Aristide en sursis ?

Devant l’incurie du régime et la dégradation de la situation politique et économique, l’ONU pourrait envisager de mettre le pays sous sa tutelle.

Publié le 8 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Tout moun se moun. « Tout homme est un homme » (et, en cela, il a droit au respect), répétait à l’envi Jean- Bertrand Aristide lors de sa première élection à la tête d’Haïti, en décembre 1990 (voir encadré). Celui qui était encore, à l’époque, un jeune prêtre salésien promettait monts et merveilles à ses concitoyens. Un bol de haricots et de la viande boucanée au moins une fois par jour, de l’eau potable, du travail, des hôpitaux, des salaires décents, la démocratie…
Les huit millions d’Haïtiens ont attendu. En vain. Les assiettes sont restées désespérément vides, l’eau potable n’a toujours pas remplacé l’eau de pluie, le chômage est galopant, les hôpitaux réservés, comme naguère, aux nantis. Avec leurs énormes lézardes et leurs eaux glauques, Carrefour, Carrefour-Feuilles et Cité-Soleil, les bidonvilles de la capitale, Port-au-Prince, dégagent toujours des odeurs pestilentielles. Quant à la démocratie, elle se fait, bien entendu, désirer dans un pays indépendant depuis deux siècles, mais classé parmi les plus pauvres de la planète.
L’espérance de vie à la naissance y est de 53 ans, contre 70 ans dans les autres pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Le taux de mortalité infantile caracole à 73 ä. Contre 29 ä dans les autres États de la région. « L’Haïtien moyen tire le diable par la queue, raconte le journaliste Jacquelin Télémaque. Le taux de chômage est officiellement de 60 %, mais, en réalité, il est beaucoup plus élevé. La plupart des gens vivent d’expédients. D’autres se débrouillent avec l’argent envoyé par la diaspora, une manne évaluée entre 500 millions et 800 millions de dollars par an. En janvier dernier, le dollar valait 35 gourdes, l’unité monétaire locale. Deux semaines plus tard, il en valait 55. Les biens de consommation étant importés et payés en dollars, quand la gourde baisse, les prix flambent. Au même moment, les salaires ne dépassent guère les 2 dollars par jour… » Prévue pour accueillir 250 000 habitants, la capitale, qui manque cruellement d’infrastructures, en compte dix fois plus. Les routes sont en mauvais état. Le téléphone ne marche pas, ou rarement. Tout comme l’électricité soumise à des délestages intempestifs.
Le président Aristide impute une bonne partie de ces mauvais indicateurs à la surenchère de ses adversaires, qui réclament urbi et orbi, depuis plusieurs mois, son départ, mais aussi aux sanctions prises par la communauté internationale contre son pays pour cause d’élections législatives frauduleuses en mai et juillet 2000 et de violations répétées des droits de l’homme. « La situation en Haïti demeure préoccupante, peut-on ainsi lire dans un rapport publié le 25 mars 2003 par l’Organisation des États américains (OEA). Elle s’est aggravée depuis le lancement de la campagne politique pour contraindre le président Aristide à la démission. L’opposition, des associations d’étudiants, certains milieux d’affaires et des membres influents de la société civile sont fermement décidés à ne plus participer à une élection organisée par le gouvernement actuel. »
Depuis plusieurs mois, les grèves, les manifestations, parfois violentes, se multiplient. Tout comme les attaques contre les journalistes, les menaces de mort contre les militants des droits de l’homme et le personnel hospitalier soignant les manifestants blessés. Et le pays s’installe dans l’insécurité, aggravée par le grand banditisme. Aristide tonbe ! Se kwoke li kwoke nan branch. « Aristide est tombé de l’arbre ! Il tient encore parce qu’il est accroché à une branche », hurlaient les étudiants lors d’une procession, à la fin de mars.
Les raisons de la colère ? L’augmentation du coût de la vie, l’insécurité, certes, mais aussi la détermination d’une opposition de plus en plus tentée par l’action violente. Surtout après la nomination, contre toute attente, par le président, le 7 février dernier, de sept des neuf membres d’un nouveau Conseil électoral provisoire (CEP), chargé d’organiser les prochaines législatives, normalement prévues pour le mois de novembre. L’opposition, regroupée, notamment, au sein de la Convergence démocratique, refuse de désigner, comme le prévoient les textes, les deux membres restants. Elle exige, ni plus ni moins, la démission du chef de l’État. Et comme, en Haïti, rien n’est simple, cinq des personnes choisies par Aristide (les représentants de la Conférence épiscopale, de la Fédération protestante, de l’Église épiscopale d’Haïti, de la Commission Justice et Paix, et de la Chambre de commerce et d’industrie) ont publiquement déclaré qu’elles ne prêteraient pas serment tant que n’auront pas été créées les conditions pour la tenue d’élections transparentes.
La désignation, à la fin de mars, d’un nouveau patron de la police nationale n’a rien arrangé. L’intéressé, Jean-Claude Jean-Baptiste, passe pour être un proche du chef de l’État. Et l’opposition le juge incapable de « tenir » un corps de quatre mille agents, dont certains sont soupçonnés d’être les auteurs d’agressions contre les adversaires du régime. Or la sécurité est l’une des conditions posées par la Convergence démocratique pour prendre part aux élections anticipées censées « corriger » les fraudes massives constatées lors des législatives de 2000.
Devant la dégradation de la situation, certains n’écartent pas la possibilité d’une mise sous tutelle onusienne d’Haïti, comme ce fut le cas, il n’y a pas longtemps, au Kosovo. C’est, du moins, ce que croit savoir le bimensuel québécois L’Actualité. Fin janvier, les autorités canadiennes auraient invité des représentants de l’OEA, de l’Union européenne, du gouvernement américain et de la France à venir « brasser des idées » sur le drame haïtien. Un groupe baptisé « Initiative d’Ottawa sur Haïti » aurait été mis en place, avec pour ambition avouée de rédiger un projet de résolution en ce sens qui sera déposé aux Nations unies. « Même si l’ONU ne souhaite pas que ce genre d’intervention conduise à une occupation militaire, celle-ci pourrait être inévitable jusqu’à ce que des élections soient organisées. La communauté internationale devra ensuite, comme à la fin des années quatre-vingt-dix, surveiller la mise en place d’une police et d’une armée démocratiques », révèle L’Actualité.
Cette nouvelle arrive, en tout cas, à un mauvais moment. Haïti devait célébrer, à compter du 7 avril, le bicentenaire de la mort, au château de Joux, dans l’est de la France, de l’un de ses fils les plus valeureux, Toussaint Louverture. Des manifestations culturelles et politiques sont prévues tout au long de l’année dans le tiers d’île caraïbe, mais aussi au Bénin, terre d’origine du résistant, et en France. Dans la foulée, les descendants de Toussaint Louverture et de Jean-Jacques Dessalines commémoreront, au tout début de l’année prochaine, le bicentenaire de la naissance de la première République noire, le 1er janvier 1804. Autant dire que, si le scoop de L’Actualité se confirmait, la fête risque d’être sérieusement gâchée…

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