L’art contemporain africain s’offre en beaux livres
L’art africain est à la mode, tant mieux ! À l’occasion des fêtes de fin d’année, Jeune Afrique a sélectionné pour vous quatre livres mettant en lumière les créateurs venus du continent.
Artistes africains, de 1882 à aujourd’hui, Phaidon, 356 pages, 60 euros.
Comment faire un beau livre sur les artistes africains modernes et contemporains qui ont marqué et continuent de marquer l’histoire de l’art ? La question peut paraître anodine, la réponse est loin d’être évidente. Si l’on prend le temps d’y réfléchir quelques minutes, la notion même de classement relève du pur casse-tête. Ranger les artistes en fonction de leur origine nationale et les enfermer, encore une fois, dans des frontières déterminées par l’histoire coloniale ? Diviser le continent en deux – Afrique du Nord et Afrique subsaharienne – en oubliant que le désert fut aussi un lieu de riches échanges ? Choisir des thématiques ou des techniques qui rassemblent les uns et les autres en oubliant que les plasticiens contemporains aiment à varier les plaisirs ? Opter pour un ordre chronologique montrant les évolutions, avec le temps, des approches ?
Les éditions Phaidon, connues pour la qualité de leurs beaux livres, ont choisi de se simplifier la vie en optant pour un ordre alphabétique, dont on peut dire qu’il a le mérite de tout mélanger et de provoquer des étincelles visuelles. Artistes africains, de 1882 à aujourd’hui, rassemble, après une introduction de l’artiste et historien de l’art nigérian Chika Okeke-Agulu, plus de 300 plasticiens issus du continent, d’Hamed Abdalla (Égypte) à Portia Zvavahera (Zimbabwe). Pour chacun d’entre eux, une image grand format dépeignant une pièce représentative de leur œuvre, une légende précise, un court texte de présentation et une fiche d’identité minimale : dates de naissance et de mort, origine, lieu d’activité. L’avantage de cette présentation : elle permet de mettre en avant une grande diversité d’artistes et les créations présentées, choisies avec soin, disposent d’une place conséquente sur la page.
L’inconvénient ? Choisir une seule pièce pour évoquer le travail d’un artiste demeure réducteur, surtout quand le texte de présentation est plus court qu’une notice Wikipédia. Quant à l’introduction, qui multiplie les généralités, elle ne permet pas vraiment de se faire une idée des logiques, des débats et des courants qui agitent le milieu de l’art et ses principaux protagonistes. Est-ce une raison pour bouder son plaisir ? Non, car les belles reproductions de ce livre et les textes qui les accompagnent peuvent servir d’introduction à un monde qui demeure méconnu – et donner envie d’en savoir plus.
L’Art dit colon, un aspect méconnu de l’art africain, par Alain Weill, Albin Michel, 228 pages, 39 euros
Il est devenu commun de lire des articles et de visiter des expositions rappelant à ceux qui l’ignoreraient à quel point les arts classiques africains ont influencé les artistes occidentaux contemporains, à commencer par le plus connu d’entre eux, Pablo Picasso. Il est beaucoup moins fréquent de trouver des analyses sur les influences qu’eurent les esclavagistes et les colons – puisqu’il faut bien appeler un chat, un chat – sur les artistes africains.
Les marchands puis les musées ont systématiquement ignoré l’art dit colon en s’arc-boutant sur des idées fausses
Au musée du quai Branly, Nicolas Menut avait présenté en 2016 Homme blanc, homme noir, les représentations de l’Occidental dans l’art africain du XXe siècle, une exposition prolongée par son livre L’Homme blanc, les représentations de l’Occidental dans les arts non-européens. Aujourd’hui, c’est Alain Weill, fondateur et directeur du Musée de l’affiche, et surtout collectionneur, qui s’attaque au sujet avec L’Art dit colon, un aspect méconnu de l’art africain. Faisant la part belle à l’image, ce gros livre surprend à chaque page avec des créations que l’on n’a pas l’habitude de voir. Et pour cause ! Elles n’entrent généralement pas dans les canons d’une vision très répandue selon laquelle il ne faudrait considérer que les objets les plus « authentiques » – si tant est que ce mot ait un sens en matière d’art. Pourtant, s’intéresser à l’art « dit colon » permet d’inverser le regard dominant et d’adopter un autre point de vue sur les métissages artistiques. Alain Weill fait ainsi sienne la définition donnée par les collectionneurs Denise et Michel Meynet : « L’art colon n’est ni un art de rupture ni un art qui a dégénéré à force de contamination. Il représente la part de l’art africain qui s’est adaptée pour assurer la survie du monde traditionnel. »
Refuser de regarder cet art, parfois palpitant d’humour, ce serait s’aveugler volontairement. Comme le dit Weill dans sa postface : « Les marchands puis les musées ont systématiquement ignoré l’art dit colon en s’arc-boutant sur des idées fausses : refus de l’évolution d’un art qu’ils veulent figer ; eurocentrisme fanatique, niant aux sculpteurs africains le statut d’artiste. […] Ils rêvaient d’un art africain qui fût mort : il était au contraire bien vivant. » Tout en restant accessible, ce livre le démontre avec pédagogie.
Oh ! AfricArt, par Elisabeth Tchoungui, sur une idée de Sonia Perrin et Tim Newman, éditions du Chêne, 224 pages, 42 euros
Longtemps mis au second plan, l’art contemporain africain a le vent en poupe dans la capitale française ces dernières années. Du palais de Tokyo à la fondation Louis Vuitton en passant par de nombreuses galeries comme la galerie Magnin-A, ou encore la galerie Mariane Ibrahim qui vient d’ouvrir ses portes à Paris, tous surfent sur l’essor de cet art africain en exposant des travaux d’artistes issus des quatre coins du continent.
Pour mettre en lumière la foisonnante création artistique du continent africain, la journaliste et écrivaine franco-camerounaise Elisabeth Tchoungui s’est lancé le défi de réunir pour la première fois les œuvres de 52 artistes plasticiens contemporains, dans un ouvrage de 224 pages. Les artistes qui y sont représentés sont tous nés en Afrique et y vivent toujours. De plus, ces œuvres ont la particularité d’avoir été toutes réalisées dans la dernière décennie. Véritable voyage à travers l’Afrique, ce beau livre donne à voir et à lire un continent en perpétuel mouvement. Les 52 œuvres qui y figurent évoquent à la fois traditions et modernités, enjeux économiques et de sociétés. Les questions de genre, d’identité, de sexualité et d’écologie y sont toutes évoquées et apportent un vent de fraîcheur à cet ouvrage.
Sentez-vous comme dans une exposition, asseyez-vous dans votre canapé et laissez vous guider. C’est l’occasion d’avoir au plus près de vous des artistes comme Sadikou Oukpedjo, Omar Diop, Chéri Samb ou encore Zanele Muholi. Avec en prime, l’avantage d’avoir un texte qui explique chaque œuvre et la replace dans son contexte de création.
Swinging Africa, le continent mode, par Emmanuelle Courrèges, Flammarion, 60 euros
Exit les beaux livres qui servent de vitrine aux créateurs occidentaux comme Yves Saint Laurent, Chanel ou encore Gucci. Dans Swinging Africa, la journaliste Emmanuelle Courrèges s’est donnée pour mission de célébrer l’Afrique à travers ses modes et ses créateurs. Véritable ode à la mode africaine, cet ouvrage expose des jeunes créateurs africains qui montent sur la scène internationale. Ceux-là, qui ont par exemple le privilège de présenter leurs créations devant la papesse de la mode africaine Naomi Campbell lors de défilés à la Fashion week de Lagos ou de Cape Town.
La couverture de l’ouvrage qui met en scène l’Ivoirienne Lafalaise Dion et ses cauris est chargée de symbole. Cette créatrice qui a habillé à plusieurs reprises Beyoncé – notamment dans Spirit – incarne cette Afrique successful qui vient bousculer les codes de la mode occidentale avec des accessoires et matériaux traditionnels. Dans Swinging Africa présenté en 3 chapitres : créateurs, styles, photos, Emmanuelle Courrèges se veut aussi pédagogue. À travers les photos, parfois accompagnées de textes, elle explique entre autres aux lecteurs ce qu’est le bazin, ce tissu à base de coton souvent teinté qu’aime porter les femmes et les hommes en Afrique de l’Ouest. Un focus est également mis sur des accessoires ancestraux. S’ils n’incarnent pas une tradition, ils sont vecteurs des réalités sociales actuellement traversées par le continent : dans l’ouvrage, on retrouve parfois des mannequins parés d’accessoires faits de pièces détachées ou de matériaux recyclés.
Cet ouvrage, tiré en 3 000 exemplaires, vous fera découvrir cette Afrique audacieuse et avant-gardiste, où des jeunes créateurs puisent dans leur héritage pour nous proposer une approche contemporaine de la mode africaine.
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