La controverse de Douala

Publié le 7 février 2005 Lecture : 3 minutes.

La controverse de Douala n’est pas la première qui ait été soulevée par des essais cliniques en Afrique, en particulier quand ils concernent le sida. L’affaire est aujourd’hui à peu près oubliée, mais en 2000, un ouvrage de 1 070 pages, intitulé The River : A Journey to the Source of HIV and AIDS, émettait l’hypothèse que l’épidémie de sida avait pour origine des essais vaccinaux réalisés en Afrique centrale entre 1957 et 1960. L’auteur, Edward Hooper, était un ancien correspondant de la BBC en Afrique et fonctionnaire de l’ONU. Son livre lui avait demandé dix ans de recherches. Pendant ces trois années 1957-1960, des docteurs blancs travaillant sur un vaccin antipolio avaient fait des essais, par voie orale, sur un million d’Africains de l’ancien Congo belge. On leur faisait croire qu’on leur donnait des bonbons. Des reins de chimpanzés avaient été utilisés par un médecin d’origine polonaise, Hilary Koprowski, pour fabriquer ce vaccin : or ils étaient contaminés par un virus d’origine simiesque. Koprowski, cependant, a été lavé de tout soupçon en octobre 1992 par un comité d’experts. Par la suite, une étude épidémiologique menée en 2001 par une équipe de l’Institut de recherche pour le développement a confirmé que l’Afrique centrale serait en effet l’épicentre de la pandémie, mais que l’homme était porteur du virus bien avant le lancement de la campagne de vaccination de Koprowski.
Cette dérive n’empêche pas que « les essais cliniques apparaissent aujourd’hui comme incontournables pour une démonstration rationnelle de l’efficacité d’un traitement ». Ils ont, cependant, des aspects particuliers dans les pays en développement. Dans un ouvrage publié en 2004 aux IRD Éditions, le docteur Jean-Philippe Chippaux, spécialiste de santé publique et de médecine préventive, et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), étudie longuement et rigoureusement la « pratique des essais cliniques en Afrique » (c’est son titre). « On peut s’attendre, écrit-il, à ce que l’application stricte des normes occidentales, techniques aussi bien qu’éthiques, entraîne des réticences en raison de spécificités culturelles ou économiques. Toutefois, celles-ci seront encore plus marquées si les essais cliniques s’accompagnent de désinvolture ou s’affranchissent systématiquement des règles admises dans les pays industrialisés. Une adaptation de ces règles est donc nécessaire. »
Chippaux rappelle notamment deux polémiques autour des essais cliniques du sida en Afrique. L’une concernait un essai du cotrimoxazole (Bactrim®) contre placebo pour traiter les infections opportunistes. Le traitement étant connu dans les pays industrialisés, on a contesté l’intérêt d’une telle étude. Mais le contexte n’était pas le même : l’essai était justifié.
L’autre portait sur un essai de l’AZT contre la transmission du VIH à l’enfant d’une femme séropositive. Là, l’utilisation d’un placebo dans les essais de traitement court était jugée non éthique : il aurait fallu faire un traitement long tel qu’il est validé dans les pays industrialisés. Mais les études dans les pays en développement peuvent-elles être dictées par les principes applicables au Nord, quand, en Afrique, les règles d’indépendance individuelle sont radicalement différentes des règles occidentales ? En outre, note Chippaux, « l’opposition entre intérêt scientifique et intérêt commercial s’exacerbe dans les pays en développement, en raison du décalage considérable entre les enjeux industriels du médicament et la pauvreté de ces pays ».
Reste qu’il y a des règles d’éthique à respecter. Les comités d’éthique sont là pour y veiller, même s’il faut encore préciser leurs prérogatives et leur fonctionnement. Pour Chippaux, les « critères éthiques de la recherche clinique » devraient être les suivants :
– valeur sociale ou scientifique (mesure de l’efficacité d’une intervention) ;
– validité scientifique ;
– sélection des sujets (avec un choix de population pertinent et une protection des populations vulnérables ou exploitables) ;
– rapport risque/bénéfice favorable ;
– évaluation indépendante (et notamment évaluation des conflits d’intérêts) ;
– consentement informé ;
– respect des sujets (avec possibilité de retrait à tout moment sans pénalité, confidentialité des informations, sécurité des sujets, communication des résultats aux participants).
Plus une vigilance de tous les instants. L’Agence nationale de recherches sur le sida a arrêté en France, fin décembre, un essai sur un vaccin préventif, parce que dans le cadre d’un essai de la même molécule (pas du même vaccin), aux États-Unis, l’un des volontaires avait été hospitalisé pour une myélite inexpliquée (et pas forcément causée par le vaccin). Le Cameroun a appliqué la même règle.

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