Tunisie : l’UGTT, première force d’opposition à Kaïs Saïed ?
Face à un président tout-puissant qui peine à présenter un projet clair pour le pays, la centrale syndicale semble être le seul corps intermédiaire à même de lui résister.
La commémoration, chaque 5 décembre, de l’assassinat de Farhat Hached est un rituel politique censé maintenir le lien entre tous les Tunisiens au-delà de leur appartenance politique et idéologique.
À l’occasion du 69e anniversaire du guet-apens tendu en 1952 par l’officine occulte colonialiste de La Main rouge pour abattre le fondateur de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), le président Kaïs Saïed a donc honoré la mémoire de celui qui fait figure de patriote parmi les patriotes.
Il n’en a pas moins profité de l’occasion pour tacler l’actuelle centrale syndicale en assurant sans sourciller que du temps de Farhat Hached, l’activité syndicale était « pure et nationale, et n’agissait qu’au profit de la patrie ».
Une déclaration qui témoigne des relations à couteaux tirés entre le président de la République et la centrale syndicale. Mais Noureddine Taboubi, secrétaire général de l’UGTT, ne s’en est pas ému pour autant.
« Le dialogue a été rompu »
C’est que la veille, l’UGTT a pu faire la démonstration de son activisme et de son rôle central sur la scène politique tunisienne en réunissant près de 8 000 soutiens autour du mausolée de Farhat Hached, près de la Kasbah. Moteur de la révolution de 2011, l’UGTT a été l’instigatrice du dialogue national qui, en 2013, a sans doute épargné au pays une guerre civile, ce qui lui a valu, avec ses autres partenaires du Quartet, le prix Nobel de la paix en 2015.
Taboubi alerte « contre un danger imminent dû à un échec politique et à l’absence de programme »
Six ans plus tard, l’UGTT monte encore au créneau. Noureddine Taboubi, faute de canaux de discussion avec la présidence, prend les Tunisiens à témoin, leur expose la vision de l’UGTT pour une sortie de crise honorable et martèle que la centrale n’adhère pas au projet de démocratie directe que le président veut imposer.
En précisant que « le dialogue a été rompu alors que nous recherchons l’unité nationale », il alerte « contre un danger imminent dû à un échec politique et à l’absence de programme pour sortir le pays du tunnel qu’il traverse » et invite à « aller vers un dialogue national global pour ramener la Tunisie sur la voie de la démocratie ».
Une position mûrie depuis l’offensive du 25 juillet de Kaïs Saïed : « Nous avons approuvé l’initiative du président pour mettre un terme à la corruption et à l’échec des politiciens sur la dernière décennie, mais nous n’avons cessé de demander quelle serait la suite, sans obtenir de réponse. D’où nos conclusions », précise un familier de la place Mohamed-Ali, siège de la centrale.
Après avoir progressivement mis à l’écart les interlocuteurs issus des partis ou de la société civile, Kaïs Saïed n’a toujours pas réussi à élaborer de feuille de route. Ce qui a conduit Taboubi à insister, le 4 décembre, sur la nécessité de mettre fin aux mesures exceptionnelles décidées le 25 juillet.
L’UGTT continue de proposer des solutions et défend une approche collégiale à travers une concertation nationale « qui rassemble toutes les sensibilités politiques, sociales et syndicales ».
L’UGTT fait ainsi oublier ses divisions internes et retrouve son prestige de défenseur de la nation
Elle prend ses distances avec Kaïs Saïed après avoir tenté de relancer un dialogue national, en juillet. Le silence du président, qui, au fil des semaines, s’apparente à une fin de non recevoir, conduit la centrale à renouer avec les partis.
« Noureddine Taboubi est un pragmatique qui sait composer avec les rapports de force. Il est conscient de la situation et assume le rôle politique de l’UGTT. Il a évoqué les engagements de la Tunisie par rapport aux bailleurs de fonds internationaux, ce qui est aussi rare que significatif », relève le spécialiste en communication politique, Kerim Bouzouita.
Une classe politique frappée de sidération
L’empressement de l’UGTT à être de tous les combats n’a pas uniquement un objectif politique. « Nous devons être en première ligne pour secourir le pays quand il subira de plein fouet les conséquences des politiques économiques inadéquates. Avec un secteur privé mis à mal par la pandémie, l’effondrement de l’économie entraînerait celui de l’État, dont les agents sont affiliés à l’UGTT. Il faut aussi les défendre », justifie Tahar, un syndicaliste qui estime que les arriérés de salaire des cheminots sont un indice de la catastrophe à venir.
Avec une classe politique qui semble frappée de sidération, la centrale apparaît comme le seul corps intermédiaire à même de se lancer dans une entreprise de sauvetage du pays et de fédérer sous sa bannière. L’UGTT fait ainsi oublier ses divisions internes et retrouve son prestige de défenseur de la nation.
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