Huile d’olive : Hakim Alilèche porte haut les couleurs de l’Algérie
Installé dans la région de Djelfa au mitan des années 2000, l’homme a su mettre en valeur des terres parfois ingrates en y plantant ses oliviers. Aujourd’hui, son huile traverse les océans. Reportage.
Se promenant entre les rangées de magnifiques oliviers aux branches courbées sous le poids de leurs fruits, Hakim Alilèche est visiblement fier de faire visiter ses oliveraies. « Voilà le résultat de seize ans d’efforts. Quand je suis arrivé ici, le terrain était nu et rocailleux. C’était comme ça », dit-il en montrant du doigt les terrains désertiques qui jouxtent son exploitation.
Un jour de l’année 2005, cet imprimeur d’art graphique installé à Alger est venu en touriste avec quelques amis dans ces régions steppiques au nord de Djelfa, à 270 kilomètres au sud d’Alger. Fief de l’agropastoralisme, la région est réputée pour la qualité de ses moutons dont la viande, très consommée dans la région, est délicatement parfumée à l’armoise.
Notre homme tombe aussitôt amoureux de ces terres en apparence stériles et décide de s’y installer. Hakim est né aux Ouadhias, en Kabylie, où cet arbre aux mille vertus, symbole de résistance et de longévité, est pratiquement vénéré. « Je suis né et j’ai grandi au milieu des oliviers. L’huile d’olive coule dans nos veines de père en fils », dit-il.
« Je les laisse souffrir »
Hakim décide aussitôt d’acheter des terres pour les mettre en valeur. « J’ai commencé par faire le défoncement croisé pour enlever toutes les pierres et j’ai évacué plus de 1 200 bennes de ces champs », se rappelle-t-il. Des pierres qui serviront principalement à élever des murets de protection autour des oliveraies.
La terre assainie, Hakim plante ses premiers oliviers, de jeunes plants qu’il va entourer de tous les soins pour leur permettre de résister aux vents de sable brûlants et aux étés torrides.
Sur ces terres jadis nues et brûlées par le soleil, un écosystème s’est petit à petit créé
« Aujourd’hui, j’en suis à 16 000 oliviers, et chaque année, j’en plante encore », dit-il avec cet enthousiasme qui le quitte rarement. Les quatre premières années, les oliviers sont quasiment livrés à eux-mêmes. « Je leur donne juste un petit peu d’eau pour les maintenir en vie. Je les laisse souffrir pour s’adapter et créer leur propre immunité », détaille-t-il.
En écologiste convaincu, Hakim met un point d’honneur à fabriquer un produit 100 % naturel. C’est une exploitation biologique, sans aucun intrant. Les arbres ne sont jamais traités chimiquement. « On laisse les insectes et les petits organismes souterrains comme les vers de terre faire leur merveilleux travail. On laisse simplement la nature faire les choses comme elle sait bien les faire », sourit l’oléiculteur moulinier. Qui vient d’entamer les démarches auprès d’un organisme allemand pour obtenir la certification AB, agriculture biologique.
Les olives sont cueillies à la main. « Mon credo ? Du champ directement au moulin », s’enorgueillit Hakim Alilèche. Une fois cueillies, les olives prennent le chemin du moulin installé au milieu même de l’exploitation. Hakim a acquis une huilerie de première pression à froid afin d’obtenir de l’huile vierge extra. « C’est un pur jus d’olive qui en sort. Stockées dans des cuves en inox avant la mise en bouteille, l’huile garde tous ses arômes et ses valeurs nutritives », précise-t-il.
Olive sur le gâteau, le travail de l’homme a permis le miracle de la vie. Sur ces terres jadis nues et brûlées par le soleil, un écosystème s’est petit à petit créé. De plus en plus d’espèces sont venues s’installer dans ces accueillantes oliveraies où il y a à boire et à picorer.
« Nous avons des renards, des sangliers, des chacals, des lièvres, des tortues, des hérissons, toutes sortes d’oiseaux et un tas de petites bêtes et bestioles qui vivent ici à longueur d’année », raconte Hakim, qui a dû investir dans un canon effaroucheur pour éloigner les nuées d’étourneaux attirés par les délicieuses olives gorgées d’huile.
Les efforts ont payé. Son huile, dénommée « Dahbia » (« La dorée »), a obtenu des prix à Dubaï et à Londres. À la dernière édition du célèbre concours Japan Olive Oil Price (JOOP), en mai 2021, l’huile de Hakim Alilèche a décroché la médaille d’argent. C’est « Baghlia » de Hamid Kiared qui a remporté l’or.
Hakim, qui produit en moyenne 20 000 litres par an, croule aujourd’hui sous les commandes. « Nous avons des demandes qui arrivent du monde entier, mais il nous reste à trouver des représentants sérieux, car nous ne sommes pas encore en mesure de produire, commercialiser et exporter en même temps », précise-t-il.
À la traîne
Comme Hakim, ils sont des centaines d’agriculteurs et d’entrepreneurs à se lancer dans l’oléiculture dans la région de Djelfa et Aïn Oussara, qui est en passe de devenir un bassin oléicole d’importance. Le même engouement est constaté à Biskra, Oued Souf, Tiaret, Msila, Ghardaïa, Laghouat.
Avec le programme actuel de plantation en cours de réalisation, l’objectif est d’arriver à 900 000 hectares à l’horizon 2024
La steppe et les hauts plateaux, cette immense bande qui borde l’Atlas tellien au Nord et l’Atlas saharien au Sud, parcourent le pays de la frontière marocaine à la frontière tunisienne à une altitude moyenne de 1 000 mètres. Le climat particulier de cette bande et ses ressources hydriques souterraines en font un nouvel eldorado.
En Algérie, comme dans le Maghreb, l’huile d’olive est connue et appréciée depuis la plus haute antiquité. Ibn Battuta (1304-1368), le grand explorateur et voyageur d’origine berbère, disait qu’on pouvait traverser l’Afrique du Nord, de la Libye au Maroc, à l’ombre des oliviers. Seulement, en matière d’oléiculture, l’Algérie est aujourd’hui à la traîne comparée à ses voisins tunisien et marocain.
Mais des efforts colossaux ont été consentis ces dernières années. La surface consacrée à l’oléiculture en Algérie est actuellement de 500 000 hectares, soit 70 millions d’arbres. Selon Mhamed Belaasla, le président du Conseil national interprofessionnel de la filière oléicole, avec le programme actuel de plantation en cours de réalisation, l’objectif est d’arriver à 900 000 hectares à l’horizon 2024.
Même en Kabylie, bastion traditionnel de l’olivier, on tente de moderniser les outils de production. Seddik Zouaghi en est un parfait exemple. Après 31 ans de service dans le secteur bancaire, ce jeune retraité de 54 ans s’est reconverti dans l’huile d’olive en reprenant la vieille ferme familiale, acquise en 1898.
C’est en 1880 que sa famille a quitté la haute Kabylie pour la basse Kabylie et les plaines fertiles d’El Kseur, petite ville coloniale située dans la vallée de la Soummam. « Nous avons toujours baigné dans la culture de l’olivier et c’est tout naturellement que je me suis reconverti dans l’oléiculture », dit-il.
Ambitions internationales
Seddik commence par revaloriser les vieux oliviers auxquels il redonne une nouvelle jeunesse et en plante 1 500 autres. Son objectif est tout tracé. Il veut un produit de très bonne qualité mais pour ce faire, il faut être indépendant et contrôler son produit à chaque étape de fabrication, du fruit sur l’arbre jusqu’au jus dans la bouteille. À cet effet, il acquiert une petite unité de trituration des olives d’une capacité de 5 quintaux l’heure.
Son secret pour avoir une huile d’olive de qualité ? Cueillir les fruits délicatement au moment où les olives sont tournantes, quand elles commencent à peine à mûrir. Ensuite, sans attendre, il faut les apporter au moulin. « Ainsi, l’huile extra vierge obtenue est de très haute qualité. Sa grande richesse, ce sont les polyphénols, les meilleurs antioxydants naturels », explique Seddik.
Ce qui nous manque c’est l’accompagnement de l’État pour se faire connaître à l’international
Dénommé le Sainfoin, du nom de la plante qui pousse naturellement dans ses champs, son produit a déjà décroché une médaille d’or au prestigieux concours de l’Agence pour la valorisation des produits agricoles de Paris, en mai 2021. Son objectif est d’être primé au Conseil oléicole international de Mario Salinas, le plus prestigieux des concours des huiles vierge extra. Pour y parvenir, Seddik compte sur la variété locale et endémique dénommée « Taqesrit », réputée d’excellente qualité.
Cette année, Seddik espère doubler les 3 000 litres obtenus l’année dernière. « Nous avons pu exporter vers la France des quantités certes minimes mais c’est un premier pas. Notre potentiel est immense et la demande sur une huile de qualité est très forte. Ce qui nous manque c’est l’accompagnement de l’État pour se faire connaître à l’international dans les salons et foires, et arriver à exporter », explique-t-il.
Au Nord comme au Sud, en Kabylie comme dans les hauts plateaux, le potentiel reste immense. Les ressources, aussi bien humaines que naturelles, existent et ne demandent qu’à être valorisées. Des hommes comme Hakim et Seddik, passionnés par leur métier, sont légion. Maintenant que le monde a découvert les vertus miraculeuses de l’huile d’olive, l’Algérie, qui possède 35 variétés locales d’oliviers dûment homologuées, pourrait très bien en faire son nouveau pétrole.
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