La tentation d’exister

Publié le 7 février 2005 Lecture : 3 minutes.

En décidant, contre l’avis de ses compatriotes, d’envoyer un contingent symbolique de 550 militaires épauler les Américains en Irak, le Premier ministre Junichiro Koizumi a à la fois brisé un tabou et jeté les bases d’une nouvelle doctrine de politique étrangère. La Constitution pacifiste de 1947 interdit théoriquement aux membres des Forces d’autodéfense (FAD) – euphémisme employé pour désigner les soldats japonais – d’intervenir hors des frontières nationales. Des aménagements ont été introduits, depuis la fin de la guerre froide, pour autoriser l’archipel à participer à des opérations onusiennes, au Cambodge ou au Timor oriental. Mais, s’agissant de l’Irak, l’intervention est d’une tout autre nature : elle n’a pas été avalisée par le Conseil de sécurité, et on ne peut l’assimiler à une opération de maintien de la paix. Déployée, en principe, dans des zones « non combattantes », la mission des soldats japonais est militaire par essence : contribuer à la stabilisation de la région de Samawa, dans le Sud chiite du pays. Et, à en croire le directeur de l’agence de défense japonaise, cette mission, si elle est couronnée de succès, pourrait servir de modèle à des opérations analogues, appelées à devenir une des tâches principales des Fad à l’avenir.

Contraint par sa Constitution, le Japon s’est longtemps contenté de pratiquer la diplomatie du carnet de chèques. À chaque fois que ses alliés occidentaux étaient confrontés à un défi international, Tokyo versait son écot, escomptant en retirer au passage quelques avantages politiques : un peu plus de considération, et, à terme, un siège de membre permanent au Conseil de sécurité. Mais les résultats n’ont pas été à la hauteur de son effort. L’énorme contribution – 13 milliards de dollars – versée pour financer l’effort de guerre américain contre l’Irak en 1990-1991 a ainsi été accueillie avec condescendance, comme la confirmation du statut de nain politique du Japon. Tirant la leçon de cet épisode fâcheux, Koizumi s’est forgé la conviction que, pour se faire respecter, son pays devait prendre ses responsabilités, et imiter en cela l’Allemagne, l’autre puissance vaincue en 1945, qui est intervenue sans états d’âme dans les Balkans ou en Afghanistan dans le cadre de la Force internationale d’assistance à la sécurité (Isaf).

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L’affaire irakienne en a fourni le prétexte. Même si l’opinion reste foncièrement pacifiste, Junichiro Koizumi a réussi sans trop de difficultés à faire « avaler la pilule » en invoquant la nécessaire solidarité avec l’allié américain. Assumant et revendiquant son suivisme, il a voulu apparaître comme le meilleur allié asiatique de George W. Bush. La sécurité de l’archipel, potentiellement menacée par la Corée du Nord, dépend plus que jamais du parapluie militaire américain. Mais Tokyo souhaite un règlement pacifique de la question posée par Pyongyang, surtout depuis que le territoire japonais est à portée de missile nord-coréen. Koizumi, habilement, a fait le choix de contenter Washington sur l’Irak pour mieux l’amadouer sur la Corée du Nord. Et s’est tout aussi habilement servi de l’épouvantail de la prolifération nucléaire sur la péninsule du Matin-Calme pour s’attaquer à un autre tabou : celui de la défense japonaise.
Le budget militaire du Japon est déjà le troisième du monde, et l’arsenal, naval et balistique, de son armée vient d’être considérablement renforcé. L’idée d’un recours à des frappes préventives n’est plus complètement exclue, ce qui constitue en soi une petite révolution doctrinale. Mais qui n’est rien à côté de l’hypothèse, ouvertement évoquée dans certains cénacles conservateurs, d’une nucléarisation de l’archipel. Les Américains, qui se verraient ainsi dégagés d’une partie du fardeau de la protection du Japon, ne sont pas hostiles à cette idée, qui, en revanche, suscite d’énormes réticences, tant du côté nippon que dans les pays voisins. Car il ne faut pas s’y tromper : la Corée n’est qu’un autre prétexte. C’est pour pouvoir traiter d’égal à égal avec Pékin que certains, à Tokyo, se prennent à rêver eux aussi de la bombe…

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