Coca-Cola boit la tasse

Stagnation des ventes, erreurs stratégiques, échecs commerciaux, démêlés judiciaires, montée en puissance de Pepsi. Le géant d’Atlanta piétine.

Publié le 8 février 2005 Lecture : 4 minutes.

Les fameuses bulles Coca-Cola ne sont plus aussi pétillantes ! Et le nouveau PDG, nommé le 1er juin dernier pour redresser la marque, est à la recherche de la recette miracle. Lors de sa première prise de parole, le 11 novembre, devant les milieux financiers de Wall Street, Neville Isdell n’a pas caché l’ampleur de la tâche. Coca-Cola n’a pas su s’adapter aux évolutions du marché et les équipes dirigeantes sont ouvertement mises en cause. « Nous réalisons de mauvaises performances depuis 1997. Nous n’avons pas répondu aux nouvelles attentes des consommateurs, notamment en matière de santé », a reconnu celui qui a travaillé trente-cinq ans dans le groupe, d’abord en Zambie en 1966, puis en Australie et en Europe. Parti à la retraite il y a trois ans, il a été appelé à la rescousse par le conseil d’administration pour répondre à l’urgence de la situation et rassurer les actionnaires qui cherchaient désespérément un successeur à Douglas Daft, poussé à la démission après quatre années de gestion jugée catastrophique.
En 2004, les ventes de Coca-Cola ont stagné et les profits ont chuté de 24 % sur le dernier trimestre. En trois ans, le nombre d’employés a été réduit de 20 %, soit 7 000 personnes. Plus inquiétant encore pour l’avenir, le marché des États-Unis arrive à saturation : un Américain consomme en moyenne 200 litres de soda par an, difficile de faire plus ! Et « l’ennemi intime », Pepsi-Cola, a gagné du terrain (+ 0,4 %) pour détenir 31,8 % du secteur des boissons gazeuses. Certes, Coca-Cola est toujours en tête avec 44 % (- 0,3 %), mais il est indéniable que « la marque bleue » se montre beaucoup plus innovante avec des campagnes de communication plus agressives, une meilleure stratégie commerciale et une anticipation sur les nouveaux goûts du consommateur.
La firme d’Atlanta, en Géorgie, sûre de son hégémonie, n’a pas vu venir la « mode » des boissons allégées, jus de fruits et autres eaux minérales. Après les années fast-food, l’Américain du Minnesota ou de Californie découvre progressivement les charmes de la diététique ! Les campagnes de prévention contre l’obésité et pour une meilleure hygiène de vie ont fait le reste. Selon une enquête de la banque Morgan Stanley, Coca-Cola est considérée « comme l’une des marques agroalimentaires les moins bonnes pour la santé ». Au contraire, avec sa boisson énergisante Gatorade, son eau minérale Aquafina, et une série d’autres labels alimentaires (Quaker, Tropicana…), Pepsi-Cola a collé au plus près à cette nouvelle demande.
Coca-Cola, en revanche, a raté le train de la diversification : les boissons gazeuses représentent encore 83 % de son chiffre d’affaires. Aquafina devance Bonaqua ; le nouveau Vanilla Coke n’a pas eu le succès escompté ; Powerade court toujours derrière Gatorade ; et l’eau Dasani est tout simplement restée en cale sèche sur le marché européen, les stratèges en marketing ayant sous-estimé la force de la concurrence Nestlé (Vittel, Contrex…) et Danone (Évian, Volvic…). Douglas Daft s’est laissé convaincre et a financé une gigantesque campagne de publicité pour vanter les mérites de ce nouveau produit. Au final, après plusieurs révélations qui mettaient en cause le filtrage et la composition de cette eau, la World Company a décidé de battre en retraite avant même d’avoir livré bataille : 500 000 bouteilles ont été retirées des étalages au Royaume-Uni et le lancement a été tout simplement annulé en France et en Allemagne, notamment. Un flop mémorable. Nous étions en mars 2004. Dans la foulée, le boss annonçait son départ à la retraite.
Pour remonter la pente, le nouveau patron a annoncé une augmentation de 350 à 450 millions de dollars par an des dépenses marketing et de publicité, qui s’élèvent déjà à 2 milliards. Présente dans deux cents pays, « l’entreprise à la marque rouge », qui réalise plus de 70 % de son chiffre d’affaires à l’international, vise en priorité les marchés à fort potentiel, comme la Russie, le Brésil, l’Inde et surtout la Chine. L’empire du Milieu est à ce jour en cinquième position, derrière les États-Unis, le Mexique, le Brésil et le Japon, mais les marges de progression sont à l’échelle du pays : colossales. Les ventes ont augmenté de 20 % sur le dernier trimestre 2004. Coca-Cola revendique 53 % du marché et entend « développer son activité dans la Chine rurale » où vivent 80 % des 1,3 milliard d’habitants. Il est prévu d’implanter de nouveaux sites d’embouteillage en complément des trente-quatre déjà existants. Il va falloir aussi convaincre les consommateurs habitués au thé traditionnel et qui considèrent que les boissons froides sont mauvaises pour la santé. La tâche sera d’autant plus ardue que Pepsi-Cola partage les mêmes ambitions chinoises et possède déjà une trentaine d’entreprises d’embouteillage et de commercialisation.
En Inde, le défi est tout autre. Les deux marques sont confrontées à une vague de défiance. Selon des analyses effectuées par un laboratoire indépendant de New Delhi, les taux de pesticides relevés dans le Coca et le Pepsi sont trente fois supérieurs aux normes européennes. En août 2003, un groupe de députés a demandé l’interdiction de la vente, le gouvernement a ordonné l’ouverture d’une enquête et un collectif de défense de l’environnement dénonce le pillage des ressources en eau.
Plus près d’Atlanta, les stratèges du soda ont aussi de sérieux problèmes judiciaires, qui remontent à août 2003, quand un ancien responsable financier a dénoncé des pratiques comptables douteuses. L’autorité boursière américaine, la Securities Exchange Commission (SEC), s’est saisie du dossier. Une enquête a été ouverte. Elle porte sur l’envoi au Japon de quantités excessives de concentré de Coca produit à Atlanta et ensuite expédié aux embouteilleurs pour être dilué avec de l’eau gazeuse. Ce procédé aurait permis de gonfler artificiellement les résultats du groupe. Décidément, il n’est pas simple d’être un géant.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires