Et Zaynab créa Marrakech
L’écrivain-journaliste Zakya Daoud s’essaie avec bonheur à la fiction, réécrivant une des plus belles pages du XIe siècle arabo-andalou.
Il était une fois un lieu magique né de la rencontre fusionnelle de la montagne et de la plaine, du vent du sud et du sable du désert. Des nomades décident de s’y fixer. Ainsi naquit le berceau de la future Marrakech, en l’an 1062… Héritage immémorial légué par Zaynab, fondatrice et reine de la cité marocaine, dont elle a choisi le nom et l’emplacement : « Dans ce long espace de lumière, borné d’un côté par les neiges, de l’autre par le feu, tout se transforme en une seconde. »
L’histoire a été écrite par les hommes, mais elle a aussi été faite par les femmes, héroïnes, pionnières ou inspiratrices, qui ont souvent changé le cours des destinées humaines. Zaynab Nefzaouia a épousé en quatrièmes noces Youssef Ibn Tachfin, le père de la dynastie almoravide, et a contribué à édifier à ses côtés un immense empire. Aragon disait que la femme est l’avenir de l’homme ; Zaynab, elle, a fait entrer Youssef dans la postérité.
Après avoir publié des essais et des biographies, l’écrivain-journaliste Zakya Daoud s’essaie avec bonheur au genre romanesque, restitue un pan occulté de l’Histoire du XXIe siècle arabo-musulman. Vérité et fiction se mêlent subtilement dans cette oeuvre où la légende supplée parfois à l’histoire, et où l’imagination de l’auteur fait le reste. À l’image des sentiments de Zaynab et Youssef, tout en pudeur et en retenue, le style limpide et sobre lui confère une évidente qualité littéraire.
Le livre s’ouvre sur l’ultime entrevue entre Zaynab et Youssef au soir de sa vie, puis se développe en flash-back. Née en 1039 à Aghmat – petit village niché dans la vallée de l’Ourika, au pied de l’Atlas -, l’héroïne reçoit de son père une éducation éclairée, se nourrit de lectures, participe aux conversations politiques dès son plus jeune âge et grandit avec une soif de savoir jamais assouvie. À la fois supérieurement belle et intelligente, magicienne selon certains, elle ne pouvait qu’avoir un destin exceptionnel. Le lecteur suit l’itinéraire et l’ascension d’une femme mariée très jeune à un chef de tribu puis répudiée, remariée puis veuve, butin de guerre et esclave dans le harem d’Abou Bakr qui l’épouse et la cède ensuite à Youssef Ibn Tachfin. Il sera son quatrième et dernier mari, en même temps que son unique amour.
Malgré leur grande différence d’âge, Zaynab découvre enfin avec lui « la soumission de la chair, sa violence, ses morts et ses résurrections, l’abandon à la volupté ». Le couple vit une vraie passion mais sans jamais se laisser déborder par elle, laissant son destin individuel et l’histoire collective se mêler indissolublement. En la replaçant dans son contexte historique, l’intrigue amoureuse devient secondaire, et les amours de Zaynab et Youssef, sacrifiées, cèdent à la raison d’État.
Lorsqu’ils se marient, le royaume est encore petit et divisé. Le souverain almoravide n’en est qu’aux débuts de sa vaste entreprise de conquêtes. Il étendra son empire de l’Atlantique à la Kabylie, de la Méditerranée au Sud-Sahara, en passant par l’Andalousie. Redoutable stratège et conseillère politique avisée, Zaynab contribuera à cette irrésistible expansion.
En l’absence de son époux parti à la guerre – et à la différence d’une Pénélope attendant patiemment le retour d’Ulysse -, cette femme de coeur et d’esprit, aussi forte que vulnérable, gouverne avec fermeté Marrakech, campement nomade devenu au fil du temps une cité prospère et la capitale du Sud marocain.
À travers la sobriété picturale des descriptions et leur forte charge poétique, on devine en filigrane un hommage à la ville et à sa région, notamment l’édénique vallée de l’Ourika que connaît bien Zakya Daoud et où elle a vécu. Il s’en dégage une complicité et même une empathie entre l’auteur et son héroïne.
Les thèmes universels – amour, guerre, dynastie, religion -, les luttes fratricides, le destin d’une famille à travers les générations et les passions des peuples font de cette saga un véritable Guerre et Paix à l’orientale. L’auteur réécrit l’une des plus belles pages de l’histoire arabo-andalouse du xie siècle. Sous le long règne éclairé de Ibn Tachfin, on assiste à l’apogée d’une civilisation. Le temps passe et la vieillesse arrive, Youssef transmet la souveraineté à l’un de ses fils et s’éteint, laissant sa reine à son chagrin solitaire. Après lui, l’empire décline. « Nés du sable, les Almoravides retournent au sable, et à l’oubli. Seules se dégagent, pour la nuit des temps, de ce rêve brisé, les nobles figures de Youssef Ibn Tachfin et de Zaynab Nefzaouia. »
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