À quoi joue le PJD ?

Un article d’« Attajdid », journal proche du parti islamiste, affirmant que le tsunami du 26 décembre est une « punition divine », a mis le feu aux poudres. Décryptage.

Publié le 7 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Un mois après la parution d’un article dans le quotidien islamiste Attajdid affirmant que le tsunami du 26 décembre était une « punition divine » du tourisme sexuel ainsi qu’un « avertissement » pour le Maroc, la polémique continue de faire rage au Maroc.
Dès sa sortie, l’article a provoqué l’indignation de l’Association de lutte contre la haine et le racisme (ALHR, née après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca). L’affaire s’est emballée lorsque la télévision s’en est mêlée. Le 11 janvier, dans un reportage diffusé au journal télévisé de la chaîne nationale 2M, Attajdid ainsi que le Parti de la justice et du développement (PJD), troisième formation politique au Parlement, ont été accusés de propager des idées obscurantistes. L’auteur du reportage, Taoufik Debbab, ainsi que plusieurs intervenants, dont Mohamed Brini, directeur du quotidien arabophone Al Ahdath Al Maghribia, ont fait référence aux attentats de Casablanca et demandé aux islamistes si le tremblement de terre d’Al Hoceima avait lui aussi été provoqué par l’ire céleste…
L’attaque a touché dans le mille. Le PJD a refusé d’endosser la responsabilité de l’article, affirmant qu’Attajdid était un organe indépendant du parti, et a habilement déplacé le débat en condamnant la partialité de 2M et en réclamant un droit de réponse d’une durée équivalente au temps d’antenne accordé à ses détracteurs. Quelques jours plus tard, Attajdid et le PJD ont chacun déposé une plainte pour diffamation contre 2M auprès de la Haute Autorité de la communication et de l’audiovisuel (Haca).
La Haca vient d’émettre son avis, le 2 février, jugeant « non recevable » la plainte d’Attajdid (pour des raisons de forme), mais octroyant au PJD un droit de réponse, estimant que le reportage de 2M était « une mise en cause explicite du parti plaignant sans que celui-ci ait été sollicité pour exprimer son point de vue au cas où il l’aurait jugé utile ». Ce verdict suffira-t-il à clore un débat nourri d’un déferlement d’articles de presse et de manifestations ?
Samedi 29 janvier, les partisans des deux camps, quelques milliers de personnes au total, s’étaient rassemblés devant le siège d’Attajdid. Jamal Berraoui, président de l’ALHR, a estimé que « en parlant « d’avertissement » pour le Maroc, le journal sous-entend que le pays est en proie à la décadence. Ce discours a toujours existé. Mais il est désormais instrumentalisé politiquement par le PJD. C’est la même idéologie qui animait les jeunes kamikazes du 16 Mai. Dans une démocratie, certains points de vue sont inacceptables ».
En face, Attajdid persistait : « Si nous ne sommes pas catégoriques sur le fait que le tsunami est une punition divine, car Dieu seul le sait, nous croyons en revanche, comme tous les musulmans de tous les temps, que les séismes et les catastrophes dépendent de la volonté de Dieu », et signait : « On peut s’interroger sur les raisons de cette « Intifada ». S’agit-il de défendre le tourisme sexuel dans notre pays ? »
Les islamistes, qu’il s’agisse d’Attajdid, des militants du PJD ou encore des membres d’Al-Adl wal-Ihsane (Justice et Bienfaisance), le mouvement de Cheikh Yacine, n’en sont pas à leurs premières provocations. Tout le monde se souvient, entre autres, des sorties fracassantes de Mohamed Yatim concernant les festivals de musique censés être des lieux de débauche et de décadence, ou de Mustapha Ramid appelant à la censure d’Une minute de soleil en plus, le film « pornographique » de Nabil Ayouch. Aussi choquant que soit l’article d’Attajdid, il n’a en fin de compte rien de surprenant.
« Il ne faut pas analyser cet épisode, ainsi que ceux qui l’ont précédé, comme un conflit entre deux Maroc, opposant d’un côté les « islamistes » et de l’autre les « laïques », souligne une journaliste politique. Ce serait faire fi de la réalité de la société marocaine, encore très conservatrice, où les thèses du PJD rencontrent un écho favorable. Tirer à boulets rouges sur le PJD comme l’a fait 2M n’est pas la meilleure solution. Cela ne fait qu’accroître la visibilité du parti, et c’est une façon d’esquiver les vrais débats, comme celui, en l’occurrence, de la place de la religion dans la société marocaine contemporaine. »
De même, pour le sociologue Mohamed Tozy, « le PJD ratisse très large. Pour une bonne partie de ses électeurs – et au-delà pour beaucoup de Marocains -, Dieu punit les mécréants, et le tsunami est effectivement un acte divin. Pour ainsi dire, la parution de l’article dans Attajdid n’est qu’une gaffe qui n’a pu être rattrapée à temps. » Pour Tozy, comme pour la plupart des commentateurs, il ne fait aucun doute que le PJD et Attajdid « c’est la même chose, car si, institutionnellement, le journal n’est pas lié au PJD, son contenu reflète directement l’idéologie du parti ». De fait, Attajdid est très utile au PJD en lui permettant de faire passer certaines idées que sa direction ne peut officiellement soutenir.
Le parti assume comme objectif ultime l’instauration d’un régime islamiste. C’est l’idéologie qu’il « vend » à ses militants. Contrairement à Al-Adl wal-Ihsane, qui rejette en bloc le système et conteste au roi la fonction de Commandeur des croyants, le PJD a toutefois choisi la voie de la légalité en reconnaissant la monarchie et ses institutions. Il aspire à être un parti « normal » et, de ce fait, il est constamment contraint de montrer patte blanche. Ses députés (42 sièges à la première chambre du Parlement depuis 2002) sont intègres, travailleurs et proches de leurs électeurs, et, jusqu’à l’élection en avril dernier de Saâd Eddine Othmani, islamiste bon teint, le parti était dirigé par un respectable octogénaire, figure de la lutte pour l’indépendance et homme de Hassan II, Abdelkrim Khatib.
Mais derrière le vernis d’honnêteté vertueuse et de modération responsable se cache le Mouvement pour l’unification et la réforme (MUR), partisan d’un islam radical, qui, depuis 1996, a intégré et ranimé un parti moribond. « Le PJD fonctionne sur la base d’un compromis sans cesse renégocié entre différentes tendances. Il est tiraillé entre, grosso modo, deux courants, l’un plutôt pragmatique, incarné par le courant Khatib, l’autre davantage moralisateur et radical que représente le MUR », explique le politologue Mohamed Madani.
L’article d’Attajdid s’inscrit donc dans cette logique, et il y en aura d’autres, d’autant que l’échéance électorale de 2007 approche. Pour la plupart des commentateurs, il ne fait aucun doute que les islamistes seront les grands gagnants des prochaines consultations, à condition, bien sûr, qu’elles soient libres et transparentes. L’affaire Attajdid semble indiquer qu’après le traumatisme du terrorisme qui avait contraint les islamistes à se faire plus discrets, il est désormais temps pour eux de relever la tête. Quant au verdict de la Haca, il confirme que, si l’autorité publique semble résolue à tolérer l’attitude raisonnable du PJD, elle donne, en revanche, son feu vert aux médias, et notamment à la télévision publique 2M, pour contrecarrer les sorties outrancières d’Attajdid.

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