Bamako aux deux visages

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

En ces jours de mars, un soleil de plomb darde ses rayons sur Bamako, la métropole malienne noyée dans une poussière rougeâtre que charrie un vent chaud. Des colonnes de fumée noire sont crachées par les guimbardes d’occasion importées d’Europe, mais aussi par les nombreuses motos, moyen de transport usuel de la majorité des Bamakois. De l’aéroport, un chauffeur de taxi m’embarque à bord d’une vieille voiture pour me déposer dans un hôtel du centre-ville. Ma surprise est grande de voir que, cinq ans après mon dernier séjour, énormément de choses ont changé. Élu président en 1992 et réélu en 1997, Alpha Oumar Konaré a quitté le pouvoir en 2002. Le pays porte des marques indélébiles de son passage aux affaires.
Toutes les artères principales sont impeccablement goudronnées. La ville change des autres métropoles de la sous-région où les nids-de-poule et les chaussées dégradées réservent des courbatures à ceux qui y roulent. Les bâtiments administratifs ont été rénovés avec le souci de perpétuer leur âme, un style architectural qui rappelle Mopti, Gao ou Tombouctou à l’apogée de l’empire médiéval du Mali, creuset historique de l’art et de la civilisation d’une bonne partie de l’actuelle Afrique de l’Ouest.
À tous les carrefours ont poussé des monuments qui figent dans la pierre l’histoire récente du Mali et son ouverture au reste du monde : place des Martyrs (en souvenir de ce tragique 26 mars 1991, où les jeunes, mobilisés, ont payé par leur sang la chute de la dictature de Moussa Traoré), promenade de la Coupe-d’Afrique-des-Nations (immortalisation du plus grand événement sportif du continent que le pays a organisé en 2002), tour de l’Union-Africaine…
La CAN a suscité un boom du secteur hôtelier et de la restauration. Sous ces cieux arides, éprouvés par la rudesse du Sahel, on est relativement bien logé à l’hôtel Salaam et on mange correctement au Montécristo ou au Loft.
Mais j’ai refusé de me laisser abuser par ces apparats urbains. La réalité profonde du Mali est beaucoup moins reluisante. On en perçoit quelques signes aux abords des feux de signalisation où des mendiants hèlent les automobilistes pour quémander leur pitance quotidienne. Les nouveaux quartiers, comme ACI 2000, soudainement sortis de terre et faits de grosses bâtisses appartenant à des commerçants ou à des pontes politiques sont l’arbre qui cache la forêt de la promiscuité et de la misère qui peuplent des quartiers vétustes et insalubres, comme Niamakoro et Banconi. La pauvreté est d’autant plus visible qu’elle a été aggravée par une très forte pression démographique née de l’afflux de réfugiés ivoiriens et de l’arrivée de milliers de Maliens de Côte d’Ivoire.

Le conflit chez le grand voisin du Sud asphyxie une économie malienne dangereusement tributaire, depuis des décennies, des approvisionnements à partir du port d’Abidjan. Maïga, un commerçant du marché Sougouba de Bamako, explique : « Les nombreux commerçants qui vendaient des produits fabriqués en Côte d’Ivoire ont fermé boutique. Pour les autres marchandises qui viennent d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, leur acheminement à partir de Lomé ou de Tema prend plus de temps. Ce qui provoque des ruptures de stock et fait grimper les prix. »
Le nouveau président Amadou Toumani Touré a pris des mesures énergiques pour réduire les prix des produits de première nécessité dans un pays où l’argent se fait de plus en plus rare. Mais l’indigence des Maliens – plus de 60 % de la population n’ont pas plus 2 dollars par jour pour vivre – ne les empêche pas de voir la vie du bon côté, de rigoler et de remplir tous les points chauds de la nuit bamakoise : Bla Bla Night Club, Biblos, Akwaba… Au menu : les sonorités étrangères et locales (Salif Keïta, Ami Koita…) arrosées avec de la Castel, la bière la plus consommée localement. Le Malien est pauvre, mais il a le coeur gros et le sens de la diatiguia.

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