Où se trouvent les chiites ?
Question posée par Rodrigue Lafuma, Genève, Suisse
Depuis la chute de Saddam Hussein, en avril 2003, le monde découvre que la population irakienne est composée d’une majorité de chiites et que l’accession de ces derniers au pouvoir pourrait modifier substantiellement la donne régionale. Quels que soient les contentieux entre les deux pays, une telle évolution rapprocherait inévitablement l’Irak et l’Iran, où le chiisme domine largement (voir la carte).
Comme celle du christianisme (divisé, grosso modo, entre catholiques, protestants et orthodoxes), l’histoire de l’islam est rythmée par une série de fractures. La première a vu, peu après la naissance de la religion musulmane, au VIIe siècle de l’ère chrétienne, l’apparition du kharidjisme, un courant qui se distingue par un rigorisme extrême. Il ne réunit plus aujourd’hui que quelque 2 millions d’adeptes, appelés ibadites, essentiellement à Oman et en Afrique orientale, ainsi que dans le Mzab algérien et sur l’île tunisienne de Djerba.
La principale scission est survenue à peu près à la même période, opposant les partisans du calife Mouawiya, fondateur de la dynastie des Omeyyades et lointain parent de Mohammed, et ceux d’Ali, cousin et gendre du Prophète. Ce dernier est assassiné en 661. Son second fils Hussein revendique le califat, mais il meurt au combat à Kerbala, au sud de Bagdad. Son martyre est aujourd’hui encore célébré par la fête de l’Achoura.
Depuis lors, la rupture est consommée. Pour la majorité des musulmans, qu’on nommera sunnites (de sunna, la « tradition » en arabe), le calife doit être choisi en fonction de ses compétences. Aux yeux d’une minorité d’entre eux, le « parti d’Ali » (chiat Ali, en arabe), la direction de la communauté musulmane revient aux descendants directs de Mohammed.
Les chiites obéissent aux mêmes obligations que les sunnites. Ils partagent avec eux la foi en l’unicité divine, en la prophétie de Mohammed révélée par le Coran et aux fins dernières (résurrection et jugement dernier). Mais ils y ajoutent la croyance en l’imamat et en l’infaillibilité de son détenteur. Alors qu’il n’y a pas de véritable clergé dans le sunnisme, les docteurs de la loi chiites exercent une grande autorité spirituelle sur les fidèles.
Si l’Iran est le centre politique du chiisme, l’Irak en est incontestablement le centre spirituel. Après La Mecque, Médine et Jérusalem, Lieux saints de l’ensemble des musulmans, les villes irakiennes de Nadjaf et Karbala sont les deux villes les plus importantes pour cette branche de l’islam. La première abrite le mausolée d’Ali, la seconde celui de son fils Hussein.
Les quelque 180 millions de chiites, soit près de 12 % des 1,5 milliard de musulmans, sont disséminés sur une vaste aire allant de la Turquie, à l’Ouest, jusqu’à l’Inde, à l’Est. Outre l’Iran et l’Irak, ils sont majoritaires en Azerbaïdjan et à Bahreïn.
Mais ils sont loin de former un ensemble homogène. Le groupe le plus nombreux (plus de 140 millions de fidèles) est constitué par les duodécimains, pour lesquels la lignée des descendants du Prophète s’est éteinte avec la disparition du douzième imam, dont ils attendent le retour. Ils sont surtout présents autour du Golfe (Irak, Bahreïn, est de l’Arabie saoudite), en Syrie, au Liban et en Iran, où leur doctrine a un statut officiel.
Les septimains (ou septimaniens), plus connus sous le nom d’ismaéliens, limitent, eux, à sept le nombre des imams légitimes. On les trouve surtout en Inde et au Pakistan. Leur communauté compte entre 25 millions et 30 millions de fidèles.
Troisième branche, celle des zaïdites, qui ne reconnaissent que cinq imams. Ils sont connus pour avoir créé l’État du Yémen, où, aujourd’hui, ils sont quelque 8 millions, dans le nord du pays essentiellement.
Le chiisme a lui-même engendré plusieurs dissidences. Les alaouites poussent le culte de la personnalité d’Ali jusqu’à voir en lui l’incarnation de la divinité. Ils sont plus de 1 million en Syrie, y occupant même le pouvoir en la personne de Bachar al-Assad, et quelques centaines de milliers en Turquie – où on les appelle « alevis » -, presque tous kurdes.
On hésite parfois à rattacher les druzes à l’islam chiite, tant leurs croyances et leurs pratiques se sont éloignées de la religion de Mohammed. Ainsi croient-ils en la métempsycose et ne connaissent-ils ni le pèlerinage ni le jeûne alors que, pour eux, la prière n’est pas vraiment obligatoire. Ils sont moins de 1 million, répartis entre le Liban, la Syrie et Israël.
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