Michèle Alliot-Marieparle

Drame ivoirien, coopération militaire avec le Maghreb, guerre en Irak et relations avec les États-Unis, nouvelle candidature de Chirac à l’Élysée… Le ministre français de la Défense répond sans détours. Ou presque.

Publié le 7 février 2005 Lecture : 19 minutes.

Le langage est net, la poignée de main ferme, le port altier et le tailleur-pantalon inévitable. La fin de chacune de ses réponses est ponctuée par un sourire, comme pour en souligner l’évidence. Ainsi se présente Michèle Alliot-Marie, 58 ans, « le » ministre de la Défense (elle refuse la féminisation des titres), première femme en France à occuper ce poste. Depuis son vaste bureau sur jardin de l’Hôtel de Brienne, le responsable des armées le plus populaire dans les casernes depuis Charles Hernu gère cinq cent mille personnes et le second budget de l’État français. Un vrai tour de force réussi grâce à une véritable capacité d’écoute et au prix d’une évidente osmose entre le sujet et son objet. Même si sa raideur est à la fois une apparence et une armure – on la sait passionnée -, son volontarisme plaît aux militaires, tout comme sa discipline et son goût pour l’effort physique. Levée chaque matin à 5 h 30, « MAM » saute en parachute, monte dans des avions de combat, se fait hélitreuiller à bord des sous-marins et fréquente deux fois par semaine la salle de gym du ministère, sous la direction d’un coach. Cela, aucun ministre de la Défense ne l’avait fait avant elle.
Il est vrai que Michèle Alliot, née Marie, est la fille de son père. Cadre supérieur à la Banque de France, député gaulliste et maire de Biarritz, Bernard Marie fut un arbitre international de rugby connu pour sa rigueur et sa sévérité. Des vertus que MAM a tôt mises au service d’une carrière universitaire sans accroc : docteur en droit et en sciences politiques, diplômée en ethnologie, elle accomplit, très tôt, des missions d’expertise et de conseil auprès de gouvernements étrangers. Gabon, Rwanda, Comores (elle est l’une des rédactrices de la Constitution de l’ex-république islamique), Pérou… Son amour des voyages, sa « bougeotte » perpétuelle viennent de là.
En 1972, Michel Alliot, son mari, lui fait rencontrer Edgar Faure, dont il est le directeur de cabinet. C’est à l’ombre de ce monument de la politique « à la française » que MAM fait ses premiers pas dans un ministère : on peut difficilement trouver meilleur mentor. Pendant les « années Giscard », elle travaille auprès de Bernard Stasi, Jean-Pierre Soisson et Alice Saunier-Seïté. Parallèlement, elle entre au Rassemblement pour la République – le RPR de Jacques Chirac -, dont elle gravit rapidement les échelons : comité central, puis bureau politique. En 1986, MAM est élue député des Pyrénées-Atlantiques et entame aussitôt son parcours gouvernemental. Secrétaire d’État chargé de l’Enseignement, puis ministre de la Jeunesse et des Sports sous Édouard Balladur, elle se fait élire en 1999, à la surprise générale, présidente du RPR, battant au passage Jean-Paul Delevoye, le candidat de Chirac. Trois ans plus tard, alors que le RPR se fond dans l’UMP et qu’Alain Juppé – dont le compagnon de MAM, le député Patrick Ollier, est proche – prend la tête de la nouvelle entité, celle qui est devenue la femme de droite la plus connue de France est nommée ministre de la Défense.
« Femme politique », a-t-elle écrit en tête de sa notice biographique du Who’s Who. Disponible, sans enfants, MAM trouve toujours le temps pour sortir du vaste champ de son ministère et intervenir sur la plupart des sujets de l’heure. Elle le fait à sa manière, qui n’évite pas toujours la langue de bois, mais qui la situe clairement : conservatrice bon teint, gaulliste orthodoxe face au libéralisme proaméricain d’un Nicolas Sarkozy, élue proche des militants à la différence d’un Dominique de Villepin, loyale envers le président malgré quelques errements passés. Autant de caractéristiques qui ont tôt fait de placer ce « joker » de Jacques Chirac sur la short list des premiers ministrables susceptibles de succéder à Jean-Pierre Raffarin. MAM laisse dire, même s’il ne faut pas être grand clerc pour deviner que l’ambition est à ses yeux une qualité.
À la veille d’une visite remarquée en Libye, Michèle Alliot-Marie, qui tient à rappeler qu’au rayon de ses diplômes figure aussi un certificat de droit et d’économie des pays d’Afrique, a reçu J.A.I. pour un entretien au menu duquel figurait, bien sûr, la Côte d’Ivoire.

Jeune Afrique/l’intelligent : On vous a beaucoup entendue, au mois de novembre, au plus fort de la crise entre la France et la Côte d’Ivoire, mais beaucoup moins depuis. Cela veut-il dire que les choses vont mieux ?
Michèle Alliot-Marie : La situation en Côte d’Ivoire connaît en effet une accalmie. On ne peut que s’en réjouir. Mais elle demeure fragile et le restera tant que l’aspect politique ne sera pas réglé.
J.A.I. : De votre point de vue et avec le recul, la gestion de cette crise par la France a-t-elle été satisfaisante ?
M.A.M. : À partir du 4 novembre, il y a eu violation du cessez-le-feu par les troupes gouvernementales – le président Gbagbo l’a d’ailleurs reconnu récemment. Des mises en garde très fermes lui ont été adressées de la part du président Chirac, mais aussi de nombreux chefs d’État africains. En revanche, le mandat des forces de l’ONU (Onuci) était, à l’époque, insuffisant : il ne leur permettait pas d’intervenir par les armes face à des violations de ce type. À partir de là, nous avons constaté une attitude délibérément provocatrice de la part des forces gouvernementales ivoiriennes. Une résolution des Nations unies a été ouvertement enfreinte. Si les forces de l’Onuci avaient ouvert le feu dès la première violation de la « zone de confiance », je crois que les choses se seraient arrêtées aussitôt. Mais elles n’avaient pas le droit de tirer, sauf en cas de légitime défense. C’est ainsi que la situation a dégénéré. Il fallait donc que ces forces soient pourvues de mandats plus larges et plus « musclés ». À partir du 6 novembre, avec le bombardement de la position Licorne, à Bouaké, nous nous sommes trouvés en situation de légitime défense. Le soir même, l’ONU a décidé de renforcer les règles de son engagement.
J.A.I. : Que se serait-il passé si ce bombardement n’avait pas eu lieu ?
M.A.M. : Il y avait déjà violation du cessez-le-feu et de la zone de confiance. Dans ces conditions, je suppose qu’il y aurait eu, quelques jours plus tard, une nouvelle résolution de l’ONU condamnant cette violation. Ce que je dis – et très clairement -, c’est qu’il faut, dans un certain nombre de cas, ne pas hésiter à prendre des mesures fortes pour faire respecter le droit international.
J.A.I. : Où en est l’enquête ?
M.A.M. : Deux enquêtes sont en cours, l’une en Côte d’Ivoire, l’autre en France, depuis le 6 novembre 2004. Elles seront sans doute longues et complexes. Ce que je sais, c’est que les militaires français ont toujours agi conformément à leur mandat et à l’éthique. Ils se devaient de protéger toutes les personnes – Français, ressortissants étrangers, mais aussi ministres de l’opposition – menacées par des éléments des forces gouvernementales, par les « Jeunes patriotes » et des foules encadrées par ces derniers et très largement manipulées.
Les premières exactions contre les Blancs ont eu lieu une heure et demie après le bombardement de nos soldats à Bouaké, autrement dit avant que l’aviation militaire ivoirienne ait été totalement détruite. Ceux qui cherchent à établir un lien entre les deux et dénoncent une riposte disproportionnée de notre part se trompent complètement. De plus, tout ce qui s’est passé à Abidjan a été dans une large mesure provoqué ou amplifié par la Radiotélévision ivoirienne et par les radios gouvernementales, toutes les autres ayant été neutralisées dans les jours précédents.
Concernant la communication, je regrette une chose : il n’y a pas eu une seule télévision, une seule caméra pour – notamment à l’hôtel Ivoire – tout enregistrer. Cela aurait permis de mettre en évidence les tentatives de manipulation de l’information auxquelles nous avons été confrontés. Le fameux reportage diffusé sur Canal + montre très clairement, quand vous l’analysez au ralenti, que les militaires français se sont parfaitement conduits. En détaillant chacune des phases, on voit distinctement que les tirs sur le pont Charles-de-Gaulle – qui étaient des tirs d’intimidation – étaient dirigés vers la lagune, alors que la foule tentait de passer en force. Tout a été mis en oeuvre pour limiter autant que possible les pertes en vies humaines.
J.A.I. : Une partie des députés français ont demandé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les événements de Côte d’Ivoire. Vous vous êtes prononcée contre, et cette enquête n’aura pas lieu. Pourquoi ?
M.A.M. : Parce que ce serait un geste de défiance à l’égard de nos militaires, qui exercent, fort bien d’ailleurs, un métier très difficile, au péril de leur vie. Ils ont avant tout besoin de notre soutien.
J.A.I. : Il y a eu, début novembre, un double choc psychologique dans l’opinion africaine. D’abord, parce que des civils ivoiriens ont été tués par l’armée française, ce qui n’était pas arrivé depuis l’époque des répressions coloniales. Ensuite, et le président sud-africain Thabo Mbeki en a lui-même été surpris, parce que l’armée française a pris partout position dans les rues d’Abidjan. Ce sont des images qu’on n’a plus l’habitude de voir. En avez-vous conscience ?
M.A.M. : J’ai conscience de ce choc psychologique parce que je connais bien l’Afrique. Mais sachez qu’il y a eu parallèlement un choc psychologique dans l’ensemble de l’Europe. Il y a bien longtemps qu’on n’avait pas entendu de tels appels à la chasse aux Blancs, notamment à la Radiotélévision ivoirienne et dans la bouche du président de l’Assemblée nationale. C’était presque « À chacun son Blanc ». Cette attitude raciste, ces appels au meurtre nous ont tous choqués. Si l’armée française est intervenue à Abidjan, c’est parce que les Européens voyaient leurs maisons systématiquement pillées, détruites, et qu’on leur faisait la chasse. C’est très grave. La responsabilité d’un certain nombre de personnalités et de médias ivoiriens est engagée. Les militaires français étaient là pour faire face à cette situation. Il est vrai qu’on n’avait pas l’habitude de les voir dans les rues d’Abidjan, dans un pays avec lequel nous avons des liens historiques et dont de nombreux ressortissants ont lutté à nos côtés, pendant la Seconde Guerre mondiale, contre le racisme et l’antisémitisme. Mais on n’avait pas non plus l’habitude de voir des pillages, des viols et des exactions contre les Français et les Européens.
J.A.I. : Il y a eu chasse aux Blancs, mais pas de morts parmi eux. À l’époque, on vous a trouvée un peu froide et distante. Il a fallu attendre le 1er décembre, près de trois semaines après les faits, pour que vous exprimiez un regret à propos des victimes ivoiriennes…
M.A.M. : Toute mort doit être regrettée. Mais n’oubliez pas que neuf militaires français ont quand même été tués et beaucoup d’autres blessés. Un jeune militaire de moins de 21 ans a dû être amputé au niveau de la cuisse. Plusieurs autres garderont pendant toute leur vie des séquelles de leurs blessures. Et puis, des femmes ont été violées, il ne faut pas non plus les oublier.
L’armée française s’est défendue contre ceux qui voulaient l’empêcher de mener à bien sa mission de protection. Si elle avait tiré dans la foule, comme certains l’en ont accusée, il y aurait eu des centaines de victimes. Il faut savoir que, dans un certain nombre de cas, des meneurs ont poussé les civils en avant.
J.A.I. : À l’époque, c’est vraiment vous contre Gbagbo…
M.A.M. : Non, pourquoi ?
J.A.I. : Vous êtes intervenue plus souvent que les autres responsables français… Vous avez directement mis en cause le président et son entourage…
M.A.M. : J’ai simplement rappelé au président Gbagbo sa responsabilité à l’égard des ressortissants étrangers. Si l’occasion s’en représentait, je le ferais exactement de la même façon. Quand on est un responsable politique, on est responsable de tout. Et notamment des gens qui se réclament de vous, comme les « Jeunes patriotes ».
J.A.I. : C’est la première fois qu’une intervention militaire française en Afrique est déclenchée non pour défendre un pouvoir en place, mais contre lui…
M.A.M. : Notre intervention ne visait pas le pouvoir, elle avait pour objectif de défendre nos ressortissants menacés, c’est tout. Laurent Gbagbo est le président de la Côte d’Ivoire. Nous sommes là parce que l’ONU nous a confié la mission d’empêcher que son pays ne soit à feu et à sang, d’empêcher des massacres comme ceux qui ont été perpétrés en septembre et octobre 2002. Car enfin, nous avons trouvé des charniers dans les deux camps ! Il faut qu’il soit bien clair que notre seul but est d’amener le gouvernement et les Forces nouvelles à s’asseoir autour d’une table et à négocier, afin de trouver une solution qui permette aux Ivoiriens de vivre normalement. Il faut mettre en oeuvre ce qui a été approuvé par l’ensemble des chefs d’État africains et par les Nations unies, c’est-à-dire les accords d’Accra III.
J.A.I. : L’idée ne vous a donc jamais effleurée de renverser Laurent Gbagbo ?
M.A.M. : Évidemment, non. Cette allégation est ridicule, elle fait partie des tentatives de manipulation de l’opinion. Nous avons peu de ressortissants français aujourd’hui en Côte d’Ivoire, la France n’y a pas d’intérêts économiques ou militaires majeurs. Notre seul souci est d’éviter une division de ce pays. Pour les Ivoiriens eux-mêmes et pour l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest.
J.A.I. : L’opération Licorne coûte cher…
M.A.M. : Très cher. Environ 190 millions d’euros par an.
J.A.I. : Le mandat de Licorne, en tant que force de soutien à l’Onuci, arrive à expiration au début du mois d’avril. Souhaitez-vous son renouvellement ?
M.A.M. : Nous en discuterons au Conseil de sécurité. Nous resterons si notre présence est souhaitée ; et à cette seule condition. Mais il est évident que nous ne nous soustrairons pas à nos obligations à l’égard des Nations unies. Nous ne l’avons jamais fait.
J.A.I. : Pas de tentation de retrait ?
M.A.M. : Je préférerais assurément que nos militaires soient ailleurs. C’est une opération coûteuse, difficile, dans laquelle ils ont déjà perdu des hommes et sont la cible de fréquentes agressions verbales. Mais dans la mesure où il y a un mandat, dans la mesure où ce que nous voulons, encore une fois, c’est que les Ivoiriens puissent échapper aux conséquences dramatiques des rivalités de personnes et de groupes, nous assumerons nos responsabilités. Je le redis, nous sommes là pour la paix. Je souhaite de tout coeur, après ces événements très douloureux, un élan nouveau qui conforte ce chemin vers l’apaisement défini par le président Mbeki.
J.A.I. : Le colonel Kadhafi a récemment posé la question de la légitimité des bases françaises en Afrique. De fait, quarante ans après les indépendances, cette présence apparaît un peu obsolète aux yeux de nombreux Africains…
M.A.M. : Avoir des forces prépositionnées nous permet d’intervenir rapidement. À la fin du mois de juillet, par exemple, les réfugiés du Darfour se trouvaient installés au Tchad dans des camps impossibles à approvisionner en raison des pluies. Le président Chirac a demandé que l’armée française achemine sur place médicaments et ravitaillement. Ce qui a pu être fait en vingt-quatre heures. Même chose pour l’aide destinée à l’Asie du Sud-Est, qui a été acheminée à partir de Djibouti. Il est important d’intervenir le plus vite possible pour éviter qu’une crise militaire ou humanitaire ne dégénère ou ne s’étende. Je constate également que ces forces prépositionnées sont souvent, pour les pays concernés, un élément important. Sur le plan des retombées financières, mais aussi sur celui de la stabilité, comme dans le cas de Djibouti, qui est une zone très exposée à la menace terroriste. Cela explique que les chefs d’État sont en général très favorables à ce prépositionnement. Nous ne le faisons d’ailleurs qu’avec leur accord total et renouvelé. Les propos du colonel Kadhafi relevaient sans doute d’une mauvaise information. Je connais la réponse des chefs d’État qui accueillent des bases chez eux !
J.A.I. : À propos de Djibouti, les tensions suscitées par « l’affaire Borrel » ne risquent-elles pas de conduire à une remise en question du statut de la base française dans ce pays ?
M.A.M. : Non, je ne le crois pas. L’ambassadeur de France a, ces derniers jours, écarté tout risque de fausse interprétation. Par ailleurs, le statut de la base a été conforté, il y a quelques mois, par les accords que j’ai personnellement signés avec le président Ismaël Omar Guelleh. C’est aussi en prenant en compte son avis que j’ai levé le secret défense sur un certain nombre de documents concernant l’affaire Borrel. Lesquels documents ont été transmis à la justice.
J.A.I. : Le Rwanda vient de créer une commission d’enquête sur le rôle de l’armée française pendant le génocide de 1994…
M.A.M. : La question que je me pose, c’est : dans quel but ? Pour ma part, je souhaite qu’on ne camoufle pas la vérité. Et la vérité, c’est que les militaires français ont été quasiment les seuls à se porter au secours des populations rwandaises, très largement abandonnées par la communauté internationale. Cela aussi, j’aimerais qu’on le dise.
J.A.I. : Cette commission a commencé à travailler, et elle va forcément arriver à des conclusions. Va-t-on vers une aggravation de la crise entre Paris et Kigali ?
M.A.M. : En tout cas, je dirai ce que je pense. Le Rwanda est un pays que j’ai bien connu, au début des années 1970, à l’époque où j’étais universitaire. J’y ai fait de nombreux séjours pour travailler à la rédaction des codes civil et pénal. J’y ai entendu beaucoup de choses… Quelques années auparavant, hélas ! il y avait déjà eu des massacres.
J.A.I. : On dit que vous aimez bien le président gabonais Omar Bongo Ondimba et qu’il vous « explique » volontiers l’Afrique…
M.A.M. : J’ai avec lui de très anciennes relations, qui remontent à l’époque où j’étais le chef de cabinet du ministre des Universités. Elles se sont poursuivies par la suite, dans mes différentes fonctions. Vous savez combien, en Afrique, les relations personnelles constituent un élément important pour établir la confiance. Et quel meilleur guide que le président Bongo Ondimba?
J.A.I. : Le Maghreb, vous l’avez déclaré à plusieurs reprises, est à vos yeux une région essentielle à la sécurité de l’Europe. Comment définiriez-vous la politique de la France à son égard ?
M.A.M. : Cette politique se situe à plusieurs niveaux. Il y a d’abord les relations bilatérales que nous entretenons avec chacun des pays qui le composent : fort anciennes avec le Maroc et la Tunisie ; plus récentes avec l’Algérie. Et mon voyage en Libye complète ce panorama. La Mauritanie, elle, a fait l’objet de l’un de mes premiers déplacements.
Les relations personnelles qui se créent entre les militaires à l’occasion de stages de formation permettent de mieux se comprendre, de s’expliquer franchement, de créer un lien de confiance. J’attache donc une importance toute particulière aux entraînements et exercices de formation communs. Ce type de relations facilite notre travail et complète les liens de confiance et de fraternité.
Mais notre politique va au-delà, elle s’inscrit dans un cadre européen. C’est la raison pour laquelle j’ai réuni à Paris, au mois de décembre, le Conseil des ministres de la Défense des « 5+5 », les dix pays européens et maghrébins de la Méditerranée occidentale. Cela a été extrêmement positif. Nous avons finalement les mêmes sujets de préoccupation et l’envie de travailler ensemble à la sécurité de nos pays et de nos citoyens.
J.A.I. : Existe-t-il, en matière d’armement, des demandes particulières de pays comme l’Algérie, confrontée à un terrorisme résiduel ?
M.A.M. : Très franchement, je ne vais pas dans ces pays pour leur vendre des armes, mais pour établir des relations plus complètes.
J.A.I. : Vous ne voulez pas être un VRP, mais il faut bien vendre les armes que la France fabrique…
M.A.M. : Ce qui a du sens, c’est de mettre en place une politique globale. Il faut commencer par établir un dialogue stratégique, puis entreprendre un travail en commun, particulièrement dans les domaines de la formation, des échanges, des exercices… C’est la base de toute coopération. Ensuite, mais ensuite seulement, vient la question de l’interopérabilité. Si l’on veut s’entraîner et travailler ensemble, les équipements doivent être compatibles. C’est là qu’intervient la question de l’armement. C’est, en quelque sorte, l’aboutissement logique d’une démarche cohérente.
J.A.I. : Quelle est votre position sur le dossier du Sahara occidental ?
M.A.M. : Cette affaire concerne essentiellement mon collègue des Affaires étrangères.
J.A.I. : Veillez-vous à maintenir un équilibre entre Alger et Rabat ?
M.A.M. : Ce sont deux partenaires majeurs avec lesquels j’ai établi des relations personnelles, ce qui nous permet ensuite d’aller plus loin.
J.A.I. : Vous connaissez bien la Tunisie, où vous vous rendez souvent à titre privé…
M.A.M. : En effet. Et j’y compte beaucoup d’amis.
J.A.I. : La Libye intéresse manifestement le ministre de la Défense que vous êtes. Souhaitez-vous lui vendre des Mirage, comme dans les années 1970 ?
M.A.M. : La Libye a beaucoup évolué au cours des derniers mois. Elle a fait les efforts qu’il fallait. D’abord en adhérant aux conventions sur le contrôle des armes de destruction massive, en particulier les armes nucléaires, puis en apurant un certain nombre de contentieux. Ce n’est pas en maintenant dans l’isolement un pays qui manifeste sa volonté de renouer le dialogue que vous ferez avancer les choses. C’est dans cet esprit d’ouverture que je me rends en Libye, afin de discuter de ce que nous pouvons faire ensemble. Ensuite, nous verrons quelles seront les demandes de nos interlocuteurs en matière d’équipements.
J.A.I. : La Libye est un gros marché…
M.A.M. : Quand j’observe les démarches qu’y font les Américains, les Britanniques, les Italiens et les Allemands, il me semble que c’est effectivement un gros marché.
J.A.I. : Comment analysez-vous l’actuel enlisement des forces américaines en Irak ?
M.A.M. : Ce qui se passe là-bas est, hélas ! conforme aux craintes que j’avais exprimées, à la veille du déclenchement des opérations, au vice-président Dick Cheney, à Donald Rumsfeld, à Colin Powell et à Condoleezza Rice. Le problème était celui de l’après-guerre. Gagner la paix, c’est le plus important. Ce que j’espère, c’est que les élections permettront de passer à une nouvelle phase. La position de la France est toujours la même. Nous sommes prêts à aider à la reconstruction de l’Irak, y compris en ce qui concerne les moyens humains et matériels, dès lors que des autorités irakiennes légitimes nous le demanderont. Mais il n’y aura pas de militaires français en Irak.
J.A.I. : Pour une femme, il ne doit pas être si facile de discuter avec Donald Rumsfeld…
M.A.M. : Chacun dit ce qu’il pense, et je le dis avec autant de force que lui. Je lui ai déclaré un jour qu’il aimait son pays et que je trouvais cela normal, mais que j’aimais le mien et qu’il devait, lui aussi, trouver cela normal.
J.A.I. : Vous êtes souvent citée parmi les Premiers ministrables. J’imagine que vos interlocuteurs africains, que la vie politique française passionne, ont dû vous poser la question.
M.A.M. : Aucun interlocuteur africain ne m’a posé la question. Et je n’ai aucun commentaire à faire là-dessus.
J.A.I. : Croyez-vous à la notion de discrimination positive défendue par Nicolas Sarkozy, le président de l’UMP ?
M.A.M. : Comme républicaine et comme gaulliste, je crois à la nécessité de l’égalité des chances et de la mobilité sociale. Et il me semble que notre pays peut progresser en ce domaine. J’ai d’ailleurs été heureuse de constater que c’est aujourd’hui une réalité au ministère de la Défense. C’est probablement l’une des seules administrations dans ce cas. Il est essentiel de donner à chacun sa chance et même une deuxième chance quand c’est nécessaire. En revanche, dire de quelqu’un : on va lui donner quelque chose en plus parce qu’il n’est pas comme les autres, c’est souligner un peu plus cette différence et, finalement, encourager les discriminations.
J.A.I. : Pourquoi estimez-vous que l’UMP aurait dû se choisir un président qui ne brigue pas l’Élysée ?
M.A.M. : C’est une question de simple bon sens pour un parti majoritaire : si vous êtes candidat à l’élection présidentielle, vous devez faire parler de vous. Le problème est que les journalistes s’intéressent rarement aux commentaires positifs que vous pouvez être amené à faire quant à l’action du gouvernement. Vous n’avez alors d’autre choix que de vous différencier, ce qui est aussitôt interprété comme une attaque ou une critique. Or le président d’un parti majoritaire se doit de soutenir le gouvernement en place. Sinon, il l’affaiblit et s’affaiblit lui-même.
J.A.I. : Le président Jacques Chirac sera-t-il à nouveau candidat en 2007 ?
M.A.M. : Il m’est impossible de parler à la place du président, c’est une décision qui le regarde au premier chef. Et qui dépendra des circonstances nationales et internationales. Comme vous le savez, nous vivons dans un monde extrêmement fragile et fluctuant… Le président de la République fera passer l’intérêt de la France avant tout.
J.A.I. : Est-ce un souhait personnel ?
M.A.M. : Je n’ai pas de souhait à avoir. Le problème, c’est de savoir ce que lui souhaitera, quand le moment sera venu. Mais ce n’est certainement pas une question à poser dans l’immédiat. Aujourd’hui, les Français ont envie que l’on s’occupe de leurs problèmes et non des problèmes des hommes politiques. Les élections, on en parlera trois mois avant, c’est amplement suffisant.

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