Le mystère Faure

Estimant qu’il a de grandes chances de remporter la présidentielle du 24 avril, le fils du chef de l’État défunt est déjà en campagne pour succéder à son père. Entouré d’un petit groupe de fidèles aussi actifs que discrets.

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 4 minutes.

Surréalisme ? Non, réalités togolaises. Si, muni de votre calepin téléphonique, vous appelez ces jours-ci la célèbre résidence de Lomé 2, où officia pendant des lustres et jusqu’à la veille de sa mort Gnassingbé Eyadéma, et que vous demandez à parler avec le président, le standardiste vous répond tout naturellement : « Lequel ? Le président par intérim, Abass Bonfoh ? Téléphonez à l’Assemblée nationale, vous l’y trouverez. L’ex-président Faure ? Ne quittez pas, je vais voir. » On l’ignore souvent en effet, mais la concession de Lomé 2, avec son grand bâtiment réfrigéré, sa piscine vide, son jardin en friche, ses paons et ses biches, est propriété de la famille Gnassingbé. En attendant que soit achevé celui que les Chinois construisent non loin de là, l’État togolais ne dispose donc pas de palais présidentiel, au risque de confondre la réalité et les apparences. Les cordons de sécurité qui entourent Lomé 2 sont exactement les mêmes qu’avant, l’escorte qui accompagne Faure Gnassingbé dans ses déplacements entre ses bureaux et son domicile de la Cité du Bénin est identique à celle de son père, et c’est à bord du Boeing 707 officiel Togo 01 que « le Jeune », comme l’appellent affectueusement certains de ses proches (il a pourtant 39 ans), s’est rendu récemment à Ouagadougou. Bref, rien, ou presque, n’a changé.
Pourtant, depuis sa démission, le 25 février, Faure Gnassingbé n’est plus président – si ce n’est du Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti au pouvoir. La fonction est assurée, à titre intérimaire, par un homme de 56 ans, Nordiste et musulman, Abass Bonfoh. Cet ancien professeur d’éducation physique, député RPT et ex-vice-président de l’Assemblée, a présidé à ce dernier titre aux diverses modifications constitutionnelles qui ont permis à Faure de succéder brièvement à son père. Depuis une semaine, c’est lui qui préside le Conseil des ministres d’un gouvernement nommé par Eyadéma et composé de femmes et d’hommes en totalité acquis à Faure. C’est lui aussi qui aura la charge d’organiser, pour le 24 avril, une élection présidentielle à laquelle le fils du « Vieux », décédé le 5 février, est bien évidemment candidat. Estimant que la configuration du scrutin, à un seul tour, lui donne toutes ses chances de l’emporter, Faure Gnassingbé est d’ailleurs déjà en campagne. Il dispose pour cela de moyens financiers, d’une machine partisane à sa dévotion, implantée sur tout le territoire, et d’une garde rapprochée structurée comme un commando. Y figurent Pascal Bodjana, ambassadeur du Togo à Washington ; Pitang Tchalla, incontournable ministre de la Justice ; Aboudou Assouma, président de la Cour constitutionnelle ; ainsi que l’omniprésent conseiller Charles Debbasch. Ce petit groupe, auquel il convient de joindre Kpatcha Gnassingbé, frère de Faure et patron de la Zone franche de Lomé, communique en son sein par notes, messages codés et courriels, dans la plus grande discrétion. Ses membres voyagent beaucoup – Accra, Ouagadougou, Tripoli, Dubaï… et toujours en secret. À l’évidence, le mystère est partie intégrante de la méthode Faure.
Pour déséquilibrée qu’elle puisse paraître en faveur du candidat Gnassingbé, la situation actuelle n’en est pas moins un retour clair à l’ordre constitutionnel d’avant le 5 février. La Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), qui a mené le combat pour la démission d’un « président investi » dont le péché originel fut d’avoir été adoubé par l’armée, ne pouvait donc pas faire moins que d’en prendre acte – et d’en tirer les conséquences. Résultat : après l’avoir encensée hier, l’opposition se dit aujourd’hui « déçue » par la médiation ouest-africaine, d’autant qu’après la levée des sanctions de la Cedeao, devrait suivre « dans les meilleurs délais » la réintégration du Togo dans les rangs de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Mais il y a déception et déception. Celle d’un Gilchrist Olympio par exemple, d’un Kofi Yamgnane ou d’un Agbéyomé Kodjo, écartés d’office de la compétition par le critère de résidence et qui auraient sans nul doute souhaité que les médiateurs exigent beaucoup plus du pouvoir – en l’occurrence une réforme, « positive » à leurs yeux cette fois, de la Constitution – risque d’être très vive. En revanche, tout en regrettant que la Cedeao n’ait pas « souscrit » à leur proposition d’un accord politique « qui aurait pu permettre de lever les mesures d’exclusion », Yawovi Agboyivo et Léopold Gnininvi semblent s’accommoder des termes classiques de l’accord électoral conclu le 28 février entre le gouvernement et l’opposition : observateurs internationaux, accès équitable aux médias, neutralité de l’administration, réduction du montant du cautionnement et, surtout, appel pressant à l’ONU et à l’Union européenne pour qu’elles « apportent d’urgence les ressources nécessaires à la tenue des élections ». Consciente que seul un candidat unique issu de leurs rangs est susceptible de mettre en danger l’héritier d’Eyadéma et que toute stratégie de boycottage serait suicidaire, la majorité des partis de l’opposition togolaise a donc choisi, par résignation, le réalisme. Quitte à laisser sur le carreau ceux que l’aller-retour de la Cedeao aura floués et piégés : Olympio, Natchaba et les autres…
Certes, tout est encore mouvant, y compris la date même de l’élection. Ce qui est sûr, cependant, c’est que Faure et ses proches entendent faire du dimanche 13 mars, jour des obsèques nationales du « Vieux » à Lomé (lequel sera ensuite inhumé à Pya), une démonstration de force. Organisées par Kpatcha Gnassingbé, les funérailles de celui qui dirigea le Togo pendant trente-huit ans se veulent grandioses. Togo 01 ira chercher des hôtes de marque en France, et des invitations ont été lancées à tous les chefs d’État de la région – exactement comme le faisait Eyadéma chaque 13 janvier, jour de la fête nationale. Comme quoi, au Togo, tout change pour que rien ne bouge. À moins que ce ne soit l’inverse.

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