Tragédie kényane

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 3 minutes.

Il faut tout faire pour éviter que le Kenya, dont l’élection présidentielle à l’intersection de 2007 et 2008 a tourné au drame, ne bascule dans une ère de turbulences, ou même de guerre civile. On évoque déjà à son sujet le précédent de la Côte d’Ivoire, qui, elle, aperçoit le bout du tunnel, mais après une quinzaine de longues années troublées.
Le Kenya est peu connu, même des Africains, tant il semblait n’être qu’une oasis de paix et de stabilité, paradis pour touristes euro-américains. Rivalisant avec Abidjan, Dakar et Johannesburg, sa capitale, Nairobi, faisait figure de métropole régionale et accueillait de nombreux sièges de multinationales.
Les Britanniques, qui ont occupé et exploité le Kenya pendant quatre-vingts ans (de 1887 à 1963), en avaient apprécié le climat au point d’en faire – comme la Rhodésie ! – une colonie de peuplement : à la veille de l’indépendance du pays, conquise de haute lutte, deux cent mille colons et hommes d’affaires du Royaume-Uni y détenaient l’essentiel du pouvoir et les meilleures terres.

Depuis 1964, le pays n’a eu à sa tête que trois présidents : Jomo Kenyatta (seize ans), Daniel arap Moi (vingt-quatre ans) et Mwai Kibaki (depuis 2002).
Ce troisième président s’était présenté et avait été élu pour sauver le pays de la stagnation, des criantes inégalités et, surtout, de la corruption. Il n’a, hélas, pas tardé à décevoir : si la croissance économique a été bien meilleure que sous son prédécesseur, les inégalités se sont plutôt accentuées, et la corruption, un moment freinée, a repris de plus belle.
Mwai Kibaki a écarté ceux qui l’ont aidé à gagner ou, en tout cas, a perdu leur soutien : John Githongo, le « monsieur Propre » du pays, le vrai pourfendeur de la corruption, a dû s’exiler à Londres ; quant à Raila Odinga, il a été obligé de quitter le gouvernement avant de s’engager dans l’opposition et de se présenter à la présidentielle de décembre dernier contre Kibaki.

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Le déroulement du scrutin a été correct, mais le dépouillement des bulletins a été jugé douteux par la plupart des observateurs. Et l’on pense généralement que Kibaki, qui a aujourd’hui près de 80 ans, et les siens ont profité des moyens du pouvoir pour tirer la couverture à eux. Quoi qu’il en soit, le sortant a vite proclamé qu’il avait gagné et, comme pour mettre tout le monde devant le fait accompli, s’est empressé de prêter serment.
Au lieu de conduire à la résignation, sa hâte a mis le feu aux poudres et provoqué l’explosion.
[Lire pages 14 à 17 le récit et l’analyse de Nicolas Michel].

Le Kenya indépendant a été presque tout le temps mal gouverné. Un chiffre, un seul, sanctionne ce qui n’a pas été accompli en quarante années d’indépendance : alors que la population a quadruplé (elle est passée de 9 millions à 36 millions), le PIB du pays, très inégalement réparti, a beaucoup augmenté, certes, mais n’est encore que de 21 milliards de dollars par an, soit moins de 600 dollars par habitant.
En comparaison, la Tunisie, pays aussi pauvre que le Kenya en richesses naturelles et qui ne compte que 10 millions d’habitants, a un PIB nettement plus élevé : 30 milliards de dollars par an – soit 3 000 dollars par habitant.

Le Royaume-Uni et les États-Unis sont en bonne partie responsables du mauvais résultat kényan : avec leurs instruments, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, ils se sont comportés comme les parrains des gouvernements successifs, qu’ils ont submergés de compliments – et d’aide (16 milliards de dollars en quarante ans).
Le fait que la stagnation économique, l’inégalité de répartition des terres et des richesses – et la corruption – règnent en maîtres ne les a jamais gênés, tout au contraire : ils n’en ont chanté que plus haut les louanges de ce « havre de quiétude, de liberté et de démocratie ! ».
Jusqu’à George W. Bush qui a, tout naturellement, embrigadé – militairement – le gouvernement de Kibaki dans sa guerre contre le terrorisme.

Conclusion d’un bon connaisseur du pays, Michael Holman : « Le Kenya ? Un pays africain de plus qui paie au prix fort la couverture (diplomatique et médiatique) donnée à ses mauvais gouvernants par leurs protecteurs occidentaux »

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