Un sommet pour rien ?

Les chefs d’État réunis à Abuja ont surtout abordé le dossier de la représentation du continent au Conseil de sécurité de l’ONU. Et remis à plus tard les questions sensibles : Côte d’Ivoire, Darfour, RD Congo…

Publié le 7 février 2005 Lecture : 5 minutes.

« Nous avons décidé de nous réunir à huis clos dès la fin de la cérémonie d’ouverture, car d’importantes questions étaient à l’ordre du jour », a confié, pressé, un chef d’État d’Afrique centrale. Quels sont donc ces dossiers si délicats qui ont animé les débats du quatrième Sommet de l’Union africaine (UA), les 30 et 31 janvier à Accra ? La crise ivoirienne ? Le millier de victimes quotidiennes en RD Congo ? Le million de déplacés du Darfour ? Rien de tout cela… Les participants se sont bornés à évoquer le calendrier des prochaines assises de l’organisation, la représentation du continent au Conseil de sécurité des Nations unies après son élargissement, les liens entre le Nepad et l’UA et, enfin, la répartition régionale des sièges des différentes institutions continentales.
À la baguette, le chef de l’État nigérian Olusegun Obasanjo a tranché avec ses pairs sur le choix du pays hôte et la fréquence des conclaves de l’UA. Khartoum, initialement pressenti pour accueillir celui de juillet prochain, a fini par se désister au profit de la Jamahiriya libyenne – conflit du Darfour oblige. Ce qui n’a pas empêché certains de revenir sur une résolution prise à Maputo, en 2002 : un sommet sur deux serait organisé à Addis-Abeba, pour rentabiliser les 100 millions de dollars investis dans la construction du nouveau siège de l’organisation. Le Sénégal et le Niger émettent des réserves. Pour le président Mamadou Tandja, « le meilleur moyen de rapprocher notre organisation des populations est de faire en sorte qu’elle quitte son siège le plus souvent possible ».
L’assemblée a coupé la poire en deux. La Conférence deviendra semestrielle, le sommet d’étape de janvier devenant sommet ordinaire avec, pour cadre, la capitale éthiopienne. Mais, première exception, le Soudanais Omar el-Béchir précise : « Si nous nous sommes désistés pour la prochaine rencontre, cela ne signifie pas que nous renoncions à vous accueillir. Je vous invite à venir à Khartoum pour le sommet de janvier 2006. Nous serions très heureux de vous recevoir, d’autant que cela coïncidera avec le cinquantième anniversaire de notre indépendance [janvier 1956, NDLR]. Et que cet événement mérite une décision exceptionnelle de votre part. » L’argument fait mouche. Le calendrier des prochaines assises (voir éclairage ci-contre) est adopté, avec cette innovation : la présidence de l’organisation n’échoit plus automatiquement au chef d’État qui accueille ses pairs. L’UA échappe à la présidence de l’imprévisible Kadhafi, hôte du sommet de juillet prochain à Syrte. Autre décision : la prorogation de six mois, à titre exceptionnel, du mandat d’Obasanjo, qui reste président en exercice jusqu’à janvier 2006.
Les chefs d’État ne s’accordent pas en revanche sur la représentation du continent au Conseil de sécurité des Nations unies, dont les membres doivent passer de quinze à vingt-quatre. Deux thèses s’affrontent : la première, qui suggère deux représentants permanents disposant d’un droit de veto, a la préférence de l’Afrique australe et de l’Ouest, réunies autour des candidatures sud-africaine et nigériane. La seconde s’inspire d’une résolution prise en 1997 par le sommet de Harare, et qui recommandait l’élargissement du Conseil de sécurité à cinq pays africains disposant d’un mandat de quatre ans non renouvelable et sans droit de veto. Le président botswanais, Festus Mogae, invite ses homologues à plus de réalisme : « Il est plus facile d’exiger que d’obtenir. On peut demander tout ce qu’on veut, mais il y a peu de chance que la communauté internationale accorde le droit de veto à notre continent. » L’Algérien Abdelaziz Bouteflika penche pour la seconde solution. Car elle « répond au souci de notre continent de disposer d’une représentation adéquate et conforme à ses traditions en faveur d’une rotation dans la participation aux travaux du Conseil de sécurité. Naturellement, la réforme devra prévenir tout recours abusif au droit de veto. » Bouteflika sera soutenu par Hosni Moubarak sans pour autant rejeter la première solution. Le débat s’enlise. Le dossier est confié à un comité de réflexion regroupant quinze pays, qui se rencontreront le 20 février 2005 à Mbabane, au Swaziland. Cette réunion sera ouverte à tout membre désireux d’y participer.
À côté de ce casse-tête, le projet de création d’un service de renseignement collectif est assez rapidement évacué. Jugeant la proposition trop précoce, les chefs d’État ont retenu la mise en place d’un mécanisme de concertation et de coopération entre les services des pays membres.
Ont, du coup, paru bien anodines la discussion autour du Nepad et la décision de rattacher son secrétariat permanent (basé à Midrand, entre Johannesburg et Pretoria) à la Commission de l’UA. S’il venait pourtant à voir le jour, ce lien organique introduirait un changement de taille au sein de cette structure pour le développement du continent : l’exclusion de facto du Maroc. Le royaume chérifien, qui n’est pas membre de l’organisation continentale, disparaît ainsi des tablettes du Nepad. Peu d’observateurs l’ont relevé. Pas même les traditionnels alliés de Rabat : Sénégal, Gambie, Burkina ou Bénin.
Sans doute parce qu’elles ont fait l’objet d’un huis clos du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA trois semaines plus tôt à Libreville, les crises en Côte d’Ivoire, au Darfour et en RD Congo n’ont pas mobilisé les chefs d’État. Tout au plus le Gabonais Omar Bongo Ondimba a-t-il lancé le débat sur ces dossiers, auxquels s’est ajouté celui de la Somalie. Tandis que Thabo Mbeki a présenté un rapport sur l’évolution de sa « feuille de route » sur la Côte d’Ivoire – cela n’aura duré que cinq minutes et n’a fait l’objet d’aucun débat -, en assurant que sa médiation a été confortée par la menace du Conseil de sécurité des Nations unies d’établir des sanctions diplomatiques et financières à l’encontre des protagonistes bloquant le processus de réconciliation nationale. Il dispose ainsi de moyens de pression supplémentaires pour convaincre les différentes parties. Et peut continuer sa solution dite des petits pas : obtenir des concessions simultanées de part et d’autre pour l’application des accords de Marcoussis et d’Accra III. En commençant par convaincre les Forces nouvelles de reprendre leur place au gouvernement, en attendant le processus de désarmement.
Laurent Gbagbo a donc été comblé par le sommet d’Abuja. Sans lui donner carte blanche (ses pairs ainsi que le Conseil de sécurité de l’ONU veillent à ne pas être menés en bateau), ces assises ont conforté sa position de « président démocratiquement élu victime d’une tentative de coup d’État ». Le numéro un ivoirien n’est pas le seul chef d’État à avoir quitté Abuja satisfait. Le Congolais Denis Sassou Nguesso et le Tchadien Idriss Déby ne sont pas mécontents de leur séjour nigérian. Le premier a vu son projet de Pacte de non-agression et de défense commune quasiment adopté, et le second a vu avec plaisir ses recommandations sur le Darfour (dossier sur lequel il est médiateur) retenues par ses pairs. Il a suggéré un renforcement des capacités et prérogatives de la commission conjointe ainsi que la tenue préalable d’une réunion à N’Djamena, le 10 février, pour mieux préparer le round de pourparlers prévu dans la capitale fédérale du Nigeria, le 20 février.
Une note d’optimisme. Mais si l’on devait résumer les travaux de ce quatrième sommet de l’UA, on pourrait dire, en paraphrasant la vedette malienne de la chanson, Salif Keïta : Abuja pas bougé.

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