Taïeb Baccouche

Président de l’Institut arabe des droits de l’homme, Tunis, Tunisie

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 4 minutes.

Afrique/l’intelligent a publié un article de Mohamed Talbi dans la rubrique Forum, intitulé « À quoi sert la démocratie ? », inspiré par un colloque sur « l’Islam et la démocratie » (voir J.A.I. n° 2301).
Nous avons hésité à user de notre droit de réponse car il nous est malaisé de polémiquer avec notre collègue Mohamed Talbi, mais ce qui nous a décidés à le faire, c’est le devoir de rétablir la vérité sur certains points.
– L’auteur connaît parfaitement l’identité de l’Institut arabe des droits de l’homme et l’a bien résumée, mais les guillemets placés dans organisation « indépendante » mettent en doute son caractère indépendant. Sur quoi se base-t-il pour semer le doute, lui qui a pourtant participé à ses activités et collaboré à sa Revue arabe des droits de l’homme (RADH) ? Qu’il sache que l’IADH est une ONG régionale basée à Tunis, totalement indépendante. Nous devons souligner, par ailleurs, que l’IADH n’accepte aucun financement conditionné et ne saurait être un « alibi » pour personne.
– L’auteur affirme qu’« on a plané très haut… », mais « pas un mot sur l’actualité, le présent est trop brûlant et personne n’avait envie de se brûler les doigts ». Ce jugement n’est pas seulement « excessif et tout excessif est insignifiant » (réplique de M. A. Amor), mais carrément faux. Il suffit de rappeler les thèmes traités : « Les origines du despotisme dans la culture arabo-musulmane. » « Égalité et démocratie : femmes et minorités. » « Les changements démocratiques : problématique, handicaps et mécanismes (violence au nom de l’islam, mouvements islamistes), facteurs internes et externes pour un changement démocratique. » « Exposés sur des expériences récentes : Maroc, Turquie. » En présence de tels thèmes, présentés par une vingtaine de conférenciers de renom et discutés par une assistance nombreuse et de différentes sensibilités, n’est-on pas au coeur d’une actualité brûlante dans le monde arabe ? Dans ce colloque, des islamistes tunisiens, égyptiens et autres ont reconnu qu’ils sont désormais en faveur de la séparation du religieux et du politique. Nous prenons acte de cette évolution, sans leur faire de procès d’intention.

Il est clair que l’actualité était bel et bien présente durant les deux jours, y compris dans l’unique séance à laquelle Mohamed Talbi a assisté pendant moins de deux heures, tout en s’attendant à « être déçu ». Il a malgré tout pris la peine de venir, non pas pour participer, mais pour dire devant une assistance médusée que de tels débats ne servent à rien dans une dictature, et qu’il est plus efficace et plus crédible de sortir manifester dans la rue. Apparemment, Mohamed Talbi se trompait tout simplement de cadre et de lieu. Un homme comme lui, ayant assumé des responsabilités aussi importantes que doyen de faculté, directeur de la Maison de Tunisie à Paris, président du Comité culturel national et d’autres jusqu’à 1990, c’est-à-dire à des époques où la censure et la répression n’étaient pas absentes, n’a pas le droit moralement de faire de telles confusions.

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Qu’il nous permette enfin d’éclairer sa lanterne sur les points suivants :
– Nous partageons globalement ses vues et ses analyses sur l’islamisme et la charia. Le message qu’il formule et véhicule dans Jeune Afrique/l’intelligent sur la tolérance et la liberté de conscience est au coeur des activités quotidiennes de l’Institut arabe des droits de l’homme. En effet, nous le diffusons dans les sociétés arabes pour « promouvoir la démocratie et les droits de l’homme » au moyen de conférences, de sessions de formation, de la Revue arabe des droits de l’homme, des études et autres publications.
Les cadres que nous formons se familiarisent avec les principes universels qui régissent les droits de l’homme, les mécanismes de leur défense, l’utilisation des technologies modernes, les techniques de lobbying, les méthodes d’enquête sur les violations, la méthodologie des rapports sur les droits de l’homme, les méthodes de supervision des élections, la diffusion des valeurs humaines universelles par l’enseignement et les médias, etc. Tout cela ne saurait servir à « dorer le blason de la dictature ».
– De telles activités peuvent-elles être menées sur le sol arabe sans l’autorisation des gouvernements ? Treize pays arabes ont facilité notre action ou même sollicité nos services. Nous ne portons pas de jugements sur leurs intentions, à la différence de l’auteur. Loin de nous les procès d’intention. Encore une fois, nous ne servons d’alibi à personne.

Cela étant, notre expérience, depuis la création de l’IADH en 1989 pour s’occuper exclusivement de logistique et de promotion, nous a convaincus que celle-ci ne peut être menée efficacement par les sociétés civiles seules ou par les pouvoirs publics seuls. Le dialogue et la coopération sont nécessaires, dans l’intérêt de toutes les composantes de la société.
Ayant choisi l’action pacifique, et non la violence que pratiquent justement ceux qui prétendent agir au nom de la religion, nous n’avons aucun problème et aucun complexe pour dialoguer avec tous les régimes sans exclusive, afin de les amener à évoluer dans le sens de l’Histoire et dans l’intérêt objectif des peuples dont ils ont la responsabilité. C’est à la fois notre droit et notre devoir d’intellectuels et de citoyens.

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