Gastronomie : l’impact négatif du label « sans huile de palme »

Maladies cardiovasculaires, désastre écologique… Cet oléagineux a mauvaise presse. Pour s’en prémunir, les industriels ont créé un label qui rend injustement suspectes nombre de spécialités culinaires du continent.

Plantation d’huile de palme (photo d’illustration) © Nabil ZORKOT pour JA

Plantation d’huile de palme (photo d’illustration) © Nabil ZORKOT pour JA

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  • Téguia Bogni

    Chargé de recherche au Centre national d’éducation, au ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation du Cameroun.

Publié le 11 décembre 2021 Lecture : 3 minutes.

Par les temps qui courent, il ne fait pas bon de dire, surtout dans l’Union européenne, qu’on a recours à l’huile de palme dans une quelconque préparation alimentaire. Et pour cause, cette huile ne jouit pas d’une bonne réputation. Sa simple évocation peut cristalliser les passions, tant on la tient pour responsable d’innombrables maux.

Confusion entretenue

Premièrement, la culture du palmier à huile est la cause d’une vaste et préoccupante déforestation. On estime à une dizaine de millions d’hectares la surface qu’occupent les palmeraies seulement en Indonésie et en Malaisie, ce qui correspond à plus de 80 % de la production mondiale d’huile de palme.

Il y a une différence entre huile de palme vierge, huile de palme raffinée et huile de palme ultratransformée

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Et comme on pourrait s’y attendre, cet écocide a des effets dévastateurs sur la biodiversité : plusieurs espèces animales et végétales sont menacées d’extinction quand, dans le même temps, les sols et les eaux sont durablement pollués. Que ce soit dans les pays tropicaux d’Afrique, d’Amérique du Sud ou même d’Asie, les dégâts écologiques liés à la culture intensive du palmier à huile sont considérables.

Deuxièmement, l’huile de palme est sur le banc des accusés d’une crise sanitaire. D’abord, cette huile végétale a envahi notre quotidien. Elle est présente comme biocarburant dans l’énergie, et comme ingrédient dans les produits cosmétiques et agroalimentaires. On la retrouve, entre autres, dans les biscuits, la margarine, le chocolat, le cappuccino, les produits ménagers tels que le savon ou les détergents, et même, aussi surprenant que cela puisse paraître, dans le rouge à lèvres. Consommée en grande quantité dans les aliments, la haute teneur en acides gras saturés de cette huile serait la cause de maladies cardiovasculaires.

Sur cette question, il y a de quoi émettre quelques doutes en raison de la confusion entretenue entre huile de palme vierge, huile de palme raffinée et huile de palme ultratransformée. Il faut savoir qu’à l’état normal, l’huile de palme est rouge. Tandis que celle utilisée, notamment dans l’agroalimentaire est plus ou moins blanche. Cette dernière couleur est la résultante d’un traitement chimique.

C’est le beurre de palme, et non l’huile de palme vierge, qui doit être incriminé

En raison de son aspect presque toujours solide, on la considère, à cette étape, comme de la graisse végétale, d’où le nom de beurre de palme dans le jargon agroalimentaire. Logiquement donc, c’est le beurre de palme, et non pas l’huile de palme vierge, qui doit être incriminé. Pour lever toute équivoque, il conviendrait désormais de préciser : huile de palme ultratransformée. Et quoi qu’il en soit, il serait bien de mener plusieurs études randomisées en Afrique sur des populations consommant ces trois sortes d’huiles.

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Pour lutter contre les conséquences écologiques et sanitaires susmentionnées, le label « sans huile de palme » a vu le jour, et s’affiche fièrement sur les étiquettes de divers produits. Aussi juste que soit ce label, il faut reconnaître qu’il porte un préjudice considérable aux cuisines africaines hors du continent.

Sauce jaune, moin moin, moamba…

On remarquera qu’en France, entre autres, les chefs s’autocensurent quand il s’agit de cuisiner avec l’huile de palme. Soit ils omettent de dire qu’ils en ont utilisé, soit il la remplace tout simplement par une autre huile, supposée plus saine, pour éviter d’entacher leur réputation. Une telle attitude traduirait qu’ils fassent une cuisine écoresponsable.

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Il importe de savoir que l’huile de palme vierge est l’âme d’un certain nombre de spécialités culinaires d’Afrique. Ainsi, il ne peut simplement pas exister de sauce jaune (Cameroun), de moin moin (Nigeria), de moamba (Angola), de souppou kandia (Sénégal), encore moins de sauce graine (Côte d’Ivoire) sans huile de palme ou jus de noix de palme. Le départ à froid appliqué à la grande majorité de ces mets, lors de la cuisson, évite, pour ainsi dire, toute détérioration chimique de cet oléagineux. Les chefs africains ont donc la lourde responsabilité de valoriser l’huile de palme.

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