L’un vole, l’autre sécurise

Un tragique fait divers témoigne du malaise grandissant entre la communauté marocaine et les Néerlandais de souche.

Publié le 7 février 2005 Lecture : 3 minutes.

C’est une petite affaire de délinquance qui a tourné au tragique. Le 17 janvier, dans une rue étroite d’Amsterdam, deux jeunes garçons juchés sur un scooter s’approchent d’une voiture qui attend que le feu passe au vert. Soudain, le passager du scooter ouvre la portière arrière de la voiture, se penche et s’empare du sac de la conductrice. Le scooter fait demi-tour et les deux jeunes gens prennent la fuite. Mais la conductrice ne l’entend pas de cette oreille. Elle démarre en marche arrière et poursuit les deux voleurs. Tout va très vite. La voiture, qui est difficile à manoeuvrer puisqu’elle est en marche arrière, intercepte le scooter, le renverse, l’entraîne, monte sur le trottoir, puis finit sa course contre un obstacle. Le passager, le voleur de sac donc, est écrasé et meurt sur le coup.
Des incidents comme celui-ci, il y en a malheureusement souvent, même s’ils ne se terminent pas tous de façon aussi tragique. En temps normal, ils méritent à peine un entrefilet en troisième page du journal. Mais justement, nous ne sommes pas « en temps normal ». Le retentissement de la mort du jeune Ali, puisque c’est ainsi qu’il se nomme, a été considérable au Pays-Bas.
Tout d’abord, il faut noter une coïncidence extraordinaire, qui est que l’incident a eu lieu dans la rue même où le cinéaste Théo van Gogh a été assassiné par un Marocain, il y a quelques mois. Cette fois-ci, c’est une Néerlandaise de souche qui a causé la mort d’un Marocain, même si c’est de façon involontaire. Tout de suite, une marche silencieuse de protestation a été organisée par les amis du jeune Ali. Elle a mobilisé une centaine de personnes. Cependant, plusieurs Marocains ont refusé de s’y associer, car ledit Ali était un délinquant notoire qui, à 19 ans à peine, avait déjà eu maille à partir avec la police à plusieurs reprises.
Mais la réaction la plus vigoureuse est venue du gouvernement néerlandais. Rita Verdonk, la ministre de l’Intégration, a déclaré, en guise d’épitaphe, que si Ali n’avait pas volé le sac de la dame, il serait encore vivant. Les quelques murmures scandalisés qui ont accueilli cette déclaration se sont rapidement tus quand le Premier ministre lui-même, Jan Peter Balkenende, est monté au créneau pour affirmer qu’il souscrivait entièrement aux propos de Verdonk. Il a ajouté, pour enfoncer le clou, que son gouvernement était unanime sur ce point.
Une telle réaction aurait été impensable il y a quelques années. Tout le monde aurait pieusement déploré la mort de l’adolescent, sans trop s’attarder sur les causes de l’accident, et on aurait sans doute passé sous silence le fait qu’il avait déjà un casier judiciaire ; tout cela aux antipodes, donc, de la réaction officielle de Verdonk et Balkenende. La presse ne s’y est pas trompée, d’ailleurs, puisque le Telegraaf, qui est le grand journal populaire, voire populiste, des Pays-Bas, a proclamé, en cinq colonnes à la une, ces simples mots : « Eigen schuld ! » C’est-à-dire : « C’est ta faute ! » Une sorte de message d’outre-tombe pour Ali, un message dont on peut discuter le goût ou la pertinence… Un journaliste réputé a parlé des risques du métier. Du métier de voleur à la tire, s’entend.
Entretemps, ledit voleur a été rapatrié et enterré dans son village, dans le Rif. Son père et ses frères ont accompagné sa dépouille mortelle. De retour aux Pays-Bas, un de ses frères a déclaré : « Jusqu’à la semaine dernière, je me sentais plus hollandais que marocain. Mais voir tout un peuple se réjouir de la mort de mon frère m’a complètement transformé. Aujourd’hui, je ne rêve plus que d’amasser assez d’argent pour revenir au Maroc créer ma propre société. »
Curieusement, le frère d’Ali est spécialiste en surveillance et sécurité. Les deux frères symbolisent donc le malaise grandissant entre la communauté marocaine et le peuple néerlandais. L’un leur permet de dormir sur leurs deux oreilles en assurant leur sécurité tandis que l’autre empoisonne leur vie en les dévalisant. Et plus d’un Néerlandais doit se demander aujourd’hui, en regardant la photo d’Ali et en lisant les propos de son frère, qui sont les vrais Marocains.

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