RDC : pour vaincre le terrorisme, l’armée doit changer en profondeur
Sans une véritable force armée neutre et perçue comme protectrice, il sera impossible de sécuriser le Nord, le Sud-Kivu et l’Ituri.
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Pierre D’Herbès
Journaliste indépendant spécialiste des questions de défense
Publié le 10 décembre 2021 Lecture : 6 minutes.
La région des Grands lacs est traversée par de féroces antagonismes ethniques. Les affrontements et opérations d’influence menées par le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda ont largement contribué à la situation actuelle. L’ensemble de ces conflits sont en effet alimentés non seulement par les différends fonciers, mais aussi par la volonté de maîtriser les abondantes ressources minières ou agricoles régionales. C’est dans ce contexte que le risque terroriste jihadiste semble s’affirmer, porté par les Forces démocratiques alliées (AFD), un groupe armé adoubé en 2018 par l’État islamique (EI).
Épouvantail et paravent
Nés dans les années 1990, les ADF n’ont eu recours aux méthodes terroristes qu’à partir de 2013, sans pour autant se réclamer du jihad international. Jusqu’en 2018, leurs liens avec les réseaux jihadistes internationaux étaient clairement sujets à caution pour les experts de la région. De fait, le ralliement à l’EI, opportuniste, n’implique pas automatiquement des liens préalables. Et il semble avéré que le groupe a pu servir pendant plusieurs années d’épouvantail aux milieux politiques de Kinshasa (notamment kabilistes). Ou bien de paravent commode à des exactions perpétrées par les Forces armées de la RDC (FARDC), selon Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (Ifri).
De facto, les ADF sont aujourd’hui devenu un vecteur de propagation du jihadisme
Mais la montée en épingle du caractère islamiste des ADF a tout de même entraîné une stigmatisation croissante des musulmans de RDC (un peu plus de 10 % de la population). Une donne qui a probablement renforcé les potentialités de recrutement et d’expansion du groupe et sa réputation internationale. De facto, le groupe est aujourd’hui devenu un vecteur de propagation du jihadisme. Même si le contexte général semble bien rester de l’ordre des antagonismes politico-ethniques.
Stratégie plus volontariste
Cette donne n’a pas échappé à l’actuel gouvernement congolais, qui semble vouloir se doter d’une stratégie plus volontariste que sous l’ère du président Kabila. Pour Kinshasa, alerter sur le péril jihadiste pourrait permettre de redonner parallèlement une impulsion à la pacification générale du « piège à conflits » des Grands lacs. En effet, malgré le record de violences qu’ils affichent, les ADF n’usent pas de méthodes de terreur différentes de celles des groupes armés « classiques » (trafics illégaux, massacres de civils, torture, esclavagisme, enlèvements, enfants-soldats, etc.).
L’intervention du président Tshisekedi, également président de l’Union africaine (UA), à l’occasion de la 76e session ordinaire de l’assemblée générale des Nations-Unies, le 21 septembre 2021, est, de ce point vue, révélatrice. Le chef de l’État congolais y défendait sa décision d’instaurer l’état de siège et rappelait le devoir de soutien mutuel des pays de l’ONU face au terrorisme, tout en insistant sur le fait que le jihadisme n’est qu’un acteur parmi d’autres des violences qui touchent le nord-est de la RDC depuis les deux guerres du Congo (1996-2004).
Tshisekedi a implicitement sollicité les États-Unis et le France, et plus explicitement le Tchad
Outre l’appel du pied en faveur du maintien de la Monusco, les puissances implicitement sollicitées par ce discours semblaient bien être les États-Unis, mais aussi la France, en pointe dans le contre-terrorisme africain. Le Tchad était plus explicitement mentionné. Ce qui ne doit rien au hasard, tant la réputation militaire [mérité] du pays, en matière de contre-guérilla, est ancrée sur le continent. Étant donné la forte tension opérationnelle des armées tchadiennes dans tout le Sahel, il est peu probable d’imaginer une projection dans la région des Grands lacs. Cependant, l’appel au Tchad, très actif dans la diplomatie militaire africaine – et proche partenaire de la France –, indique clairement l’alignement et le type de coopération que la RDC souhaite privilégier aujourd’hui.
Plus récemment, la RDC a poursuivi la construction de son nouveau réseau d’alliances grâce à une aide militaire des Émirats arabes unis. Outre une trentaine de blindés, Abu Dhabi a notamment mis à sa disposition immédiate un milliard de dollars, au titre de l’aide au développement dans l’Est congolais. La stratégie du gouvernement semble payer.
Réformer les FARDC
Mais elle restera lettre morte sans une réforme en profondeur, organique et opérationnelle, des FARDC. L’enjeu est d’autant plus grand que cette réforme conditionnera l’aide internationale. Les récentes déclarations en ce sens de l’ambassadeur américain en RDC, Mike Hammer, étaient claires ; comme celles, en 2020, du ministre des Affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian.
Peu formées et mal payées, les FARDC sont réduites à vivre sur le pays, en s’aliénant la population
Les FARDC souffrent de lacunes techniques et organiques importantes, malgré des réussites tactiques et opératives avérées. Peu formées et mal payées, elles sont régulièrement réduites à vivre sur le pays, en s’aliénant la population. De plus, des officiers et leurs unités se livrent régulièrement à des activités mafieuses, dont le trafic illégal de minerai. Ce qui contribue à entretenir les dynamiques conflictuelles locales, tout en décrédibilisant l’État. Le traitement des soldats est en cause (soldes insuffisantes, casernement sommaires, etc.), tout comme le manque de rotation régulière des unités.
Les effectifs sont majoritairement composés d’anciens groupes armés, intégrés à l’issue de processus DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion) bâclés. Une réalité d’ailleurs reconnue par Félix Tshisekedi : en juin dernier, il admettait ouvertement l’existence de « pratiques mafieuses » au sein des FARDC. Il en résulte un patchwork de milices peu disciplinées et peu opérationnelles qui nuisent à l’homogénéité générale. La nature ethnique (et mafieuse) de ces ex-milices, combinée au passif conflictuel régional, pourrait d’ailleurs être en partie à l’origine de certaines des exactions dont les FARDC sont accusées.
Depuis 2019, un nouveau processus DDR semble avoir été engagé. Ce qui constitue, en théorie, une nouvelle encourageante. Toutefois, son déploiement devra se faire avec une rigueur et un suivi solides, au risque de produire les mêmes vices. Ces réformes pourraient avoir un impact fort sur l’efficacité opérationnelle des FARDC et leur capacité à représenter le retour en force de l’État. Car ces dernières bénéficient tout de même d’une forme de légitimité auprès de populations lassées par les prédations des groupes armés, comme le montrait en 2019 une étude de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).
Cercle vertueux
Sur le plan de la professionnalisation, notamment celle des cadres, les efforts semblent être au rendez-vous, avec une implication croissante de la France, via l’institut Themiis. Une étape incontournable pour doter une armée d’une administration et d’une chaîne de commandement efficace dans la durée. La coopération avait été initiée sous le président Kabila, et se trouve maintenue avec succès par le président Tshisekedi. Cependant, ce dernier semble vouloir élargir le spectre des coopérations avec les États-Unis et la Belgique, au détriment de la Russie.
Aucun progrès ne sera possible dans le Nord, le Sud-Kivu et l’Ituri sans une force armée perçue comme protectrice
Le renouvellement des cadres généraux apparait également incontournable dans un état-major marqué par la corruption, la politisation et des soupçons de crimes de guerre. Ce processus est en revanche plus lent, du fait de sa haute sensibilité.
En tout état de cause, la réforme des FARDC sera longue. Mais aucun progrès ne sera possible dans la sécurisation du Nord et du Sud-Kivu, ainsi que de l’Ituri, sans une force armée neutre et perçue comme protectrice. Les réformes entreprises pourraient cependant aboutir à de premiers résultats. Et dès lors favoriser la coopération internationale, ce qui serait susceptible d’enclencher un cercle vertueux sur le long terme. Dans le cas contraire, l’état de siège proclamé par le président Tshisekedi et les nouvelles tactiques récemment annoncées (systèmes d’alertes, etc.) ne resteront que de l’ordre de la stratégie déclaratoire.
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