Littérature jeunesse : l’Afrique sans complexe
Bientôt Noël ? Offrez des livres ! Il y en a pour tout le monde. Voici une sélection qui permettra aux petits, comme aux grands, d’en savoir plus sur le génocide des Tutsi du Rwanda, de mieux connaître Joséphine Baker… et d’affronter le racisme sans se démonter ! Bonne lecture.
Le grand voyage d’Alice, de Gaspard Dalmasse, La Boîte à Bulles, 144 pages, 23 euros
Le génocide des Tutsi du Rwanda est sans doute, parmi les drames qui ont frappé l’Afrique, l’un de ceux qui a le plus suscité de littérature. Essais, romans, pièces de théâtre, témoignages… Nombreux sont les auteurs qui ont essayé de dire l’indicible, de raconter l’horreur pour essayer de la comprendre. En bande dessinée, l’un des premiers artistes à se saisir – avec brio – du sujet fut le Belge Jean-Philippe Stassen, qui publia en 2000 Deogratias (Dupuis), puis prolongea son travail sur ce thème quelques années plus tard avec Pawa et Les enfants. D’autres auteurs suivirent, comme Pat Massioni, Alain Austini et Cécile Grenier (Rwanda 1994, Glénat BD) ou Patrick de Saint-Exupéry et Hippolyte (La Fantaisie des Dieux, Rwanda 1994, Les Arènes). Parmi d’autres.
Cette abondante production a un avantage : elle autorise la complexité de l’analyse par rapport à un événement historique récent dont on continue d’interroger les tenants et les aboutissants. Avec Le grand voyage d’Alice (La boîte à Bulles), le dessinateur belge Gaspard Dalmasse se penche à son tour sur l’histoire en narrant le parcours de sa propre épouse, Alice Cyuzuzo.
Maniant avec dextérité les ocres et les verts propres aux paysages rwandais, Dalmasse déroule le film de son récit à hauteur d’enfant, évitant tout didactisme. S’il distille, ici et là, des informations permettant de situer et de dater certains événements, la trajectoire d’Alice et de sa famille n’est vue qu’à travers les yeux de la petite fille, qui n’est jamais vraiment en capacité de mettre en perspective ce qui lui arrive.
Particularité remarquable de ce terrible récit : Alice et sa famille sont Hutu et l’album se concentre sur leur exil, après le génocide des Tutsi, vers le Congo voisin, et sur les tueries de masse dont furent victimes bien des civils. Émouvant et complexe, Le grand voyage d’Alice peut se lire avec des yeux d’enfants ; il doit aussi donner l’occasion d’explications adultes.
Joséphine. Joséphine Baker, la danse, la résistance et les enfants, de Patricia Hruby Powell et Christian Robinson, adapté de l’anglais par Laurana Serres-Giardi, Rue du monde, 108 pages, 19,50 euros
Aucun romancier n’aurait osé imaginer la vie de Joséphine Baker : impossible ! Incroyable ! Invraisemblable ! Et pourtant, chacun a pu, à l’occasion de l’entrée au Panthéon de cette grande dame, découvrir ses combats, depuis sa naissance en 1906 à Saint-Louis du Missouri à sa mort et ses funérailles grandioses à Paris en 1975 : « Un corbillard couvert de fleurs transporte lentement son cercueil à travers les rues de la capitale. Des centaines de policiers canalisent la foule émue. Une voix lance : – Elle est morte et immortelle. »
L’immortelle Joséphine Baker a souvent été racontée, et même récemment en bande dessinée par Catel & Bocquet (Joséphine Baker, Casterman, 2021). Mais comment résumer l’œuvre d’art que fut sa vie auprès d’un public plus jeune ? Connues pour leurs engagements humanistes, les éditions Rue du monde ont choisi d’adapter un livre de Patricia Hruby Powell et Christian Robinson qui revient sur toute l’histoire de l’artiste en 108 pages.
Si l’on regrettera l’abus de mots en lettres capitales inutiles, on se réjouira d’un texte facile d’accès qui aborde avec élégance même les questions les plus sensibles. « Dans la haute société, on se fait bronzer pour ressembler à Joséphine… Alors que Joséphine tente de blanchir sa peau avec du citron pour ressembler aux gens de la haute société ! », peut-on ainsi lire au détour d’une page. Un brin rétro, le dessin est vif et les pages éclatent de mille couleurs. Un album à mettre entre toutes les mains et qui rend hommage à cette France universaliste qui sut accepter une artiste noire à une époque où la ségrégation régnait avec violence aux États-Unis.
Awa, Faut qu’on change le monde, de Zélia Abadie et Gwenaëlle Doumont, Talent hauts, 66 pages, 11,90 euros
Vous ne la connaissez pas ? Normal, elle est toute jeune et vous n’êtes plus à l’école primaire. Mais vos enfants peut-être. Alors écoutez-la se présenter : « Je suis liégeoise-belge de ma naissance, guinéenne de ma maman et de ses parents, française, marseillaise de mon papa, mais aussi italienne, sicilienne des parents de mon papa. C’est pas compliqué, c’est magique. » Elle, c’est Awa.
Je m’en fiche des princesses, je m’en fiche de me marier, je m’en fiche du rose
Et comme le dit son père, elle n’a pas la langue dans sa poche : « Que ce soit bien clair, je m’en fiche des princesses, je m’en fiche de me marier, je m’en fiche du rose. Et je suis pas mignonne et je suis pas gentille avec tout le monde. » Autant d’affirmations que l’on pourra vérifier – et parfois même infirmer – au fil de ses aventures (d’une page) écrites par Zélia Abadie et dessinées par Gwenaëlle Doumont.
« Souvent, quand elle me dessine, son crayon me fait trop rire de chatouilles, nous dit encore Awa. Elle rit avec moi parce que j’ai un rire contaminateur (c’est ma maman qui le dit). » Bille en tête, les autrices de cet album vif abordent, la plupart du temps avec légèreté, parfois au bazooka, des problématiques actuelles comme le racisme ou la misogynie à travers des instants volés au quotidien. Un quotidien pétillant que l’on envie parfois, surtout quand Awa joue avec notre gourmandise : « J’ai trop de la chance. Je connais plein de plats. Les arancini de ma nonna Enza, les pieds-paquets de mon pépé Paolo, le riz au gras de ma grand-mère Fanta, les lasagnes de mon papa et le magret de canard aux mangues de ma maman. »
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