encerclé le 3 juillet. Les 500 000 habitants de Beyrouth-Ouest sont pris au piège. Ni la nourriture ni le carburant ne peuvent franchir le cordon israélien. Privée d’eau et d’électricité à maintes reprises, la ville redoute les épidémies. Pendant plus d’un mois, les bombardements ne cessent pas. Ils viennent de partout, de la terre, de la mer et des airs. Ils peuvent être de quatre-vingts en une seule journée. À tout moment, des vagues de Phantom et de F-16 à l’étoile de David survolent la cité. À la suite de leurs raids confirmés par le sifflement des roquettes, des incendies éclatent régulièrement. D’autant que des bombes au phosphore ou à fragmentation sont utilisées. Des quartiers entiers sont littéralement concassés par les obus et, dans la fierté de Beyrouth, la forêt des Pins, criblée d’éclats, de nombreux arbres sont sectionnés, déracinés. Même les journaux occidentaux les plus favorables à Israël ne peuvent nier l’horreur absolue du blocus. Les trêves négociées sont éphémères. Et Begin ne cache pas sa détermination : « Israël, dit-il, a le droit de détruire Beyrouth, même s’il tue dix Libanais et cinq civils palestiniens pour chaque soldat israélien. »
Pourtant, dans ce climat de peur permanente, la population s’est toujours refusée à abandonner Beyrouth-Ouest. Elle ne cédera jamais à la panique, elle restera toujours unie. Elle a à coeur de mener une vie « normale » malgré les bombardements incessants. Il n’est pas rare que les rues se remplissent aussitôt après un raid et que les commerçants rouvrent immédiatement leurs boutiques. Cette attitude courageuse et digne lui coûtera cher : 80 % des victimes du siège seront des civils. Plusieurs bilans de ce drame ont été établis. Pour ne retenir que le plus « modeste », si l’on ose dire, d’entre eux, celui de l’Unicef fait état de 6 775 tués et 29 912 blessés. Sur ces 36 687 victimes, 11 840 étaient âgées de moins de 15 ans. Encore ne s’agit-il que de statistiques portant sur Beyrouth-Ouest, sur la période du 4 juin au 15 août 1982, c’est-à-dire avant que les armées d’Israël n’entrent dans la ville et avant les massacres de septembre.
Cette tragédie s’est toujours accompagnée de mensonges politiques. Pendant des semaines, les Israéliens, tant les dirigeants que les responsables de l’opposition, ont juré qu’ils n’avaient pas l’intention de prendre la ville. En même temps, leur aviation lançait des centaines de milliers de tracts sur la cité annonçant leur volonté de s’en emparer.
Pourtant, le 24 août, Begin assure encore qu’il n’entrera pas dans Beyrouth. Sans doute cherche-t-il alors un nouveau prétexte. Car, en dépit de résolutions avortées à l’ONU, de cessez-le-feu vite mis en cause et de promesses non tenues, la diplomatie tente de s’imposer. Un plan, le plan Habib, du nom de l’émissaire américain Philipp Habib, laborieusement élaboré, prévoit l’évacuation des combattants palestiniens. Eux qui avaient accepté d’abandonner la ville dès les premiers jours d’août devront attendre le 21 pour commencer leur départ. Jusqu’au 3 septembre, quelque 11 000 combattants palestiniens et 2 700 soldats syriens quittent Beyrouth, y compris Yasser Arafat.
Au lendemain de son départ, le 23 août, l’élection présidentielle libanaise a lieu. Elle porte au pouvoir le chrétien Béchir Gemayel. Il a 34 ans, il est l’élu de Beyrouth-Est, la zone des chrétiens épargnée par la guerre. Israël se réjouit de ce choix. Pourtant, l’homme se révèle moins docile que certains l’espéraient. Est-ce pour cette raison qu’il est assassiné le 14 septembre ? Toujours est-il que voilà un nouveau prétexte pour Israël. Dès le lendemain, son armée entre dans la ville pour éviter, dit-il, un « bain de sang ». Le 16, elle prend le contrôle absolu de Beyrouth-Ouest. Une autre tragédie commence aussitôt : les massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et de Chatila. Beyrouth n’en finit plus d’agoniser.

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