Femmes entre révolte et résignation

Si beaucoup d’Algériennes semblent se contenter des « avancées » du projet de réforme du code de la famille, les féministes crient au scandale. C’est sur la question du tutorat que se focalise le débat.

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Il est déjà tard, ce mardi 22 février, lorsque le Conseil des ministres aborde le troisième point d’une réunion sous la présidence du chef de l’État. Après la loi sur les hydrocarbures, la suppression du 19 juin (NDLR : anniversaire du coup d’État de Boumedienne destituant Ben Bella en 1965) de la liste des fêtes légales, c’est le code de la famille qui vient à l’ordre du jour. Contrairement aux précédents points, on ne parle pas de loi, mais d’ordonnance. L’avant-projet est examiné, puis approuvé par le Conseil des ministres. Quelques minutes plus tard, le communiqué officiel fait état d’« avancées » qui viennent « concrétiser un des engagements majeurs du président de la République en faveur de la promotion de la cellule familiale en général, et du statut de la femme en particulier ». Suit alors le détail de ces « avancées les plus significatives ».
La première d’entre elles fixe l’âge légal du mariage à 19 ans pour l’homme comme pour la femme. Auparavant, cette dernière pouvait se marier à 18 ans révolus, alors que l’homme devait attendre 21 ans. Vient ensuite la question de la tutelle matrimoniale. Dans le nouveau texte, la présence du tuteur (wali) est maintenue pour la femme qui souhaite se marier. Et c’est là que le bât blesse. Pour les féministes, il s’agit d’un revirement total du gouvernement qui avait avalisé la suppression du tutorat le 18 août dernier. Au final, la « nouvelle » disposition ne change pas grand-chose au texte existant. En effet, dans l’article 11 actuellement en vigueur, « la conclusion du mariage pour la femme incombe à son tuteur matrimonial, qui est soit son père, soit l’un de ses proches parents. Le juge est le tuteur matrimonial pour la femme qui n’en a pas ».
« Cet article diminue la valeur du consentement de la femme, déplore Nadia Aït Zai, juriste de formation et présidente du Centre d’information et de défense des droits de l’enfant et de la femme [Ciddef]. Or, aujourd’hui, on a inversé les choses. C’est la femme qui conclut son contrat de mariage, mais en présence de son tuteur. Cette disposition introduit une ambiguïté de plus. On s’interroge : comment va se traduire la présence du tuteur ? Est-elle simplement symbolique ? » En théorie, le wali ne peut empêcher la femme de contracter mariage si elle le désire et si cela « lui est profitable ». « Toutefois, lit-on dans l’article 12, le père peut s’opposer au mariage de sa fille vierge si tel est l’intérêt de sa fille. » De la même manière, dans le nouveau dispositif, le wali peut a priori empêcher un mariage en étant absent lors de la signature du contrat. La condition de la présence du tuteur est donc un « fer au pied », estime Nadia Aït Zai. « C’est comme si les femmes avaient toujours besoin d’une protection. » Pourtant, la présidente du Ciddef se défend d’être hostile à la famille. « Nous n’avons pas l’intention de rejeter nos parents, explique-t-elle. Mais nous voulons garder notre liberté si notre tuteur n’approuve pas notre union. »
Les avis divergent sur cette question. Si les associations féminines dénoncent à l’unanimité le maintien du tutorat qui fait de la femme « une mineure à vie », certaines Algériennes formulent un avis plus nuancé, à l’instar de Malika Koriche, ancienne combattante de la guerre de libération nationale. « Le père doit être présent au mariage de sa fille, surtout si la jeune fille se marie pour la première fois. C’est dans l’islam, affirme l’ancienne moudjahida. C’est mieux que si la femme est libre et se retrouve seule à son mariage. La famille, c’est important. Si mon père n’avait pas accepté mon union, j’aurais renoncé. »
Malika Koriche reconnaît tout de même que « la jeune génération a changé ». Mais elle juge que, dans l’ensemble, le nouveau texte est « une bonne chose » pour la femme algérienne, au moins pour la question du divorce. Auparavant, en cas de séparation, le domicile conjugal unique revenait de droit au mari.
Cet article, fortement décrié par les militantes, entraînait souvent des situations dramatiques. La femme divorcée pouvait se retrouver à la rue avec ses enfants. Désormais, le nouveau texte prévoit « l’obligation pour l’époux d’assurer le logement à ses enfants mineurs dont la garde est confiée à la mère ». Mais une nouvelle fois, l’ambiguïté de la formulation interpelle les féministes. Dans un pays où la crise du logement est littéralement endémique, le sujet est crucial. « Cette question va devenir l’enjeu de batailles juridiques entre les deux parents, commente Louisa Aït Hamou, membre du réseau d’associations féminines Wassila. Chacun réclamera la garde pour conserver le logement. J’estime qu’on n’a pas cherché l’intérêt des enfants. »
Malgré les faiblesses d’un texte qui n’a pas encore été publié dans son intégralité, la plupart des Algériennes semblent se contenter des modifications annoncées. « Il est tout à fait normal qu’une jeune femme se marie en présence de son tuteur, indique Najjat Belbachir, chef d’entreprise à Oran. Il est responsable d’elle et peut être un accompagnement. C’est dans nos traditions. Maintenant, pour une femme divorcée ou d’un certain âge, c’est excessif. Mais je pense qu’on ne peut pas tout demander d’un coup. On ne peut pas, comme ça, aller d’un extrême à l’autre. Il faut que ça change petit à petit. »
En attendant un changement en profondeur, d’autres évolutions sont prévues dans l’avant-projet d’ordonnance. La polygamie est maintenue, mais soumise à de nouvelles restrictions. L’accord préalable de toutes les épouses sera aussi nécessaire que l’autorisation du président du tribunal qui devra « vérifier le consentement ainsi que les motifs et l’aptitude de l’époux à assurer l’équité et les conditions nécessaires à la vie conjugale ». Le mariage par procuration est également supprimé. Alors que, jusqu’à présent, l’épouse devait « obéir à son mari » et lui « accorder des égards en sa qualité de chef de famille », « l’équilibre en droits et en devoirs entre les deux époux » est désormais rétabli. Mais cela ne suffit pas pour les féministes : « La suppression de la tutelle est essentielle si on veut parler d’égalité, s’insurge Louisa Aït Hamou. C’est vrai qu’on ne peut pas changer les mentalités en vingt-quatre heures, mais là, après tant de promesses, on ressent ça comme une insulte. » Qu’à cela ne tienne, les femmes n’ont pas dit leur dernier mot. La lutte continue.

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