Bénin : Reckya Madougou condamnée à 20 ans de prison

L’opposante à Patrice Talon, reconnue coupable de « financement du terrorisme », a été condamnée à 20 ans de prison. Elle dénonce un procès politique et un « virage autocratique ».

Reckya Madougou, à Paris, en juin 2015. © Vincent Fournier/JA

Reckya Madougou, à Paris, en juin 2015. © Vincent Fournier/JA

Publié le 11 décembre 2021 Lecture : 4 minutes.

Vingt ans de prison ferme. Le verdict est tombé au petit matin, ce samedi 11 décembre, au terme de l’audience qui s’était ouverte la veille. Reckya Madougou, ancienne ministre de la Justice de Thomas Boni Yayi, qui avait vu sa candidature à la présidentielle d’avril dernier écartée faute de parrainages, a été reconnue coupable de « financement du terrorisme ».

Les juges de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), qui ont suivi les réquisitions du procureur spécial, Mario Metonou, l’ont en outre condamnée à une amende de 50 millions de francs CFA. « Cette cour a délibérément décidé de clouer au pilori une innocente, avait-elle déclaré avant que le verdict ne tombe. Je n’ai jamais été et je ne serai jamais une terroriste. »

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Trois des coaccusés de l’ancienne garde des sceaux – Bio Dramane Tidjani, Sacca Zimé Georges et Mama Touré Ibrahim – ont écopé de la même peine. Le policier Mohamed Gbassiré Mora, poursuivi pour « abus de fonction », a pour sa part été condamné à cinq ans de prison et à une amende de deux millions de francs CFA. Un quatrième prévenu a été acquitté au bénéfice du doute.

Une cible « mal choisie » ?

Devant les juges de la juridiction spéciale, l’ancienne ministre de Thomas Boni Yayi, incarcérée depuis le 5 mars, s’est employée à nier en bloc les arguments de l’accusation. Reckya Madougou est accusée d’avoir financé un projet d’assassinat de deux personnalités politiques proches du pouvoir, dans le but de perturber l’élection présidentielle d’avril dernier.

La première personne à rigoler de cette affaire est Charles Toko

Première personnalité ciblée par ce « plan », selon l’accusation : Charles Toko, ancien maire de la ville de Parakou. Réputé proche de Patrice Talon, il est aussi à la tête du groupe de presse Le Matinal. Niant avoir voulu attenter à sa vie, Reckya Madougou a affirmé qu’elle avait au contraire de bonnes relations avec lui, malgré les divergences politiques.

« La première personne à rigoler de cette affaire est Charles Toko, a-t-elle déclaré à la barre. Charles Toko a été mal choisi dans cette affaire. C’est l’une des personnalités dont je suis la plus proche dans le régime de la rupture. » Assurant qu’elle échangeait avec lui le jour de son arrestation, Reckya Madougou a ajouté que l’ancien maire de Parakou la « taquinait même sur (sa) candidature ».

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Autre cible supposée de l’opération de déstabilisation que Reckya Madougou est accusée d’avoir financé : Rachidi Gbadamassi.

L’opposante a cependant assuré qu’un tel projet aurait été « contraire à ses intérêts ». Elle affirme en effet lui avoir remis 70 millions des francs CFA, dans le but que ce député du Bloc républicain, l’un des deux principaux partis de la majorité présidentielle, lui apporte son soutien. À en croire la défense, le député aurait changé d’avis in extremis. « J’ai besoin de Gbadamassi vivant pour qu’il me rembourse », a lâché Madougou à la barre.

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Interrogée sur les 15 millions de francs CFA remis à son conseiller politique, Georges Saka, que l’accusation considère comme une preuve de sa volonté de financer une opération de déstabilisation, les fonds devaient servir « à l’organisation de la campagne électorale », a balayé l’accusée.

Un ancien colonel « troublé »

Le seul prévenu qui aura, au cours de l’audience devant la Criet, reconnu l’existence d’un projet d’assassinat de personnalités politiques est Ibrahim Mama Touré, un ancien colonel de l’armée. Il affirme notamment avoir reçu de l’argent de la part de Georges Saka, en vue d’assassiner une personnalité politique de premier plan. Mais il aurait finalement « pris peur » en découvrant que Charles Toko était l’une des cibles.

À la barre, l’ancien colonel est aussi revenu sur plusieurs de ses déclarations lors de l’instruction. Au procureur, qui lui demandait pourquoi il a, dans une de ses premières versions, affirmé que l’argent devait servir à acheter des armes au Togo, l’ancien militaire a peiné à répondre, assurant qu’il s’agissait alors de faire croire au commanditaire que l’assassinat était possible. Lors de l’instruction, il avait également affirmé avoir été en contact avec Reckya Madougou, avant de revenir sur ses déclarations, assurant avoir été « troublé » par le juge lors de l’audition.

Des « incohérences » et « contradictions » que n’ont pas manqué de relever les avocats de la défense. « Toutes les réquisitions du ministère public ne reposent que sur les déclarations d’Ibrahim Mama Touré. Si l’on retire ces déclarations, Reckya Madougou, Georges Saka et les autres n’ont plus rien à faire dans ce dossier », a notamment plaidé Me Nadine Dossou Sakponou, l’une des avocates de Madougou.

Tribune politique

L’avocat français Me Antoine Vey, qui avait fait le déplacement à Cotonou pour l’audience, a pour sa part claqué la porte de la salle d’audience après avoir demandé l’annulation pure et simple du procès. « Cette procédure n’est qu’un coup politique. Avant même son arrestation, tout a été orchestré », a estimé l’avocat.

« Tout le monde aura compris que dans ce procès, l’on a protégé des collaborateurs, alliés politiques, mais cloué au pilori l’innocente que je suis », a lancé l’opposante, qui a fait du prétoire une tribune politique contre ce qu’elle a qualifié de « virage autocratique ». « Je m’offre pour la démocratie, a-t-elle lancé. Si mon sacrifice peut permettre à la justice de retrouver son indépendance, alors je n’aurais pas souffert inutilement de cette terreur ».

Cette condamnation intervient quelques jours seulement après celle qui a frappé Joël Aïvo, autre opposant condamné par la même Criet à dix ans de prison pour blanchiment de capitaux et complot contre l’autorité de l’État.

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