Sexisme, menaces, agressions… La dure vie politique des députés africaines

Sur le continent, de plus en plus de femmes parviennent à se faire une place sur la scène politique. Mais elles y sont la cible de nombreuses discriminations et même de violences.

Manifestation contre les violences faites aux femmes à Johannesburg, en septembre 2019 © REUTERS/Marius Bosch

Manifestation contre les violences faites aux femmes à Johannesburg, en septembre 2019 © REUTERS/Marius Bosch

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Publié le 5 décembre 2021 Lecture : 9 minutes.

« Au moment de l’attribution des postes de responsabilité à l’Assemblée, témoigne une élue, un collègue de mon parti m’a bousculée et a menacé de me frapper. » « On a essayé de m’enlever, des coups de feu ont visé ma voiture. Il y a eu un mort », affirme une candidate à propos de sa campagne électorale. D’autres encore évoquent des menaces via les réseaux sociaux – « On m’a menacée en disant qu’on avait une sextape de moi » – ou par des biais plus traditionnels – « J’ai reçu un message d’un marabout à qui l’on avait demandé de m’éliminer ».

Scènes de violence ordinaire d’une vie politique africaine trop souvent marquée par la brutalité ? Possible. Mais ce qui ressort des témoignages, c’est aussi que les agressions, qu’elles soient physiques ou verbales, directes ou plus insidieuses, touchent particulièrement les femmes engagées dans la vie politique.

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« Au lit et à la cuisine »

« Pendant longtemps, les hommes du parti ont essayé d’imposer le fait qu’une femme doive coucher avec eux pour pouvoir être candidate », résume l’une d’elles. « J’ai été attaquée à mon domicile. Je suis allée voir un officier de police. Il m’a promis son aide en échange de faveurs sexuelles », poursuit une deuxième tandis qu’une autre indique que « [son] mari est devenu violent et [elle] a commencé à [la] frapper lorsque [elle a] été élue à l’Assemblée. »

Mon adversaire me traite de prostituée, il raconte que je couche avec n’importe qui

« On m’attaque parce que je suis célibataire, mon adversaire me traite de prostituée, il raconte que je couche avec n’importe qui », renchérit une autre élue, alors qu’une collègue résume le discours tenu par nombre de ses voisins de banc à l’Assemblée : « Vous les femmes, votre place est au lit et à la cuisine. »

En matière de représentation politique des femmes, l’Afrique n’est pourtant pas la plus mal lotie. Le pourcentage d’élues siégeant dans les parlements du continent est passé, depuis le début du siècle, d’un peu moins de 10 % à plus de 20 %, grâce parfois à des lois introduisant des quotas obligatoires. L’exemple le plus connu reste le Rwanda, où plus de 60 % des députés sont des femmes, mais quelques autres pays approchent progressivement de la parité et on recense aussi des présidentes de parlements, des ministres en nombre croissant et occupant de plus en plus de postes régaliens ainsi que des dirigeantes de gouvernement.

C’est un progrès, mais est-ce assez ? L’accession équitable de personnes des deux sexes aux fonctions politiques règle-t-elle l’ensemble des problèmes, compense-t-elle toutes les discriminations que les femmes peuvent encore subir ?

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Violences physiques et économiques

Pas si l’on en croit l’étude publiée récemment par l’Union interparlementaire (UIP), institution basée en Suisse et qui réunit des représentant de 179 parlements nationaux. De juin 2020 à juin 2021, elle a interrogé, avec l’appui de l’Union parlementaire africaine, 137 femmes siégeant dans les parlements de 50 pays africains et 87 y travaillant comme fonctionnaires, afin de dresser un état des lieux des formes de discrimination qu’elles rencontrent dans leur activité, d’en mesurer la fréquence et d’élaborer des solutions.

Cela va des propos sexistes jusqu’à des affaires de harcèlement et de viol, des menaces de mort

La palette des problèmes rencontrés est large, explique Martin Chungong, le secrétaire général de l’UIP : « Cela va commencer par des propos sexistes relativement anodins que la plupart des hommes vont juger tout à fait normaux, mais ça va aussi jusqu’à des affaires de harcèlement et de viol. Des menaces de mort. » Quant à la proportion de femmes se disant victime de telles pratiques, elle n’a rien d’anecdotique : 80 % assurent avoir subi des violences psychologiques, 67 % des remarques ou comportements sexistes, 46 % ont été victimes d’attaques en ligne.

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42 % ont en outre fait l’objet de menaces de mort, de viol, ou d’enlèvement les visant elles-mêmes ou leurs proches. 39 % évoquent intimidations ou harcèlement. Enfin, 39 % affirment avoir subi des violences sexuelles, 23 % des violences physiques et 29 % des violences économiques, c’est-à-dire des pressions les empêchant d’exercer leur mandat ou de mener leur campagne en les privant d’aides financières auxquelles elles avaient droit.

Des formes de violences très variées, qui s’exercent à n’importe quel moment de la vie politique des élues interrogées, et en n’importe quel lieu. « Les agressions peuvent venir des membres du parlement, survenir lors des meetings, quand les femmes viennent d’être élues… », égrène Nkhensani Kate Bilankulu, députée sud-africaine issue des rangs de l’ANC, qui dirige le Multi-Party Women’s Caucus, au Cap.

Un problème mondial

« Dans les réunions ou dans l’hémicycle, on a en théorie le même temps de parole que les hommes. Mais si on ne se lève pas pour demander la parole, personne ne nous la donne, complète la députée béninoise Mariama Baba Moussa Soumanou. Parfois aussi, les journalistes se retirent avant qu’on parle. Pendant la campagne, l’équipe d’un candidat est venue au dernier moment tenir une réunion exactement à l’endroit où mes partisans avaient préparé un meeting. On a préféré aller ailleurs… Les hommes ne tolèrent pas qu’on soit en concurrence avec eux. »

À discuter avec les femmes élues, d’un bout à l’autre du continent, on se fait vite l’image d’une vie politique africaine particulièrement violente, d’une corporation excessivement misogyne où rôdent machos décomplexés et prédateurs sexuels à l’affût. Erreur d’analyse, corrigent les témoins interrogés : l’UIP a mené le même type d’enquêtes au niveau mondial, puis européen, en 2016 et 2018, posant les mêmes questions aux élues et obtenant des résultats extrêmement comparables. Les parlementaires européennes sont même plus nombreuses que leurs consœurs africaines à se dire victimes de violences psychologiques (85 %) et 25 % d’entre elles évoquent des violences physiques.

La patronne des députées sud-africaines ne se dit « pas surprise » par la similarité des chiffres observés d’un continent à l’autre : « Nos sœurs ont des problèmes dans le monde entier. D’ailleurs, je pense que les chiffres réels sont encore plus élevés car beaucoup n’osent pas se signaler. » Le sujet des violences que subissent les femmes engagées en politique a d’ailleurs fait l’objet, en 2018, d’une étude de la Rapporteuse spéciale des Nations unies en charge de ces questions, l’universitaire croate Dubravka Šimonović.

« En Afrique les femmes sont victimes de discrimination dans la société en général. Elles n’ont pas le droit de prendre la parole en public, surtout devant des hommes, souligne  Oumo Sanogo, membre du parlement malien. Mais les chiffres sont presque les mêmes partout dans le monde donc ce n’est pas qu’une question de culture locale. »

39 % de victimes de violences sexuelles

« Dans l’ensemble, les niveaux sont les mêmes, confirme Martin Chungong. La principale spécificité africaine, c’est l’ampleur des violences physiques – 40 % des femmes interrogées en ont été victimes, contre 17 % en Europe – mais je pense que c’est lié au fait que plusieurs pays sont en situation de crise, de conflit… Vous retrouvez alors au parlement des représentants de groupes qui étaient en conflit sur le terrain et ces oppositions se transportent dans l’hémicycle. Sans compter les raisons religieuses, culturelles… »

Beaucoup disent : les femmes, il faut qu’on les voit mais qu’elles ne s’expriment pas

Selon les femmes ayant témoigné, les violences sexuelles sont sensiblement plus fréquentes en Afrique (39 %) qu’en Europe (25 %) et au dessus de la moyenne mondiale (22 %). Martin Chungong tente prudemment d’analyser le phénomène : « Souvent, et sans vouloir sombrer dans le cliché ou être condescendant, les hommes africains veulent renvoyer une image de force et ça doit se traduire à tous les niveaux. Tous les moyens sont bons. Beaucoup disent : les femmes, il faut qu’on les voit mais qu’elles ne s’expriment pas. »

Le sujet est d’autant plus délicat que beaucoup de victimes d’agression sexuelle préfèrent ne pas se manifester. La honte, comme souvent, les pousse à rester muettes, confirme la Béninoise Mariama Baba Moussa Soumanou : « Quand une femme dit qu’un homme l’a attaquée, on va lui dire qu’elle l’a provoqué. Quant à parler de viol… c’est très difficile, socialement. Une femme qui dit “on m’a violée” peut en pâtir toute sa vie. » Le problème est même décuplé dans le milieu politique, où une femme qui déclare avoir été agressée va souvent se voir répondre que « de toute façon », elle est arrivée au poste qu’elle occupe en jouant de ses charmes voire, plus crûment, en couchant avec le chef de son parti…

« Elle n’a pas le niveau »

À ce préjugé vient fréquemment s’en ajouter un autre, présent chez beaucoup d’hommes mais aussi chez certaines femmes : celui d’être illégitime, de ne pas posséder les compétences requises pour occuper des fonctions politiques et, donc, de « voler » les postes aux hommes, qui à l’inverse sont a priori supposés compétents et « naturellement supérieurs ».

« Ce sont des choses qu’on entend lors de réunions et qui nous visent mais sans avoir l’air de nous être destinées directement : “vous n’avez pas le niveau”, “vous réagissez avec vos émotions”…, confirme Mariama Baba Moussa Soumanou. La question du niveau intellectuel revient toujours quand il faut nommer une femme à un poste, mais jamais à propos des hommes ! Quand il y a des postes à pourvoir aussi c’est difficile, il y a lutte pour le pouvoir et pour beaucoup, la lutte c’est pour les hommes. Intellectuellement, on est pourtant aussi bien pourvues qu’eux, mais ces arguments reviennent toujours et créent un malaise. La politique reste considérée comme un milieu d’hommes. On entend : elle n’a pas le niveau, ou c’est une femme légère… »

Certaines disent “on va se battre”, mais c’est une minorité. La plupart trouvent ça invivable

« Les femmes sont aussi considérées comme insuffisamment productives, ajoute Oumo Sanogo. Si leur enfant tombe malade elles ne vont pas travailler, même chose si elles tombent enceintes… » « Tout ça est fait avant tout pour les décourager, soupire le secrétaire général de l’UIP. Certaines disent “on va se battre”, mais c’est une minorité. La plupart trouvent ça invivable. »

Les attaques sont souvent encore plus marquées lorsque les élues sont célibataires ou veuves, défenseuses des droits des minorités, membres de l’opposition, ce qui amène l’UIP à évoquer des « discriminations croisées » rendant le quotidien de certaines représentantes parfois insupportable. La question de l’incompétence supposée des femmes est d’ailleurs instrumentalisée à tous les niveaux, souligne Martin Chungong : « Parfois nous interpellons les autorités de certains pays sur le manque de parité et on nous répond : “qu’est-ce qu’on peut faire, il y a trop peu de femmes à qui on peut confier des responsabilités ?” »

Quotas et lieux d’écoute

Le plus triste, témoignent certaines élues, c’est que les agressions viennent souvent de collègues parlementaires que les victimes côtoient au quotidien (dans 49 % des cas), et même de camarades du même mouvement politique (41 %). « On a pourtant milité ensemble, mené les mêmes campagnes, on est tous là par la volonté du peuple », souligne avec amertume Oumo Sanogo.

La Tunisie, la Sierra Leone, l’Ouganda, le Burkina Faso, le Rwanda, l’Afrique du Sud et la Zambie s’attaquent au problème

Une part croissante des hommes occupant des fonctions politiques semble toutefois avoir identifié le problème et, dans plusieurs pays, la législation évolue, des mesures sont prises. Réservation d’une proportion de sièges ou de circonscriptions aux femmes, lutte plus active contre les discriminations ou les actes et propos sexistes, mise en place d’instances permettant aux victimes d’être entendues, parfois de façon anonyme… La situation évolue. La Tunisie, la Sierra Leone, l’Ouganda, le Burkina Faso, le Rwanda, l’Afrique du Sud et la Zambie ont ainsi choisi de s’attaquer au problème et adopté des règles protégeant mieux les femmes victimes de violences sexistes, qu’elles soient ou non des responsables politiques.

Pour Oumo Sanogo, la création de lieux permettant de déposer plainte est sans doute la première priorité mais il y en a d’autres : « Il faut des lieux d’écoute. Les quotas sont aussi une bonne chose : au Mali, les femmes sont plus nombreuses que les hommes donc il faut les encourager à intégrer les instances de décision. Après tout, ce sont elles qui subissent les conséquences des décisions que les hommes prennent à leur place ! »

Mais le problème des violences et du harcèlement que subissent les femmes politiques du continent ne se résoudra qu’avec une évolution des mentalités. Chantier long et ambitieux, conclut la Sud-Africaine Nkhensani Kate Bilankulu : « Il faut éduquer les gens, ça prendra du temps. Il faut expliquer l’impact négatif que ces violences ont sur nos enfants, sur nos sociétés, sur nos pays… Dans beaucoup de familles, les enfants grandissent dans une atmosphère de domination des hommes qui peut être abusive, brutale… Ce sera difficile de changer ça. Et ce sera long. Mais c’est impératif. »

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