Al-Jazira torpillée ?

Cédant aux pressions de l’administration Bush, l’émir du Qatar envisage de vendre la chaîne d’information en continu qu’il a créée il y a huit ans.

Publié le 7 février 2005 Lecture : 3 minutes.

En moins de huit ans, Al-Jazira est devenue l’une des cent « personnalités » les plus influentes de la planète, s’il faut en croire le classement établi par l’hebdomadaire américain Time (avril 2004). Créée en 1996 par Hamed Ibn Khalifa Al Thani, le souverain qatari, et dirigée par Thamer, l’un de ses neveux, la chaîne d’information en continu détone dans un paysage audiovisuel arabe où l’indigence chronique des programmes le dispute à la flagornerie à l’égard des puissants. Au fil des années, elle est parvenue à élargir son audience et à jouer un rôle politique de premier plan, aussi bien au Maghreb qu’au Moyen-Orient.
La recette de ce succès fulgurant ? Un cocktail qui mêle professionnalisme british, habillage moderne (génériques, bandes-annonces ou jingles) et une remarquable qualité du traitement de l’information, grâce à une impressionnante équipe d’envoyés spéciaux. La soixantaine de journalistes que compte la rédaction forment une mosaïque de nationalités. Son noyau dur ? Une équipe d’anciens du service arabe de BBC World, à qui l’émir du Qatar a offert, en 1995, une cagnotte de 150 millions de dollars.
L’élan, cependant, risque d’être brisé. Les Américains, dont les B-52 décollent le plus souvent d’une base située au Qatar, à quelques kilomètres du siège d’Al-Jazira, cachent de moins en moins leur agacement. Et l’émir a le plus grand mal à résister à leurs pressions. La mise en vente de la chaîne est sans doute à l’étude. Le Qatar espère même, dit-on, trouver un acheteur dans le courant de cette année. En cas de cession, Al-Jazira conservera-t-elle son identité ?
L’apparition d’Al-Jazira dans un paysage audiovisuel arabe longtemps dominé par les Saoudiens par le biais de Middle East Broadcasting (MBC) avait constitué une vraie révolution. Introduction des modes occidentales dans la présentation des émissions, disparition des tabous qui caractérisent les sociétés arabes, interactivité avec des téléspectateurs qui interviennent en direct au cours des débats et, surtout, parole donnée à des opposants interdits d’antenne dans leurs pays respectifs… Tout cela a contribué au succès populaire d’Al-Jazira, qui revendique aujourd’hui plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs.
Sa notoriété internationale s’est renforcée lors de l’intervention américaine en Afghanistan, après les attentats du 11 septembre 2001. Seul média étranger toléré par les talibans, la chaîne dispose du monopole de l’information télévisée sur ce pays. Ses images de la destruction des Bouddhas de Bamian ont fait le tour du monde. Et l’interview d’Oussama Ben Laden réalisée par Tayssir Allouni, l’envoyé spécial de la chaîne en Afghanistan, a rendu verts de jalousie les grands reporters de CNN et de la BBC. Alors, quand en novembre 2001 l’US Air Force a lancé ses avions furtifs et ses B-52 sur Kaboul, Allouni est carrément devenu le Peter Arnett (ce journaliste de CNN qui, en février 1991, couvrit en exclusivité le bombardement de Bagdad) arabe.
Diffusées en direct, ses images exclusives de l’Intifada d’al-Aqsa et de la deuxième guerre du Golfe ont achevé de consacrer la chaîne. Si elle s’impose à al-Qaïda comme le meilleur relais pour la diffusion de son idéologie, elle irrite les Américains et leurs vassaux irakiens. Les premiers n’hésiteront pas à bombarder ses bureaux à Kaboul et à Bagdad, où l’un de ses journalistes sera tué. Les seconds finiront par fermer son antenne à Bagdad, privant ainsi le monde de tout témoignage sur la destruction de Fallouja, Samara ou Nadjaf.
Américains et Irakiens ne sont d’ailleurs pas les seuls à être incommodés par les reportages d’Al-Jazira. Le cheikh Hamed Ibn Khalifa Al Thani est assailli de plaintes de ses pairs arabes, qui reprochent à la rédaction de diffuser les messages des preneurs d’otages, les discours de Ben Laden, d’Aymen al-Zawahiri et même de Saddam Hussein, à l’époque où il était encore en fuite. Imperméable à ces critiques, la chaîne s’abrite derrière la charte déontologique qui règle la conduite de ses journalistes. Combien de télévisions arabes peuvent-elles en dire autant ?
Al-Jazira ne manque pas de projets. Une chaîne sportive a été lancée l’année dernière et une chaîne pour enfants devrait l’être prochainement, conformément au souhait de l’épouse du souverain : l’islam raconté en dessins animés dans le style manga… Que restera-t-il de tout cela si l’émirat choisit de passer la main ?

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