Scénario original

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 4 minutes.

« Aujourd’hui, les festivals de cinéma sont comme les congrès de dentistes. C’est tellement folklorique que ç’en est déprimant. » Cette sentence sans appel du cinéaste culte Jean-Luc Godard, que l’hebdomadaire satirique burkinabè Journal du jeudi reprenait malicieusement à la une de son numéro paru pendant le Fespaco, exprime très exactement… ce que n’est pas ce festival de cinéma, le plus important d’Afrique, qui s’est tenu à Ouagadougou du 26 février au 6 mars, comme tous les deux ans.

Rien de moins « folklorique » et surtout de moins « déprimant » que le Fespaco : un festival à la fois très sérieux et très joyeux où, dans une ambiance de fête, des centaines de cinéastes et de comédiens et des milliers de cinéphiles – 5 000 accrédités – viennent se nourrir de la production du continent et débattre avec passion de ses enjeux, de ses problèmes, de son avenir. Pour la première fois de son histoire, certes, la manifestation a été endeuillée par la mort de deux adolescentes de 13 et 16 ans – Mariam et Bintou – lors de ces bousculades qui se produisent traditionnellement à l’entrée du concert géant qui précède la cérémonie d’ouverture. Témoignant d’un amour du cinéma qui ne se dément pas depuis plus de trente ans au Burkina et d’une soif évidente de vie culturelle, la population remplit en effet à chaque fois à ras bord et de très longues heures à l’avance le stade du 4-Août, capable de contenir 40 000 personnes, mais qui pourrait en accueillir le double ou le triple à cette occasion. Surtout quand les organisateurs invitent le public à acclamer une star comme Salif Keïta et à découvrir des artistes qui montent, comme le tout jeune prodige burkinabè Madson Junior, un rappeur de 9 ans !

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Cette dix-neuvième édition du Fespaco a réussi, plus encore que d’habitude, à jouer son rôle de révélateur de la situation du cinéma sur le continent. D’une façon imprévue. En effet, l’absence de la plupart des têtes d’affiche africaines dans la compétition tout comme la faible visibilité internationale des cinématographies d’Afrique noire et du Maghreb – Maroc mis à part – ces dernières années pouvaient faire croire que cette situation est préoccupante. D’autant que la plupart des pays voient leur parc de salles se réduire au fur et à mesure que se développe le visionnage en vidéo de films, le plus souvent piratés. Et que les États, notamment au sud du Sahara, sont peu nombreux à soutenir leur cinéma national, l’exemple burkinabè n’ayant pas fait école.

Le déroulement de la manifestation, pourtant, a permis de rassurer les pessimistes. D’abord parce que le nombre des films réalisés sur le continent ne baisse pas, bien au contraire : il y avait cette année plus de longs métrages en compétition que jamais. Et aussi plus d’oeuvres présentées dans les diverses sections du Festival – 170 au total – et plus de professionnels venus faire des rencontres, débattre et participer au marché du film officiel ou officieux.
D’un point de vue qualitatif – nous y reviendrons la semaine prochaine à l’heure du bilan définitif -, on a surtout pu remarquer que le niveau moyen des réalisations était plutôt en progrès, même s’il reste très inégal, y compris dans la sélection des longs-métrages concourant pour l’Étalon de Yennenga. Que le niveau « technique », à bien des égards, s’améliore. Et que les oeuvres non seulement abordent des thèmes très divers, qui garantissent leur singularité, mais n’hésitent pas à traiter des sujets douloureux – souvent le sida, mais pas seulement – ou sulfureux. Ainsi traite-t-on sans détour des conflits ethniques (La Nuit de la vérité, de Fanta Régina Nacro), des guerres civiles (notamment les deux films algériens, Les Suspects et El Manara, et le film angolais, Un héros), de périodes historiques longtemps occultées (La Chambre noire, sur la répression au Maroc, Tasuma, sur l’abandon des soldats africains de l’époque coloniale) ou encore de la violence politique et sociale (plusieurs films sud-africains, comme Drum, La Caméra de bois ou Zulu Love Letter). Parfois aussi, et c’est heureux, la légèreté l’emporte, soit parce que les films racontent sur un mode plaisant des situations difficiles (les deux excellents films musicaux congolais et sud-africain Les Habits neufs du gouverneur et U-Carmen e-Khayelitsha), soit parce qu’ils ne veulent parler que d’amour (le réjouissant Le Prince, du Tunisien Mohamed Zran).
Cette édition 2005 du Fespaco aura aussi été marquante pour trois raisons très différentes. D’abord, on a vu se confirmer un retour en force du documentaire. La vitalité, et le succès public, de la section « Le côté doc », avec des oeuvres de grande qualité (Cinq x cinq, de Moussa Touré, etc.), en témoigne. Ensuite, on peut saluer l’arrivée en force d’un nouveau pôle du cinéma au sud du continent. Si le Maroc et le Burkina ont tenu leur rang de nations phares du septième art, l’Afrique du Sud a fait étalage de la puissance désormais avérée de son industrie cinématographique, soutenue par les pouvoirs publics. Parmi les quatre films de ce pays en compétition, deux ont particulièrement impressionné les festivaliers : Zulu Love Letter et Drum.

Enfin, une évolution essentielle permet d’être optimiste quant à l’avenir à moyen terme : l’irruption de plus en plus affirmée du numérique. Cette petite révolution peut amener parfois le pire d’un point de vue esthétique. Mais elle peut aussi, à la fois d’un point de vue économique et artistique, ouvrir de nouveaux horizons. Des films tournés en numérique et présentés en compétition l’ont prouvé. Et l’énorme succès public, hors festival, de « petits films » comme Sofia – numéro un historique au box-office burkinabè aujourd’hui – donne à réfléchir.

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