Averroès et Maïmonide mènent l’enquête
Auteur prolifique et touche-à-tout, Jacques Attali a choisi l’Andalousie du XIIe siècle pour cadre de son dernier ouvrage, un « thriller » spirituel.
Il y a chez Jacques Attali un appétit de savoir et une boulimie de transmettre. Livre après livre, il entend rendre son lecteur plus intelligent. Peu importe la forme – le roman ou l’essai -, l’essentiel est de lui faire découvrir des idées neuves ou, s’il faut appeler l’histoire à la rescousse, de lui en rappeler d’autres dont il pourra faire son miel. Comme Attali a une connaissance aiguë de l’art de communiquer, il sait, chaque fois, choisir le genre afin de coller au mieux au sujet. Ainsi son dernier livre, La Confrérie des Éveillés, est-il autant, pour parler anglais, un thriller qu’un ouvrage de réflexion, un road movie qu’un traité métaphysique.
Voilà deux hommes, un musulman et un juif, qui naissent à Cordoue au début du XIIe siècle, sous le règne tolérant des Almoravides. Une époque exceptionnelle où la chrétienté, l’islam et le judaïsme coexistent et vivent en une harmonie parfaite. C’est, au fond, une période de civilisation absolue et originale, où les écoles sont au nombre de mille et où la bibliothèque renferme plus de quatre cent mille ouvrages.
L’arrivée au pouvoir des Almohades, eux fondamentalistes, exigeant la conversion à l’islam, répudiant autant les mathématiques que la musique de l’Andalousie, va transformer la vie des deux héros. Averroès le musulman et Maïmonide le rabbi, nourris par Aristote, sont des savants, des lettrés. Ils entendent concilier la foi et la raison, c’est-à-dire leur religion et la philosophie de la Grèce. Dans ce but, possédant un laissez-passer sous forme d’une pièce d’or, ils doivent partir à la recherche d’un trésor, un manuscrit traduit seulement en deux versions, l’une arabe, l’autre latine. Ce trésor serait détenu par un initié à la tête d’une confrérie inquiétante, voire dangereuse, celle des « Éveillés ».
D’où une quête, rythmée par de multiples aventures, qui les mène à travers l’Europe et le Maroc, d’où une recherche non commune mais identique, d’où leurs embûches nombreuses avant de se révéler d’immenses esprits du temps et de parvenir à quelques conclusions qu’ils établiront et auxquelles le lecteur aboutira pour son propre compte. À savoir la nécessité de la tolérance et du respect de l’autre, à savoir la primauté de la raison qui s’impose même aux croyants et le refus du « véritable extrémisme, celui qui tue avant même de laisser le temps de penser », à savoir la parfaite compatibilité de l’islam et du judaïsme pour peu qu’on évite les bûchers de l’excès et de la sottise.
« Chacun, écrit Attali, parlait avec vénération de la religion de l’autre, qu’ils considéraient comme la forme la plus haute du monothéisme. » D’autant que l’un comme l’autre juge que « seule la matière corruptible était le mal, que l’Esprit, immortel, était le bien ».
On pourrait craindre que l’ouvrage soit une litanie de dialogues philosophiques. Il l’est certes, mais ce qui le rend passionnant et foisonnant c’est qu’il s’agit également d’un récit où la plume court vite. Si tous les faits historiques que l’auteur relate ont eu lieu, si la quasi-totalité des personnages a existé, si la réalité de l’époque est présente en permanence au point de ne pouvoir être contestée, si même le langage des deux héros est bien celui qu’ils parlaient autrefois, la trame romanesque – soit principalement l’existence des « Éveillés » – permet à l’érudition de ne pas être pesante et au lecteur de ne pas pouvoir lâcher le livre avant de l’avoir terminé.
Bref, Attali réussit magnifiquement son épopée. Ce qui n’était pas le cas de son précédent ouvrage*, plus pesant et, au final, moins riche. Peut-être le sujet était-il plus difficile : il s’agissait rien de moins que de « réinventer » la social-démocratie !
* La Voie humaine, éd. Fayard, 200 pages 15 euros.
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