Bozizé, Kolingba, Goumba et les autres

Après deux ans de transition, le pays organise le 13 mars l’une des présidentielles les plus ouvertes de son histoire. Onze candidats sont en lice.

Publié le 7 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

Et si ces élections étaient libres ? Bien sûr, les candidats n’ont pas tous les mêmes moyens. Le président Bozizé fait campagne dans son avion et les autres en 4×4. « Comme par hasard, tous les avions civils et militaires sont en panne », dit le vice-président Abel Goumba d’un ton acide. Bien sûr, il y aura de multiples tentatives de fraude le 13 mars prochain, à la présidentielle comme aux législatives. Mais certains partisans de François Bozizé ont peut-être commis une erreur qui pourrait bien empêcher leur champion de faire des élections sur mesure. Le 30 décembre dernier, la Cour constitutionnelle de transition a exclu sept candidats pour des motifs fantaisistes.
Le bulletin de santé de l’ancien Premier ministre Martin Ziguélé indique qu’il est « apparemment » en bonne santé. « Il y a donc un doute et sa candidature ne peut être validée », ont estimé des juges aussi zélés que maladroits. La manoeuvre était si grossière qu’elle a tourné court. Le 22 janvier, après trois semaines de bataille et une médiation d’Omar Bongo Ondimba, le collectif des candidats de l’opposition a obtenu le repêchage de six des sept invalidés. Seul exclu : l’ancien président Ange-Félix Patassé. Poursuivi par la justice centrafricaine, il vit en exil à Lomé. « Le camp Bozizé a dégainé trop vite. Maintenant, il ne pourra plus nous prendre par surprise », se réjouit un candidat de l’opposition aux législatives.
De fait, dans la bataille de janvier, les opposants ont marqué un autre point. Ce n’est plus la Cour constitutionnelle, mais la Commission électorale mixte indépendante (Cemi) qui organisera le scrutin et proclamera les résultats. Or cette structure est présidée par un homme farouchement indépendant, le magistrat Jean Willybiro-Sako, 58 ans. Si l’on ajoute à cela le bulletin unique et le procès-verbal de vote distribué aux représentants de tous les postulants dans chacun des 4 200 bureaux de vote du pays, le scrutin sera sans doute plus transparent que celui de 1999.
Autre nouveauté, le Nord est divisé cette année. Le Nord cotonnier représente au moins un quart de l’électorat. Depuis la première victoire de Patassé en 1993, c’est la clé de l’élection. Cette fois, trois poids lourds tentent de capter l’héritage patassiste. D’abord Bozizé, 58 ans. Ses atouts ? Depuis son arrivé au pouvoir par les armes il y a deux ans, il a ramené un début de sécurité à Bangui. « Du temps de Patassé, à la moindre alerte, les gens rentraient chez eux en courant. Plus maintenant », dit un Banguissois. Mais les coupeurs de routes continuent de sévir en province.
Le nouveau président a amené l’électricité dans quelques hôpitaux et remis en service des unités de filage et d’égrenage de coton. Et il bénéficie du soutien officiel du MDD (Mouvement pour la démocratie et le développement) du défunt David Dacko, bien implanté dans le Sud. Ses handicaps ? Il n’a pas de parti, et le cafouillage de janvier montre qu’il n’est pas très bien entouré. Dans ses meetings, tee-shirts et pagnes à son effigie ou à celle de son épouse Monique sont distribués à profusion au cri de « Centrafricain, lève-toi », mais un opposant se souvient que, en 1993, beaucoup de paysans prenaient les tee-shirts à l’effigie du président Kolingba puis allaient habiller les cochons avec. Kolingba fut éliminé dès le premier tour…
Autre poids lourd du Nord, Martin Ziguélé, 48 ans. Le dernier Premier ministre d’Ange-Félix Patassé a été blanchi par la justice. Il bénéficie d’une formidable machine électorale, la meilleure du pays : le Mouvement de libération du peuple centrafricain (MLPC). À son retour à Bangui, le 27 février dernier, la foule était si nombreuse qu’il a mis quatre heures pour parcourir les quatre kilomètres qui séparent l’aéroport de son domicile. Mais son parti est désorienté. Sa candidature est désavouée par Patassé, qui prône le boycottage. Et il doit affronter un autre candidat issu du MLPC, l’ancien ministre de la défense Jean-Jacques Démafouth.
Dans le Nord, il faut aussi compter avec Jean-Paul Ngoupandé, 53 ans. Homme de caractère, il a tenu tête au président Patassé quand il fut son Premier ministre de cohabitation en 1996-1997. Homme de dialogue, il est l’un des rares qui peut parler aujourd’hui avec tout le monde ou presque. Mais sa formation politique, le Parti de l’unité nationale (PUN), est très loin d’être aussi bien implanté que le MLPC.
Le Nord est si divisé que l’impensable peut arriver : l’élection arbitrée par un candidat non nordiste. André Kolingba va mieux. Le 27 février dernier, quand il est descendu de l’avion en provenance de Paris – le même que celui de Martin Ziguélé – il est apparu souriant et en bonne forme physique. L’ancien chef de l’État, 68 ans, n’a plus les traits amaigris. Et la foule qui l’attendait à l’aéroport a dû le doper un peu plus. Avec la communauté yakoma et son parti, le Rassemblement démocratique centrafricain (RDC), il peut compter sur 10 % à 15 % des voix. Il espère faire plus. Après tout, durant les premières années de sa présidence, les fonctionnaires étaient payés tous les mois. Aujourd’hui, ses partisans reprennent un cantique religieux où il est question d’accompagner Noé jusqu’à l’arche… Mais beaucoup de Centrafricains n’ont pas oublié la tribalisation de l’armée au profit des Yakomas dans les années 1980, ni les terribles ravages provoqués par sa tentative de putsch de mai 2001.
Autre candidat, et candidat de toujours… Abel Goumba. Slogan de campagne : « les mains propres ». Il est vrai que son intégrité est reconnue de tous. L’éphémère Premier ministre du général Bozizé fait le pari que les gens du Nord sont traumatisés par la guerre civile de 2003 et ne voteront pas nécessairement pour un des leurs… Reste son âge, 78 ans. « Vous savez, je ne marche pas avec une canne, et tous ceux qui pensaient que j’allais claquer doivent être déçus ! Au contraire, cette campagne est pour moi une cure de jouvence », dit-il pour conjurer le temps qui passe.
A priori, les six autres candidats pèsent moins lourd. Mais attention à l’électeur centrafricain. Il est volatil ! L’avocat Henri Pouzère a tout de même réuni plus de 4 % des voix au dernier scrutin. L’un des plus farouches opposants de Patassé, Charles Massi, tente aussi sa chance une seconde fois. L’audience de Jean-Jacques Démafouth est difficile à évaluer. Quant aux candidatures du pasteur Josué Binoua, d’Auguste Boukanga et d’Olivier Gabirault, elles ne devraient pas changer la donne… À moins d’un scrutin très serré au second tour.
En fait, beaucoup de Centrafricains sont persuadés que, à moins de frauder, personne ne pourra gagner dès le premier tour. Certes les partisans de Bozizé crient : « Premier tour, un temps » ; et ceux de Ziguélé : « Premier tour, K.-O. », mais le paysage politique est tellement émietté que beaucoup parient sur un second tour. Dans cette hypothèse, deux logiques sont possibles. Soit un rassemblement de tous contre Bozizé – à condition bien entendu que celui-ci franchisse le premier tour. Soit une alliance de tous les Nordistes – les « savaniers » – contre un Kolingba ou un Goumba. Le jeu est très ouvert.
Mais au-delà du 13 mars, les Centrafricains pensent déjà à l’après-scrutin. Tous ont en mémoire la série de mutineries après l’élection de Patassé en 1993 et la guerre civile après sa réélection en 1999. « Nous sommes d’autant plus inquiets que les armes qui circulent sont beaucoup plus nombreuses qu’il y a dix ans », souligne un commerçant banguissois. Autre facteur d’instabilité : l’exil de Patassé. Visiblement, l’ancien président ne pense qu’à sa revanche. « Si je ne suis pas élu, les Banyamulengués reviendront », lâche Bozizé dans ses meetings. Allusion aux combattants de Jean-Pierre Bemba, chef de file du Mouvement de libération du Congo (MLC) qui sont venus à la rescousse de Patassé entre 2001 et 2003 au prix d’assassinats et de viols dans la capitale centrafricaine. La phrase du candidat-président est lourde de sens. Elle peut justifier aussi le retour des « libérateurs » pro-Bozizé…
Pour chasser les fantômes du passé, « le vainqueur de l’élection, quel qu’il soit, devra composer avec ses adversaires », dit Jean-Paul Ngoupandé. Mais avant toute chose, l’élection devra être réellement libre, donc incontestable. « Il y a eu des avancées ces deux derniers mois, mais je reste méfiant », dit Abel Goumba. Beaucoup de Centrafricains comptent sur la communauté internationale et ses observateurs pour dissuader les apprentis fraudeurs du 13 mars prochain.

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