Une agence de voyages nommée CIA

Des prisonniers transportés par charters clandestins.

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 2 minutes.

Pendant plus de deux ans, de décembre 2002 à février 2005, la CIA a utilisé une compagnie du Massachusetts, Premier Executive Transport Services – qui a depuis cessé toute activité -, pour transporter clandestinement des prisonniers d’un continent à l’autre, révèle Newsweek. L’enquête de l’hebdomadaire américain a été inspirée par un article du New York Times du mois de janvier évoquant l’odyssée d’un citoyen allemand d’origine libanaise, Khaled al-Masri. En vacances en Macédoine, celui-ci fut arrêté à la descente d’un car, le 31 décembre 2003, et séquestré dans un motel proche de Skopje, la capitale. Le 23 janvier 2004, il fut embarqué, menotté et les yeux bandés, à bord d’un Boeing 737, et emmené en Afghanistan, où il fut enfermé dans une prison gardée par des Américains. Enchaîné et régulièrement brutalisé, il fut longuement interrogé sur les islamistes qu’il avait eu l’occasion de rencontrer, ou simplement de croiser, dans sa mosquée d’Ulm, en Allemagne du Sud. Il sera libéré quelques mois plus tard sur une route déserte de Macédoine…
Newsweek s’est procuré le plan de vol du Boeing 737. L’appareil a décollé de l’aéroport Dulles de Washington le 16 janvier 2004 à destination de Shannon, en Irlande. Le 17, il est reparti pour Larnaca, à Chypre. Le 21, il a quitté Larnaca pour Salé, au Maroc. Le 22, il a enchaîné trois vols de Salé à Kaboul, puis à Alger, puis à Palma de Majorque, et s’est retrouvé, le 23 janvier, à Skopje. Le 24, il a atterri à Kaboul, après une étape à Téhéran. Reparti le 25, il a fait escale à Timisoara et à Bucarest, en Roumanie, puis à Palma, pour finalement rejoindre Washington le 28 janvier. Un plan de vol qui corrobore exactement les indications fournies par Masri. Et qui rappelle beaucoup un autre plan de vol, celui d’un Gulfstream V, dont Newsweek a eu connaissance.
Les deux appareils procédaient, estime l’hebdomadaire, à des « livraisons ». Autrement dit, ils faisaient passer secrètement des suspects d’un pays à l’autre. Soit pour s’en débarrasser après interrogatoire, soit pour les confier à des policiers pratiquant des interrogatoires plus musclés ou moins surveillés. Le Boeing a, par exemple, fait escale à Guantánamo. Par ailleurs, selon le quotidien israélien Ha’aretz, plusieurs membres importants d’al-Qaïda seraient détenus en Jordanie pour le compte de la CIA.
Tant que les livraisons ne faisaient pas d’« histoires », le système des charters clandestins était bien commode. Mais quand les suspects se sont retrouvés entre des mains moins habiles que celles des agents de la CIA, par exemple à la prison irakienne d’Abou Ghraib, des bavures ou des fuites ont alerté l’opinion. On sait que Manadel al-Jamadi, un Irakien dont le cadavre a été photographié à Abou Ghraib à côté de soldats américains souriants, est mort au cours d’un interrogatoire mené par la CIA. Pour l’instant, aucune suite n’a été donnée à cette affaire.
Ce n’est sans doute pas un hasard si Newsweek publie cette enquête au moment où John Negroponte vient d’être nommé directeur de la National Intelligence et devient le grand patron du renseignement américain. La CIA a en effet sur les bras de nombreux détenus clandestins dont elle ne sait que faire. Que décidera Negroponte ?

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