Début du génocide rwandais

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Combien de temps a-t-il fallu pour que la nouvelle de l’attentat contre le président (hutu) Juvénal Habyarimana parvienne en ville ? Quelques minutes, le temps qu’Enoch Ruhigira, le directeur de cabinet, bondisse sur le téléphone. Venu tranquillement à l’aéroport pour accueillir son patron, de retour d’une conférence des chefs d’État des Grands Lacs à Dar es-Salaam (Tanzanie), Ruhigira voit le Falcon 50 s’aligner au-dessus de la piste et amorcer son atterrissage. Tout va bien. Soudain, deux traits de lumière jaillissent et deux explosions formidables déchirent la nuit. L’appareil s’abat. Il est 20 h 30, ce 6 avril 1994.
Les spécialistes s’accordent à dire que les deux missiles sol-air qui ont touché l’appareil ont été tirés depuis un lieu appelé « La Ferme », près de la route qui relie la colline de Masaka à Kigali, dans le quartier de Kanombe, où habitent de nombreux membres, civils et militaires, de l’entourage du chef de l’État. Parmi les victimes, le général Deogratias Nsabimana, chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), le major Thaddée Bagaragaza et le chef de la Garde présidentielle, le colonel Élie Sagatwa. Mais aussi trois invités de dernière minute dont l’avion est en panne : le président burundais Cyprien Ntaryamira et deux de ses ministres.
À Kigali, c’est l’effervescence immédiate. Des barrages sont érigés, des coups de feu claquent. Sont-ce les premiers règlements de comptes ? L’élimination de témoins gênants ? La plus grande confusion règne, cette nuit-là, dans la capitale. L’ambassadeur de France, Jean-Michel Marlaud, reçoit même un appel téléphonique d’un membre de la famille Habyarimana qui croit la résidence française attaquée.
Dès le lendemain, à l’aurore, la Garde présidentielle achève d’investir les rues. À ses côtés, les Interahamwes, « ceux qui se mettent ensemble pour travailler », c’est-à-dire des civils regroupés en milices. Le torse peint au kaolin à la façon des anciens guerriers, ils vont semer la terreur et bientôt la mort. Dans les quartiers chic, les maisons particulières sont pillées et saccagées, quiconque ose résister est tué sur-le-champ. Les victimes s’additionnent. Ce jour-là, Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre, est tuée près du palais présidentiel, dix Casques bleus belges de la Mission des Nations unies d’assistance au Rwanda (Minuar), qui tentaient de la protéger, sont arrêtés et tués.
Les exécutions se multiplient, en ville puis dans les collines. C’est le début du pire massacre commis sur le continent africain, un génocide à l’encontre du peuple tutsi, qui touchera également ceux que l’on a appelés les « Hutus modérés », autrement dit tous ceux qui n’étaient pas partisans de cette « solution finale ». Il y aura, en cent jours, entre 800 000 et 1 million de morts.
Plusieurs thèses s’affrontent quant à l’identité du ou des auteur(s) de l’attentat. Est-ce le Front patriotique rwandais (FPR), ancien mouvement rebelle devenu opposition, conduit par Paul Kagamé, nouvellement autorisé à Kigali depuis la signature des accords de paix en août 1993 à Arusha ? N’étaient-ce pas plutôt les extrémistes hutus de la Garde présidentielle, irrités par la mise à l’écart de plusieurs de leurs officiers, sur fond de transition ouvrant la vie politique rwandaise à la minorité tutsie ? Enfin, n’est-ce pas plutôt, comme d’autres observateurs l’ont dit, l’oeuvre de militaires ou de mercenaires français agissant pour le compte de commanditaires belges, ou même zaïrois ? Aujourd’hui, ni les chercheurs, ni le juge antiterroriste français Jean-Louis Bruguière, chargé de l’enquête – parce que les trois membres de l’équipage étaient français – ne sont parvenus à la vérité.
Mais quoi qu’il en soit, ce carnage aussi a été rendu possible par le climat politique délétère qui régnait alors au Rwanda. La bipolarisation ethnique – Hutus/Tutsis – de la société a été instrumentalisée avec une redoutable efficacité par les extrémistes des deux camps. Plusieurs fois, dans l’histoire contemporaine du pays, des massacres à caractère ethnique avaient été commis, suivis d’émigrations en masse vers les pays limitrophes. Mais jamais il n’y avait eu une telle préméditation, une planification froide et raisonnée par des théoriciens convaincus, de l’élimination de tout un peuple. L’attentat contre l’avion du président, le 6 avril 1994, a déclenché le génocide, mais celui-ci était programmé depuis longtemps.

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