Enfin, la paix ?
L’adoption d’une nouvelle Constitution ouvre la voie à la tenue d’élections et à un partage du pouvoir plus équitable entre Hutus et Tutsis.
L’espoir renaît à Bujumbura, la capitale burundaise. Espoir de voir s’achever positivement la période de transition ouverte le 1er novembre 2000, avec l’approbation par référendum de la nouvelle Constitution, le 28 février. Malgré la résistance des partis tutsis, qui avaient appelé à voter « non », le « oui » l’a emportéavec plus de 91 % des voix. Espoir de voir s’organiser l’échiquier politique sur une base démocratique, les différents courants de pensée s’exprimant par la voix de formations politiques organisées, représentatives de la population dans son ensemble, dans le respect des droits civiques et humains. Espoir, enfin, de voir désormais les pouvoirs équitablement répartis, dans un consensus librement accepté par tous, loin du jeu des ambitions personnelles et des hégémonies ethniques.
Au point d’équilibre, la Loi fondamentale. Le texte, finement ciselé durant des mois par un pool de spécialistes constitutionnels, avec l’aide des médiateurs sud-africains et de l’Opération des Nations unies au Burundi (Onub), définit par le menu les rapports de force entre partis politiques, et entre Tutsis et Hutus, les deux principales ethnies du pays. Le président de la République sera désormais élu au suffrage universel direct – sauf pour ce premier mandat, confié au vote du Parlement. Le chef de l’État devra être assisté de deux vice-présidents appartenant à des ethnies et des partis politiques différents. L’Assemblée nationale, formée d’une centaine de députés élus pour cinq ans, ainsi que le gouvernement, seront composés à 60 % de Hutus et à 40 % de Tutsis, ce qui donne un peu plus de poids à ces derniers, puisqu’ils ne représentent que 14 % de la population totale. Les Twas (1 % de la population) pourront coopter trois représentants.
La Constitution garantit également le retour à un État de droit par la réforme des institutions judiciaires et de l’armée, laquelle intègre désormais tous les anciens mouvements rebelles, sauf un, le Parti pour la libération du peuple hutu/Forces nationales de libération (Palipehutu/FNL), conduit par Agathon Rwasa. La parité ethnique sera de mise dans tous les corps habillés.
Première des sept consultations qui devront mener, avant la fin de l’année 2005, à la désignation du président de la République, le référendum s’est déroulé – sous haute surveillance de l’Onub – dans de bonnes conditions. Malgré l’inquiétude affichée par le principal parti tutsi, l’Union pour le progrès national (Uprona) de l’ancien chef de l’État Pierre Buyoya, les observateurs électoraux et la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ont estimé que le scrutin avait été « libre et transparent ». « On vit en conflit depuis 1993. Cela nous a menés à une période noire. Aujourd’hui, c’est l’ère de la démocratie », qui s’ouvre pour le Burundi, a déclaré l’actuel président burundais, Domitien Ndayizeye. La dernière rébellion encore active dans la région de Bujumbura, le Palipehutu/FNL, n’a commis aucun acte de violence en cette journée, considérée comme historique. Cette milice, affaiblie par les luttes internes, est désormais complètement lâchée par ses alliés historiques, le Comité national pour la défense de la démocratie/Forces de défense de la démocratie (CNDD/FDD) dont le leader, Pierre Nkurunziza, est aujourd’hui ministre d’État.
On mesure, à ce stade, le chemin parcouru depuis 1993, date à laquelle le premier président hutu élu, Melchior Ndadaye, a été assassiné. Le pays s’était enfoncé dans une vague de violences pire que celles qu’il avait connues dans les années 1970 et 1980 : coups d’État à répétition, rébellions armées et répressions. Cette guerre civile fera quelque 300 000 victimes, des civils principalement. En 1999, une médiation est entreprise par le président tanzanien Julius Nyerere, grande figure du panafricanisme. À son décès, Nelson Mandela prend le relais. En 2000, il parvient à faire signer un cessez-le-feu à trois des cinq principaux mouvements rebelles.
C’est l’accord d’Arusha, qui définit pour la première fois un plan de paix et de partage équitable des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Un gouvernement de transition est mis en place le 1er novembre 2001, qui prévoit une alternance ethnique et politique au sommet de l’État, avec deux tranches de dix-huit mois devant conduire, à terme, aux élections générales. La première est conduite par Pierre Buyoya (Tutsi) assisté d’un vice-président hutu, Domitien Ndayizeye. La seconde, toujours en cours, est assurée par Ndayizeye, flanqué d’un vice-président tutsi, Alphonse Kadege dans un premier temps, puis Frédéric Ngenzebuhoro.
Cet attelage est mis en place alors que la rébellion persiste, alimentée par deux tentatives de putsch violemment réprimées. Nelson Mandela, malade, cède sa place à Jacob Zuma, le vice-président sud-africain, mais la médiation se poursuit. Le 15 novembre 2003, un pas décisif est accompli avec la signature d’un accord de paix avec le CNDD/FDD de Pierre Nkurunziza, dit « protocole de Pretoria ».
Il prévoit, entre autres, la mise en place d’une stricte parité ethnique dans l’armée, où 40 % des postes dans la hiérarchie militaire seront occupés par des ex-combattants des FDD. Outre l’immunité pour les militaires comme pour les civils, les membres du CNDD/FDD obtiennent quatre portefeuilles ministériels, dont l’un est un « ministère d’État », sans domaine d’attribution, dévolu à Pierre Nkurunziza. La rédaction de la nouvelle Constitution puis l’organisation du référendum ont pris plus de temps que prévu. Et prolongé de six mois la période de transition, avec l’accord de toutes les parties en présence et sous les auspices des Sud-Africains et de l’Initiative régionale des pays des Grands lacs, présidée par le chef de l’État ougandais, Yoweri Museveni. Entre-temps, l’Union africaine n’est pas demeurée inactive, plaçant à Bujumbura des conseillers spéciaux et, en avril 2003, une Mission africaine au Burundi (Miab), composée de soldats mozambicains, éthiopiens et sud-africains chargés du maintien de la paix. Fin mai 2004, les Casques bleus des Nations unies sont venus leur prêter main-forte.
Mais si le Burundi semble désormais sur la voie de la normalisation, le débat politique se cantonne encore exclusivement au partage du pouvoir et aux quotas politico-ethniques. Le volet économique et social est rarement évoqué, bien que l’accord de paix d’Arusha de 2000 touche aussi la justice, la réconciliation et la reconstruction. Il reste, dans ces domaines, de nombreuses questions à régler, notamment en ce qui concerne la sécurité. Le processus de Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) est en cours depuis le 2 décembre 2004, et les Forces de défense nationale ainsi que la police sont prêtes à accueillir les ex-combattants. Mais tout ne se déroule pas aussi facilement que prévu.
D’une part, l’arrivée au sein d’un même corps d’armée d’individus qui, hier, se battaient les uns contre les autres avec acharnement ne peut se faire sans anicroches. D’autre part, la politique n’a pas encore déserté ni les casernes ni les campements et conditionne toujours la bonne marche de la DDR. La restructuration des corps habillés ne doit pourtant pas être tributaire du résultat des élections. Elle doit demeurer technique et dépendre entièrement de l’accord d’Arusha. C’est l’une des conditions sine qua non pour baliser la voie de la démocratie et, surtout, de la concorde civile.
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