Scénarios pour une paix improbable

L’un des patrons des services de renseignements de l’État hébreu évalue les chances d’un hypothétique règlement israélo-palestinien.

Publié le 7 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Ce qui suit est un résumé des principales questions de sécurité nationale auxquelles Israël est confronté. Il est l’oeuvre de l’un des patrons des services de renseignements de l’État hébreu. Le responsable en question est pessimiste par tempérament, mais aussi parce qu’il est payé pour imaginer les pires scénarios. Mais l’histoire du demi-siècle écoulé suggère qu’au Moyen-Orient le pessimisme n’est rien d’autre que le réalisme. Voici comment cet officier voit la situation sécuritaire en 2005.

« La décision de démanteler les colonies à Gaza est irrévocable. La société israélienne s’est divisée en deux camps : ceux qui sont hostiles à cette entreprise et ceux qui, tout en pensant qu’elle est nécessaire, ne l’apprécient pas. L’opération aura néanmoins lieu, et les risques qu’elle implique ne doivent pas être sous-estimés.
Imaginons le scénario suivant. Nous avons entrepris d’évacuer cinq mille habitants des colonies de Gush Katif, au sud de Gaza. Les colons sont rejoints par quinze mille sympathisants venus des quatre coins du pays. Des enfants pleurent, des femmes hurlent, des hommes crient. L’évacuation, réalisée à l’aide de camions et d’autobus, mobilise des milliers de policiers et d’officiers. Au milieu de cette pagaille, des obus de mortier sont tirés depuis Khan Yunis, la ville palestinienne voisine, peut-être par une faction soucieuse de renforcer l’impression que nous partons sous le feu. Dix Israéliens sont blessés. Dans ces conditions, pouvons-nous poursuivre l’exécution du plan ?
Des problèmes peuvent se poser avant même d’en arriver là. Le gouvernement a arrêté sa décision de se retirer de Gaza, mais les citoyens concernés n’ont encore reçu aucune notification officielle. Il n’est pas exclu que des gens qui vivent là depuis un quart de siècle reçoivent l’injonction écrite de quitter les lieux avec un préavis de trois mois. Ils s’adresseront alors à la Cour suprême, dont la décision est incertaine.
La détermination du Premier ministre est telle que nous devons mener à bien l’opération, peut-être en septembre, quels que soient les obstacles. Beaucoup sont convaincus que notre sécurité s’améliorera par la suite, à tout le moins dans la zone de Gaza, parce que les Palestiniens n’auront plus de raison de nous combattre. Cette hypothèse est dangereuse.
L’absence de Gaza de nos forces armées et de nos services de renseignements peut conduire à un renforcement de la capacité militaire des Palestiniens. Je pense aux roquettes à longue portée et au trafic clandestin de missiles sol-air à partir de l’Égypte… L’hypothèse qu’une ville côtière comme Ashkelon soit frappée n’est pas à écarter. Comment, alors, pourrions-nous riposter ?
Si Mahmoud Abbas parvenait à transformer l’Autorité palestinienne, à en faire une institution forte, sur laquelle on puisse compter, il serait possible d’envisager une action résolue pour mettre fin aux attaques. Mais nous sommes convaincus qu’il n’existe pas de pouvoir capable de démanteler les groupes terroristes, à commencer par le Hamas. Les pressions du Hezbollah, de l’Iran et de la Syrie pour maintenir une pression militaire sur Israël seront sans nul doute insistantes. Le maximum qu’Abbas pourra obtenir sera une trêve. Laquelle ne pourra que compliquer notre situation politique.
Retenons l’hypothèse de l’accalmie. Les Palestiniens, soutenus par les Européens et le monde arabe, diront : vous voyez, tous les problèmes viennent de l’occupation israélienne. Il suffirait qu’Israël fasse en Cisjordanie ce qu’il a fait à Gaza, qu’il se retire au-delà des frontières de 1967, pour que le conflit prenne fin. Nous, nous savons que tout cela est illusoire, mais notre point de vue est loin d’être partagé. C’est illusoire parce que de nombreux Palestiniens rêvent encore d’un État qui, loin de cohabiter avec Israël, prendrait tout simplement sa place. Abbas ne manquerait pas de moyens pour faire pression sur nous.
Il pourrait invoquer la mise en place d’une démocratie palestinienne qui ne serait assurément pas pire que celle pratiquée dans le monde arabe, l’assainissement des finances publiques, la réorganisation des services de sécurité… Il pourrait souligner que les armes se sont tues… Il pourrait rappeler au président George W. Bush sa déclaration sur l’existence d’un État palestinien en 2005… Il se pourrait même qu’il soit pressé. C’est alors que les complications vont commencer parce que, nous, nous ne le sommes pas.
La feuille de route est claire. Le chemin de la paix qu’elle trace diffère des accords d’Oslo sur un point crucial. Avec Oslo, c’est la paix qui était censée conduire à la sécurité. Avec la feuille de route, c’est l’inverse : la sécurité vient en premier et la paix ensuite. Tant que notre sécurité ne sera pas garantie, nous ne discuterons pas d’une solution politique. Nous ne sommes pas en présence d’une décision des Palestiniens de renoncer à toute forme de violence, conçue comme le moyen d’atteindre un objectif politique. Dans ces conditions, une trêve ou un cessez-le-feu ne suffisent pas. Nous voulons qu’Abbas arrête, juge et condamne à la prison à perpétuité les militants qui ont tué des Israéliens ce qui n’est jamais arrivé. Nous voulons qu’une loi interdise le port d’armes. Tant que le démantèlement des cellules terroristes palestiniennes n’aura pas eu lieu, nous devons résister aux pressions visant à nous amener à la table des négociations, en vue d’un règlement définitif. On pourrait penser que la route vers la paix est désormais ouverte, mais ce n’est pas aussi simple.
Malgré mon pessimisme, je perçois néanmoins quelques signes d’espoir. Le Hamas a été affaibli. Jusqu’ici, 70 % de ses fonds provenaient de l’Arabie saoudite. La manne s’étant récemment tarie, il s’est tourné vers l’Iran, avec un certain succès. Mais, comme tout business, une organisation terroriste a besoin d’argent pour réussir. Or le Hamas est aujourd’hui moins bien pourvu.
Par ailleurs, les deux parties ont compris la nécessité de parvenir à un compromis sur les territoires et, notamment, sur Jérusalem. Le fossé qui les sépare s’est réduit. Un leadership crédible existe des deux côtés. Le soutien de Washington, de l’Égypte, de la Turquie est acquis. Si les Palestiniens acceptent l’idée d’un État avec des frontières provisoires, – dans le cadre d’un accord qui ne soit pas définitif -, nous pouvons aller de l’avant.
Abbas a compris que, dans le monde de l’après-11 Septembre, la violence est contre-productive. Le prix en est trop élevé. On doit le croire lorsqu’il s’oppose à la militarisation de l’Intifada. Mais qu’en est-il de sa force réelle et de sa marge de manoeuvre sur des questions comme le droit au retour des réfugiés palestiniens ?
En conclusion, je ne vois pas de solution au conflit israélo-palestinien dans un avenir prévisible. Mais nous devons, si nous voulons être réalistes, entrer dans une période d’accalmie marquée par la volonté de coopération et l’intention sincère de résoudre les problèmes. C’est le meilleur scénario possible : non pas un accord de paix, mais plusieurs accords qui vont dans le sens de la paix.
Quoi qu’il en soit, parce que les Palestiniens vont vouloir obtenir davantage, et parce que nos calendriers ne sont pas synchronisés, il sera, comme toujours, difficile d’éviter le pire. »

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