Bush-Sharon : le deal
Le président américain accepte de mettre la pression sur l’Iran et la Syrie, ennemis irréductibles d’Israël. Mais il souhaite obtenir en échange de son allié d’importantes concessions sur le dossier palestinien.
George W. Bush a parlé, mais ses actes suivront-ils ses paroles ? C’est la question que se posent tous ceux qui s’intéressent à la paix au Proche-Orient. Le 2 février, dans son discours sur l’état de l’Union, le président américain a déclaré que son objectif était « deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivant en paix côte à côte ». À Bruxelles, le 21 février, il a introduit dans son propos une nuance d’urgence : « Notre priorité et notre but immédiat, c’est la paix au Proche-Orient. » Il souhaite la formation d’un « nouvel État palestinien, qui soit véritablement viable, avec un territoire d’un seul tenant, en Cisjordanie ». À l’en croire, « un État composé de territoires morcelés ne fonctionnerait pas ». Israël, a-t-il dit, doit cesser de créer des colonies. Bush n’avait jamais été aussi explicite. Qu’a-t-il donc en tête ?
1. Le chef de l’exécutif américain paraît enfin avoir compris la nature du conflit israélo-palestinien, ce qui laisse à penser que quelqu’un la lui a expliquée. Qui ? Est-ce Condoleezza Rice, la nouvelle secrétaire d’État ? Ou bien Tony Blair, le Premier ministre britannique ? Ce dernier est beaucoup intervenu auprès de Bush sur la question palestinienne. L’ayant soutenu sur l’Irak, il attend à présent sa récompense politique : il en a le plus grand besoin à l’approche des élections générales, qui auront probablement lieu le 5 mai. Dans un entretien avec le Financial Times, le 26 janvier, Blair annonçait une « évolution » de la position américaine sur la question. « Vous constaterez dans les prochaines semaines que l’Amérique va fixer une orientation très claire », disait-il. Assistons-nous aux prémices de cette « évolution » ?
2. Bush semble enfin admettre que pour gagner la « guerre mondiale contre le terrorisme » il est indispensable de faire le maximum pour régler le conflit arabo-israélien. C’est déjà un changement par rapport à l’époque où Washington refusait d’admettre l’existence d’un lien quelconque entre la politique américaine au Proche-Orient et les attentats terroristes.
3. On peut inférer de son discours de Bruxelles que Bush est désormais convaincu que l’amélioration de ses relations avec l’Europe – qu’il semble réellement vouloir – dépend des progrès de la paix au Proche-Orient. C’est aussi ce qu’avait laissé entendre Michel Barnier, le ministre français des Affaires étrangères…
4. Le président américain est sans doute en train de prendre ses distances vis-à-vis d’Ariel Sharon. Après le 11 septembre 2001, le Premier ministre israélien était parvenu à le mettre dans sa poche en assimilant la résistance palestinienne au terrorisme international. Il en avait profité pour multiplier les créations de colonies, en dépit de toutes les mises en garde américaines. Bush est-il en train de réaffirmer son autorité sur un allié abusif ? On peut raisonnablement l’espérer.
Si ces conclusions sont justes, il s’agirait d’un changement important des conceptions de la Maison Blanche. Et l’indice du recul – au moins sur ce point – de l’influence des néoconservateurs pro-israéliens, qui occupent des positions clés au Pentagone et dans le cabinet du vice-président. En fait, il semble qu’un compromis soit en train de prévaloir. Les États-Unis acceptent de mettre la pression sur la Syrie et sur l’Iran, à la grande satisfaction d’Israël, mais, en échange, ils veulent des concessions israéliennes sur le dossier palestinien.
Ce que semble dire Bush à Sharon est que l’évacuation de Gaza et de quatre avant-postes dans le nord de la Cisjordanie ne suffira pas. Et que les colons, qui, selon toute apparence, s’opposeront à l’opération – au besoin par la violence -, devront être mis au pas. Le retrait de Gaza doit être suivi, le moment venu, du retrait de Cisjordanie. Ce sera le véritable test de « l’évolution » de la politique américaine annoncé avec beaucoup d’optimisme par Blair. Ce sera aussi le test de la volonté politique de Bush. Tant que la plus grande partie des colonies n’aura pas été évacuée, il n’y aura pas d’État palestinien viable sur un territoire d’un seul tenant, en Cisjordanie – et, par conséquent, pas de paix.
Vieux partisan de la paix, l’Israélien Uri Avneri connaît son Sharon sur le bout des doigts. Et il ne croit pas une seconde que le Premier ministre israélien ait changé. « Si les blocs de colonies qui ont été créés sont annexés à Israël, le territoire palestinien sera découpé en plusieurs enclaves, peut-être quatre, peut-être six. La bande de Gaza, ce ghetto, constituera une autre enclave. Toutes seront entourées de colonies et d’installations militaires ; et donc coupées du monde extérieur », écrivait-il, la semaine dernière.
Ce n’est manifestement pas ainsi que Bush voit les choses. S’il croit à ce qu’il dit, il n’a pas de temps à perdre. Sharon veut accélérer la construction de la barrière de sécurité, qui absorbera entre 7 % et 8 % de la Cisjordanie. Il aménage aussi d’importantes colonies entre ladite barrière et la frontière de 1967. Parallèlement, la coupure se renforce ente Jérusalem-Est, dont les Palestiniens veulent faire leur capitale, et la Cisjordanie.
La conférence de soutien à l’Autorité palestinienne que Tony Blair a accueillie à Londres, le 1er mars (voir encadré page 19), n’empêchera pas Israël de s’approprier de nouvelles parcelles de territoires. Mais elle aura rappelé à Sharon que les États-Unis, comme la plupart des pays, se sont engagés à faire adopter la solution des deux États. Les colonies juives qui font obstacle à cette solution devront un jour ou l’autre disparaître. La présence dans la capitale britannique de Condoleezza Rice, de Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, et de Javier Solana, le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, devrait faire clairement comprendre à l’opinion israélienne que le moment des « décisions difficiles » approche à grands pas.
Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, qui était lui aussi à Londres, est bien décidé à démontrer que, malgré l’attentat suicide du 25 février à Tel-Aviv, les Palestiniens sont capables de réformer leurs institutions. Son message est que le moment est venu de faire la paix, mais seulement si, de son côté, Israël est prêt à en payer le prix en mettant fin à l’occupation.
Le président Bush a peut-être découvert les données essentielles du conflit israélo-palestinien, mais il est loin d’avoir compris que la Syrie doit, elle aussi, participer au processus de paix. Faute de quoi il n’y aura pas de véritable paix dans la région.
L’une des raisons pour lesquelles ce pays s’est accroché aussi longtemps au Liban – en fait, la principale raison de la crise dans les relations entre les deux pays – est qu’elle croit devoir à tout prix empêcher le Liban de conclure une paix séparée avec Israël. Une paix séparée enterrerait en effet les revendications syriennes sur le Golan et, en ouvrant la porte à l’influence israélienne à Beyrouth, exposerait Damas à un péril mortel.
Les Syriens n’ont pas oublié qu’en 1982, après que Tsahal eut envahi le Liban, les États-Unis et Israël ont tenté de placer Beyrouth dans l’orbite de l’État hébreu : c’est le sens de l’accord du 17 mai 1983. La Syrie et ses alliés libanais ont réussi à faire capoter cet accord et à arracher le Liban à l’emprise israélienne. Elle ne laissera pas une telle menace se profiler à nouveau.
Tous ces problèmes trouveraient une solution si Washington admettait que le processus de paix au Proche-Orient est un tout qui ne peut être morcelé. Il faut que tous les intéressés y participent et que toutes les revendications soient examinées.
La grande erreur de la politique des États-Unis dans la région est la diabolisation de la Syrie, de même d’ailleurs que de l’Iran. Ces deux puissances ne se soumettront pas aux diktats américains ou israéliens. Elles ont des intérêts qui doivent être pris en compte. Si l’Amérique veut se sortir honorablement du sanglant bourbier irakien et chercher sincèrement une solution au conflit israélo-palestinien, elle doit nouer des contacts avec Téhéran et avec Damas et ne pas chercher à leur imposer ses oukases.
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