« L’Afrique n’a pas besoin d’aide alimentaire »
Dans un nouvel ouvrage, l’économiste Ayodele Odusola (PNUD) dissèque les paradoxes du secteur agricole africain et trace la voie d’une renaissance. Il a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Dans « Africa’s Agricultural Renaissance : From Paradox to Powerhouse » (La Renaissance agricole de l’Afrique : du paradoxe à la puissance, Palgrave Macmillan, 2021), Ayodele Odusola entend fournir un cadre de référence innovant sur les besoins et les possibilités du secteur agricole en Afrique, en ligne avec les Objectifs de développement durable (ODD).
Docteur en économie de l’université d’Ibandan, au Nigeria, Ayodele Odusola dirige depuis Pretoria, en Afrique du Sud, le Centre du secteur financier du Programme des Nations unies pour le développement sur le continent. Dans son livre, le chercheur démontre et énumère les conséquences positives qui découlent d’une meilleure productivité agricole dans une zone qui abrite 60 % de terres arables non cultivées de la planète.
Transformer les défis en opportunités
Pour cet expert, il est temps pour l’Afrique de transformer les défis de ce secteur en opportunités, en accompagnant les micro- agriculteurs sur la voie de la commercialisation. Selon ses estimations, si 60 % des micro-agriculteurs se convertissent à l’agriculture entrepreneuriale en parvenant à écouler au moins 90 % de leur production, une tranche importante de la population sortira de la pauvreté et l’Afrique sera capable de nourrir sa population sans grande difficulté.
Le secteur agroalimentaire africain pourrait atteindre une production de 3 700 milliards de dollars d’ici à 2030
« Environ 60 % des pauvres en Afrique pourraient sortir de la pauvreté si l’agriculture se transformait et que les agriculteurs africains passaient de leur mode de vie actuel à une activité rentable et entrepreneuriale « , explique l’économiste du PNUD. « Si l’Afrique accélère sa productivité agricole et ses chaînes de valeur, le secteur agroalimentaire africain pourrait atteindre une production de 3 700 milliards de dollars d’ici à 2030, soit près du double du niveau actuel du PIB du continent, ce qui permettrait de réduire la pauvreté, les inégalités et le chômage », complète-t-il.
Cette transition ne pourra évidemment se faire du jour au lendemain. Les experts considèrent qu’il faudra environ vingt ans pour y parvenir. Selon Ayodele Odusola, pour parvenir à cette productivité accrue, il faudra des moyens techniques et du savoir-faire. Pour avoir accès à ces deux composantes essentielles, les petits agriculteurs indépendants devront coaliser leurs forces, afin d’atteindre différents marchés de consommateurs et de faire des économies d’échelle qui stimuleront d’autant plus le développement des agro-industries.
Dépenser autrement
« Nous ne voulons pas que l’Afrique exporte des produits de base car, ce faisant, elle exporte des emplois. Nous exportons des produits bruts à l’étranger où ils sont transformés puis revendus sur le continent pour près de dix fois plus cher ! », poursuit Ayodele Odusola.
Les jeunes Africains ont besoin de professeurs pour développer leur esprit d’entreprise
Afin de casser ce cercle vicieux, l’Afrique doit « dépenser autrement ». En effet, les pays africains dépensent environ 70 milliards d’euros en importations alimentaires, ce qui absorbe 60 % de leurs réserves étrangères par an, selon les calculs d’Ayodele Odusola. Pour l’expert onusien, « cet argent doit être utilisé à d’autres fins, comme l’investissement dans la connaissance et les machines », afin que le continent puisse être autosuffisant et contribue à nourrir le reste du monde.
Aussi, pour l’économiste nigérian : « L’Afrique n’a pas besoin d’aide alimentaire ; elle a plutôt besoin de production alimentaire et de capacité de production ». Selon lui, la plus grande aide que peuvent fournir les pays développés ne proviendra pas de l’envoi de denrées alimentaires, mais du transfert des connaissances techniques et technologiques qui ouvriront la voie à une remontée de filière dans le domaine agricole.
Étant donné qu’un agriculteur africain est âgé de 60 ans en moyenne, la transmission du savoir-faire et de l’éducation des plus jeunes dans un continent où 60 % de la population a moins de 25 ans est capitale. « Les jeunes Africains ont besoin de professeurs pour développer leur esprit d’entreprise et leurs connaissances des écosystèmes en vue d’utiliser l’agriculture pour la transformation économique. »
Une approche « écosystémique »
L’un des principaux obstacles au développement du secteur agricole en Afrique demeure le manque de politique d’appui et d’encadrement. « Parfois, certains agriculteurs produisent moins pour ne pas faire baisser les prix du marché, car une offre trop forte aura pour effet la baisse des prix à l’unité. C’est ce que les agriculteurs redoutent », décrypte Ayodele Odusola.
Pour éviter une telle « régulation » régressive du marché, l’économiste mise sur la mise en place d’un « système des réservoirs », pour constituer des stocks qui seront utilisés en période de crise de façon à continuer d’alimenter le marché en flux de matières premières.
Nous devrons adopter un système de garantie des crédits pour les zones rurales, comme au Brésil ou en Argentine
« Cela permettra de lutter contre l’inflation et contre les pénuries », analyse l’économiste. Selon lui, un organisme officiel doit être mis en place pour veiller au maintien d’un certain niveau de prix, aussi bien en période d’abondance que de pénurie, pour protéger producteurs comme consommateurs.
« Des politiques publiques devront accompagner ces petits exploitants », explique le cadre du Pnud qui cite, à titre d’exemple, les politiques agricoles mises en place en Éthiopie – lesquelles avant le conflit « ont élevé 2,5 millions de micro-agriculteurs au rang d’agriculteurs commerciaux » – ainsi que le Plan Maroc vert qui a permis de « créer 342 000 emplois supplémentaires, d’étendre les superficies cultivées, et de diversifier les cultures ».
Création de structures ad hoc
Afin de relever ces défis, l’économiste plaide en faveur d’une approche écosystémique à l’échelle du continent. « Les gouvernements devront collaborer entre eux et aux côtés du secteur privé, des partenaires du développement, de la communauté internationale, des particuliers, etc. » Pour le chercheur nigérian, l’Afrique a besoin d’une « Banque de la révolution verte » pour galvaniser les percées agricoles nécessaires, en consacrant au moins 10 % de l’aide publique au développement à leur financement.
« Nous devrons par exemple adopter un système de garantie des crédits pour les zones rurales, comme c’est le cas au Brésil ou en Argentine », complète-t-il. Cette banque devrait également conduire des missions de conseil et d’encadrement auprès des agriculteurs.
Une telle institution de référence aurait aussi pour objectifs d’apporter des moyens financiers et un appui logistique directement dans les zones rurales en y assurant l’accès aux infrastructures de base comme l’électricité et l’eau courante. « Il s’agit de stopper l’exode rural en améliorant les conditions de vie sur place pour que les populations locales puissent vivre de la terre en échangeant leurs produits sur les marchés », plaide Ayodele Odusola.
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