Sétif : « Une tragédie inexcusable »

Pour la première fois depuis 1962, la France reconnaît la réalité des massacres du 8 mai 1945 dans le Constantinois.

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 2 minutes.

Jamais encore la France n’avait parlé de « massacres » dans le Constantinois en général, et à Sétif en particulier. À peine évoquait-on officiellement les « événements », voire la « rébellion », de mai 1945. « Ce fut hélas un drame », a reconnu la semaine dernière Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France en Algérie. Devant quelque 400 étudiants et professeurs de l’université Ferhat-Abbas de Sétif, le haut représentant de l’État français a rendu hommage à celui qui fut « un adversaire respecté » de l’ancienne puissance coloniale. Ferhat Abbas est né et a grandi à Sétif. Après l’armistice signé le 8 mai 1945, il avait rêvé de liberté pour son peuple. Des milliers d’Algériens n’avaient-ils pas combattu aux côtés des Alliés ?
Ceux qu’on appelait encore « indigènes » s’étaient eux aussi réjouis de la fin de la guerre. Certains avaient même dansé sur les Champs-Élysées. Mais, une fois revenus au pays, une autre guerre les attendait. « Une guerre de représailles », selon les termes de l’historien algérien Mahfoud Kaddache. Car, à Sétif, une manifestation qui se voulait pacifique allait dégénérer. Des Européens étaient tués. La répression fut impitoyable. Elle s’étendit à Skikda, Guelma, Kherrata et plusieurs villages alentour. Pendant une semaine, forces terrestres, aériennes et navales furent mobilisées. Officiellement, le gouvernement général a déclaré la mort de 103 Européens et 1 150 « indigènes ». En réalité, plusieurs milliers de musulmans ont été massacrés par l’armée, mais aussi par les colons constitués en « milices de défense ». L’historien Mohamed Harbi parle de 6 000 à 8 000 morts en citant des sources militaires, tandis que la commission Tubert installée par l’Assemblée nationale quelques mois après les faits en dénombrait 15 000. Quant au mouvement national, il a fait état à l’époque de 45 000 morts.
Au-delà de cette sinistre comptabilité, les massacres furent considérés par beaucoup comme le véritable détonateur de la guerre d’Algérie. Le général Duval, qui avait dirigé la répression, l’avait d’ailleurs pressenti : « Je vous ai donné la paix pour dix ans… » Âgé de 16 ans à l’époque, l’écrivain Kateb Yacine affirma plus tard que c’était à ce moment-là que « se cimenta [son] nationalisme ». De son côté, Albert Camus ne pouvait que constater le fossé qui s’était irrémédiablement creusé entre les deux populations : « Nous voilà dressés les uns contre les autres, voués à nous faire le plus de mal possible, inexpiablement. »
Soixante ans plus tard, à quelques mois de la signature du traité d’amitié avec l’Algérie, la France a voulu poursuivre son travail de mémoire. Une « juste mémoire », a déclaré l’ambassadeur de France, évoquant la réflexion du philosophe français Paul Ricoeur autour du « souci d’autrui », du « sens de la dette » et du « respect dû aux victimes ». Si la presse algérienne a salué dans son ensemble la déclaration d’Hubert Colin de Verdière comme un début de « reconnaissance », certains attendent désormais une « demande de pardon ». Pour le président de la Fondation du 8-Mai-1945, Mohammed el-Korso, la démarche du représentant français constitue « un pas important » pour l’histoire des deux peuples, mais pas suffisant. « La France doit reconnaître ses crimes contre l’Humanité, poursuit Mohammed el-Korso, avec un geste du président de la République ». Le chef de l’État français en personne.

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