Un homme clé à la manuvre

Le directeur général du Port autonome d’Abidjan s’appuie sur les bons résultats de la plus importante plate-forme d’échanges internationaux de la région pour afficher de grandes ambitions.

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Avec sa voix rauque et sa stature imposante, Marcel Gossio, directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA), règne sur ses collaborateurs. À table, ils lui réservent toujours la place d’honneur. On entendrait une mouche voler quand il se met à parler. De sa tournée à Paris, Rotterdam, Anvers et Bruxelles, achevée en décembre dernier, pour convaincre les armateurs – notamment le français CMA-CGM, le japonais MOL, rencontré aux Pays-Bas, et l’italien Grimaldi, rencontré en Belgique – d’augmenter leur trafic vers le PAA, maintenant que « la paix est revenue en Côte d’Ivoire ». Du président malien Amadou Toumani Touré, qui lui a fait « l’honneur de le recevoir », en novembre. De la « lettre de félicitations » que le chef de l’État burkinabè, Blaise Compaoré, lui a envoyée pour saluer ses efforts en vue de rétablir les échanges entre le PAA et le Burkina. Toujours à la frontière de la politique, Marcel Gossio, 56 ans, persiste à se présenter comme « un simple directeur de port »
Le destin professionnel de ce natif d’Adjamé, un quartier populaire d’Abidjan, est pourtant intimement lié à celui qui l’a nommé à la tête du PAA un mois après son élection, en novembre 2000, et qu’il connaissait depuis le début de son engagement au Front populaire ivoirien (FPI). Ce « président Laurent Gbagbo », comme il l’appelle pour marquer son respect, qu’il rencontre « très souvent » – et même « quand je veux » – et pour lequel il confectionne « de petites fiches de renseignements sur le port ». Cette proximité a permis à Marcel Gossio et à son équipe d’anticiper la reprise de l’activité du port. Dès que les ennemis d’hier ont commencé à se rencontrer au Burkina, en février 2007, dans le cadre du « dialogue direct » pour trouver une solution à la crise, le PAA a commencé à élaborer une stratégie pour « redorer son image », « un peu écornée » par les cinq années de crise qu’a connues le pays.
Principal débouché des économies malienne et burkinabè, « poumon économique » de la Côte d’Ivoire – 85 % des recettes douanières nationales, soit 60 % du budget de l’État, sont prélevées au PAA, où sont situées 70 % des unités industrielles du pays -, le port d’Abidjan a en effet souffert depuis 2002. Le trafic de marchandises n’a certes pas diminué, passant de 16 millions de tonnes en 2002 à 18 millions en 2006, mais il a connu un creux (15 millions en 2003) et la progression n’a pas été aussi fulgurante qu’elle aurait dû l’être sans la crise. Sur la même période, le trafic avec les pays de l’hinterland a en revanche considérablement chuté : de 389 000 tonnes à 298 000 avec le Burkina ; de 637 000 à 399 000 avec le Mali. Les routes reliant ces deux pays à la Côte d’Ivoire n’étant pas sûres, les armateurs comme les commerçants se sont tournés vers les concurrents de la sous-région : Cotonou, au Bénin ; Tema, au Ghana ; Lomé, au Togo ; Dakar, au Sénégal. Aujourd’hui, Marcel Gossio ambitionne de reconquérir ces parts de marché, mais précise avec cet aplomb qui ne le quitte jamais que « le PAA est toujours resté leader » en Afrique de l’Ouest.

Reprise du trafic avec les pays voisins
La stratégie de reconquête passe notamment par l’augmentation de la capacité d’accueil, à commencer par l’accroissement du tirant d’eau autour des quais du terminal à conteneurs. Pour permettre à des navires de plus en plus chargés – 4 000 à 5 000 conteneurs – d’accoster, il est passé de 10,36 m à 11,50 m aujourd’hui et doit atteindre 13,50 m cette année. En 2009, l’extension du port sur l’île de Boulay sera construite par PFO, le groupe de Pierre Fakhoury, l’architecte de Yamoussoukro, proche de Laurent Gbagbo. Les armateurs se verront facturer les coûts d’escale, par ailleurs réduits de 5 %, à l’heure et non plus à la journée, et des entrepôts seront mis à leur disposition « afin de les fidéliser ». Dernier outil utilisé par le DG : « l’organisation de missions auprès des partenaires et clients en Afrique et en Europe ». Elles l’ont mené à Ouagadougou du 24 au 29 juillet, à Bobo Dioulasso du 8 au 15 septembre, à Bamako du 10 au 18 novembre et en Europe en décembre.
Aux pays de l’hinterland, Marcel Gossio répète que les routes sont désormais sûres et qu’une « escorte spéciale » a été mise en place : du port jusqu’aux frontières du Burkina et du Mali, les camions de marchandises sont encadrés par la police, qui facilite les formalités lors des barrages routiers, permettant ainsi de faire le voyage en trente-six heures, contre sept jours pendant la crise. L’entreprise de charme porte ses fruits. En temps normal, c’est-à-dire hors crise, 1,5 million de tonnes de marchandises sont échangées avec les pays de l’hinterland. De janvier à novembre 2007, le trafic a atteint 1,3 million. Des opérateurs qui s’étaient « momentanément détournés d’Abidjan » pour Lomé, Cotonou ou Tema ont fait leur retour. La Sofitex (Société burkinabé des fibres textiles), dont le coton est le principal produit d’exportation du Burkina, les camions citerne à destination de Ouagadougou et de Bamako, qui n’osaient plus emprunter les routes ivoiriennes, l’homme d’affaires burkinabè Oumarou Kanazoé, qui a pris l’engagement de faire passer par le port d’Abidjan des matériaux de construction d’une valeur de 25 milliards de F CFA (38 millions d’euros).

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« Les partenaires occidentaux reviennent »
Côté européen, l’offensive commerciale semble également prendre. Le groupe Grimaldi, « qui était pratiquement parti à Dakar », a décidé de faire passer le nombre de ses escales à Abidjan de 2 à 7 et d’y construire un terminal « roro » (roll on, roll off), qui permet de faire entrer les véhicules dans le navire pour le décharger. L’armateur CMA-CGM va également augmenter le nombre de ses escales. Et MOL faire du port d’Abidjan son port d’éclatement dès le début de l’année 2008. « Les partenaires occidentaux reviennent », assure-t-il.
Pour l’ancien cadre bancaire – Gossio a successivement travaillé à la Compagnie ivoirienne de financement immobilier et à la Société nationale de recouvrement de Côte d’Ivoire -, ce retour des fidèles dans le giron du PAA est bien naturel. « Tous les opérateurs étaient partis la mort dans l’âme », assure-t-il. Son explication est simple : « Les autres ports de la sous-région ont été conçus pour des économies nationales » et sont donc « rapidement engorgés ». À l’inverse, le PAA aurait tous les avantages Trente-quatre postes à quai, une heure trente d’attente maximum en rade, grues, portiques L’acquisition par Dubai Ports d’une concession à Dakar, promesse de modernisation et donc de concurrence accrue pour Abidjan, ne l’effraie pas : le Mali, qui constitue également l’hinterland du Sénégal, restera parmi les clients de la Côte d’Ivoire. « Il ne faut pas perdre de vue que notre pays a une position médiane entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, rappelle doctement le DG [directeur général], comme le surnomment avec déférence ses collaborateurs. Nous sommes à la croisée des grands chemins maritimes vers l’Asie et l’Europe. » Toujours sûr de lui, pas plus enclin à l’autocritique qu’à la nuance, Marcel Gossio ne voit jamais venir de mauvaises vagues. Finalement, rien ne l’inquiète. Le Port d’Abidjan, vache à lait du FPI ? « Ce sont ceux qui ont eu à gérer le port pendant longtemps avant nous qui le disent », se défend-il, avec cette assurance née de la certitude d’être du bon côté.

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