Main basse sur le FLN

A l’issue de son VIIIe Congrès, le parti cinquantenaire s’offre une mue radicale. Et consacre le triomphe d’Abdelaziz Bouteflika, après sa large victoire à la présidentielle de 2004.

Publié le 7 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Décidément, le Front de libération nationale (FLN), l’ex-parti unique, voue un amour démesuré à Abdelaziz Bouteflika, et ce dernier collectionne les postes honorifiques. En décembre 2004, les congressistes réunis pour les assises de l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) ont longuement insisté pour que le chef de l’État soit désigné « président d’honneur » de la puissante fédération des anciens combattants de la Révolution algérienne. Le 1er février 2005, les 4 000 participants au VIIIe Congrès du FLN, tenu à Alger du dimanche 30 janvier au petit matin du mercredi 2 février, ont voulu faire mieux, en plébiscitant la nomination de Bouteflika au poste de président du FLN.
Après avoir fait entretenir un faux suspense pendant deux jours – il était au Nigeria pour le sommet de l’Union africaine -, le chef de l’État accepte l’offre non sans prendre quelques précautions pour ne pas trop indisposer ses alliés politiques. « Je ne saurais vous exprimer toute ma reconnaissance et toute ma gratitude pour cette précieuse confiance dont votre congrès vient de m’investir et dont je suis fier, une confiance qui m’incite à accepter cette position honorifique […] dès lors que cela ne prête à aucune équivoque dans mes rapports avec les partis de l’alliance gouvernementale », écrit-il en guise de remerciements. Le mercredi 2 février, le très officiel quotidien El Moudjahid pouvait barrer sa une avec cette grosse manchette : « Bouteflika « président honorifique » du FLN. » Quel retournement de situation !
« Le FLN vient d’effectuer un virage à 180 degrés », commente amèrement un ancien ministre de Bouteflika. À l’issue de son congrès, dont les travaux ont été retardés d’une journée à cause de la vague de froid exceptionnelle qui s’est abattue sur l’Algérie, le vieux parti, fondé en 1954 pour mener l’insurrection armée contre la France, s’offre donc une mue radicale. Ses statuts changent, son programme politique épouse à la virgule près celui de Bouteflika alors que de nouvelles têtes en prennent les commandes après avoir livré une chasse impitoyable aux militants encore dévoués à l’ancien secrétaire général, Ali Benflis, candidat malheureux à la présidentielle d’avril 2004.
Cette profonde mutation, le FLN la doit principalement à un homme : Abdelaziz Belkhadem, l’actuel ministre des Affaires étrangères, élu mercredi 2 février nouveau secrétaire général du parti. Au lendemain du limogeage du chef du gouvernement Ali Benflis en mai 2003, c’est à lui que Bouteflika avait discrètement confié une mission délicate : ramener le FLN dans le giron présidentiel et le soustraire aux mains de son ex-homme de confiance devenu son ennemi juré, Ali Benflis.
Abdelaziz Belkhadem s’est attelé à cette tâche avec dévouement, prenant la tête du « mouvement de redressement », ligue hétéroclite rassemblant vieux militants du parti, députés en rupture de ban du FLN et ambassadeurs en congé spécial, tous unis par une même cause : contester la légitimité du VIIIe Congrès du FLN tenu en mars 2003. Le point commun de tous ces hommes étant en effet d’avoir été évincés des instances dirigeantes du parti par Benflis.
Élu secrétaire général, ce dernier s’était vu attribuer de larges pouvoirs, notamment celui de nommer les cadres du parti. À l’époque, le FLN était euphorique. Il détenait la majorité au Parlement et contrôlait les assemblées communales et départementales, ce qui conférait à cette formation un poids considérable. Dès lors, le FLN ne pouvait être autre chose qu’une formidable machine électorale au service d’un candidat à la magistrature suprême.
C’est précisément ce qui a provoqué le conflit entre Bouteflika et son Premier ministre, l’un et l’autre caressant l’ambition de se voir adoubé par le FLN. L’approche de la présidentielle du 8 avril 2004 a fatalement fait éclater le parti en deux factions. D’un côté, les « légitimistes » fidèles à Ali Benflis, de l’autre les « redresseurs » partisans d’un soutien du FLN à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un deuxième mandat.
Soutenus par l’administration, les « redresseurs » font actionner la justice pour obtenir gain de cause. Et lorsqu’une décision de la chambre administrative du tribunal d’Alger prononce en décembre 2003 l’invalidation du VIIIe Congrès, lorsqu’elle décrète le gel des comptes bancaires et des activités politiques du parti dans une tentative d’empêcher Ali Benflis de se présenter comme « candidat du FLN », la partie est presque gagnée pour les hommes de Belkhadem. L’estocade est portée lorsque Benflis, se présentant sous le label de « candidat indépendant », échoue lamentablement au scrutin du 8 avril 2004. Sa démission de son poste de secrétaire général du FLN, présentée le 19 avril suivant, est non seulement un cadeau postélectoral pour Bouteflika, mais surtout un triomphe pour les « redresseurs ».
La suite ? Juste une affaire d’organisation. Il fallait prendre le temps de nettoyer les rangs du parti de ses « brebis galeuses », dresser les listes des participants et préparer les nouveaux statuts du parti.
Quoi de neuf dans le FLN version Belkhadem ? Sur le plan organique, le parti modifie radicalement ses structures. Le bureau politique, une sorte de Politburo dans lequel siégeaient de nombreux caciques, disparaît au profit d’un secrétariat exécutif dirigé par le secrétaire général. Le comité central est remplacé par un conseil national composé de 550 élus, au lieu de 250 auparavant. Les membres de ce conseil doivent totaliser sept années de « militantisme » tandis que les candidats aux élections communales et départementales sont priés d’aligner trois années d’ancienneté dans le parti. L’autre innovation réside dans le fait que le président du FLN, en l’occurrence Abdelaziz Bouteflika, peut présider, s’il le souhaite, les sessions des instances du parti et convoquer la tenue du congrès.
Sur le plan politique, la position du Front a été réaffirmée clairement par Abdelaziz Belkhadem : soutien total au programme du chef de l’État. « Nous devons unir nos forces pour accompagner les chantiers ouverts par le président de la République. Notre priorité est la réconciliation nationale, dont l’amnistie générale que nous applaudissons haut et fort », a-t-il martelé devant des congressistes qui scandaient le nom du chef de l’État et brandissaient les portraits de Bouteflika.
Ce VIIIe Congrès est-il susceptible de bouleverser le paysage politique en Algérie ? À dire vrai, il constitue surtout un triomphe personnel pour Abdelaziz Bouteflika. Le FLN le porte aux nues aujourd’hui après l’avoir répudié et copieusement dénigré lors de la campagne électorale pour la présidentielle d’avril 2004. C’est donc une belle revanche pour cet homme que de se voir consacré « président d’honneur ». Vieux briscard du sérail algérien, Bouteflika a connu des fortunes diverses au sein de sa formation politique. Exclu en 1981 par la commission de discipline du parti, il est réhabilité en 1989 à la faveur de l’ouverture du pays au multipartisme avant de divorcer de nouveau d’avec le FLN lorsque ce dernier décide de soutenir la candidature de son rival, Ali Benflis.
Lors du congrès de mars 2003, Bouteflika avait été soigneusement tenu à l’écart. Son portait officiel avait même été décroché de la grande salle. Interrogé sur cette mise en quarantaine, le président avait eu cette phrase désabusée : « Ils ne m’ont pas consulté… »
Cette fois-ci, il ne peut pas dire la même chose.

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