Abdallah II en porte-à-faux
Obligé de Washington, qu’il soutient en catimini, le souverain hachémite fait face à une opinion chauffée à blanc et à des islamistes gonflés à bloc.
Plus que l’Intifada, l’opération « Liberté en Irak », lancée le 20 mars par les forces anglo-américaines, est une dure épreuve pour le souverain jordanien Abdallah II. Son attitude, ses décisions et ses discours ne manqueront pas d’être comparés à ceux de son père, le roi Hussein, lors de l’opération « Tempête du désert », il y a douze ans. Si les deux conflits diffèrent à plusieurs égards, la situation socio-économique de la Jordanie est sensiblement la même : une population composée aux trois quarts de Palestiniens, une influence islamiste grandissante, un voisin irakien incontournable au plan économique (22 % des exportations jordaniennes et importation de pétrole à bon marché) et une large dépendance financière vis-à-vis des États-Unis.
Autre similitude : tout comme son prédécesseur de père, Abdallah est suspecté d’entretenir des relations occultes avec la CIA. Deux différences méritent cependant d’être relevées : contrairement à Hussein, le jeune souverain est le seul dirigeant du Moyen-Orient, avec son homologue syrien Bachar el-Assad, à n’avoir jamais rencontré Saddam Hussein. Ce qui ne l’a pas empêché d’entretenir une contradiction propre à la dynastie hachémite : accorder l’asile à des opposants irakiens tout en restreignant leur marge de manoeuvre. Seconde différence : en 1991, les Américains s’étaient montrés compréhensifs avec le roi Hussein malgré sa neutralité bienveillante à l’égard de Bagdad. Mais leur coalition comptait alors une quarantaine de pays et l’opération « Tempête du désert » avait obtenu la bénédiction de l’ONU. En 2003, l’administration de Bush II est plus sourcilleuse, conditionnant la manne financière annuelle à une plus grande disponibilité, voire à une collaboration, jordanienne.
Le souverain hachémite a dû se rendre à la Maison Blanche pour tester l’intransigeance de son hôte et lui « présenter » les démons intérieurs de la Jordanie. Il arrache un deal : contre une assistance militaire aussi discrète que possible, Abdallah obtient l’autorisation de commettre quelques « écarts de langage » pour encadrer une rue chauffée à blanc.
C’est ainsi que des batteries antimissiles Patriot sont installées dans la ville de Safawi, à mi-chemin entre Amman et la frontière irakienne, pour empêcher tout bombardement irakien contre Israël et les autres pays de la région. Une peccadille ? Sans doute, sauf que les Américains dépêchent en Jordanie six mille hommes pour quelques rampes de lancement. Nul besoin de sortir de Saint-Cyr pour constater la disproportion.
Le choix de Safawi n’est pas fortuit. À quelques kilomètres de la ville, la route se transforme en véritable piste d’atterrissage pouvant accueillir de gros avions-cargos. Elle servira de point de départ à une offensive militaire américaine dans le désert occidental irakien pour la prise de deux aérodromes de l’aviation de Saddam Hussein. Cousu de fil blanc.
Amman, Zarqa et Maan, un fief islamiste, s’embrasent. La rue gronde et le trône vacille. Dans un discours à la nation, Abdallah dénonce les troupes de la coalition qu’il traite d’envahisseurs. Mais, secrètement, comme la plupart des dirigeants arabes, le souverain jordanien prie pour que Saddam Hussein tombe au plus vite et que la guerre prenne fin rapidement. En sortira-t-il indemne pour autant ? Sans doute, mais il aura de plus en plus de mal à régner. En juin, des élections législatives sont prévues pour combler un vide institutionnel. Il y a plus de deux ans, Abdallah avait dissous le Parlement et gouverne, depuis, à coups de décrets royaux. Un raz-de-marée électoral islamiste est donc plus que probable.
La chute annoncée de Saddam Hussein ne mettra pas fin aux menaces qui planent sur le trône d’Abdallah. Jamais, depuis septembre 1970, quand le roi Hussein avait envoyé ses blindés massacrer les Palestiniens dans leurs camps à proximité d’Amman, la dynastie hachémite n’avait semblé aussi vulnérable.
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