Ricardo Lumengo

Le 21 octobre dernier, en pleine vague xénophobe, cet ancien réfugié natif d’Angola est devenu le premier député suisse d’origine africaine. Pas mal pour un « mouton noir » !

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 4 minutes.

À Bienne, petite cité industrielle du canton de Berne, à moins d’une heure trente par la route de Genève, les immeubles à l’architecture germanique contrastent avec l’atmosphère romande – tout le monde ici parle français – de ce restaurant convivial des bords du canal de la Suze.
Vêtu d’une veste en cuir qu’il porte sur un blazer et un jean, entre sobriété et décontraction, Ricardo Lumengo s’excuse poliment de son retard. Même si, montre en main, celui-ci n’excède guère deux minutes. À son arrivée, le patron le gratifie d’un retentissant bonjour. Et les habitués de l’établissement, qui a la réputation d’être le QG du Parti socialiste local, se lèvent pour le féliciter chaleureusement.
Sérieux mais souriant, ce quadragénaire à la carrure imposante et au regard doux paraît sur la réserve. Presque intimidé. « Je suis quelqu’un de secret », confirme-t-il. Pourtant, depuis les élections législatives du 21 octobre 2007, cet Angolais naturalisé, célibataire et père de jumelles, est, en Suisse, au centre de toutes les discussions. Un peu contre son gré.
On sait que l’Union démocratique du centre (UDC), le parti populiste et xénophobe de Christoph Blocher, a, lors de cette consultation, réalisé un score sans précédent (29 % des suffrages exprimés) et passablement inquiétant : n’avait-elle pas choisi pour principal thème de campagne la chasse aux « moutons noirs » ? Mais Lumengo, à contre-courant, a réussi à se faire élire au Conseil national, la Chambre basse du Parlement. Il est le premier Africain d’origine dans ce cas. Rétrospectivement, son élection apparaît comme le signe avant-coureur de cette sorte de sursaut qu’a constitué, deux mois plus tard, l’éviction du gouvernement du chef de file de l’UDC.

« Je ne changerai pas »
Sa victoire, Ricardo Lumengo l’a célébrée tranquillement, chez des amis près de Genève. Mais, déçu par les mauvais résultats du Parti socialiste et la percée de l’UDC, il s’est bien gardé de sabrer le champagne. Personne n’aurait pu imaginer que ce juriste sans histoire, élu local inconnu du grand public, allait être soudainement propulsé sur le devant de la scène. Mais l’intéressé garde la tête froide. « Mon élection ne me changera pas », jure-t-il.
Pour commencer, il ne s’installera pas à Berne, la capitale, où siège le Parlement, mais restera fidèle à Bienne, qui lui a accordé sa confiance il y a déjà plusieurs années et dont il apprécie l’esprit d’ouverture et le cosmopolitisme. Très militant, il va, dit-il, continuer à se battre « pour l’intégration des étrangers, le droit à la formation, et contre le chômage ». Mais il ne se berce d’aucune illusion : en dépit de léchec de Blocher au Parlement, la très xénophobe UDC reste en position de force. Tandis que ses camarades socialistes sont durablement affaiblis.

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La politique dans le sang
Le restaurant s’est peu à peu vidé de ses derniers clients et les poêlons à fondue ont retrouvé leur place sur les étagères. Attablé devant un Schweppes, Ricardo Lumengo raconte son exil : « En 1982, j’ai dû fuir mon pays en raison de mon engagement politique. Recherché par la police du régime, je craignais pour ma sécurité. J’avais tout juste 20 ans. » Mais il demeure évasif sur la guerre civile angolaise, préférant évoquer les circonstances de son arrivée en Suisse.
« Guidé par le hasard d’une rencontre à l’aéroport, je me suis installé à Fribourg. Grâce au soutien de la région, j’ai rapidement trouvé divers petits boulots, qui m’ont permis de mettre de l’argent de côté afin de financer mes études. » En 1992, les élections angolaises raniment l’espoir d’un hypothétique retour dans son pays natal. Mais il tient auparavant à achever ses études de droit. Deux ans plus tard, il est diplômé, mais, entre-temps, la situation en Angola s’est gravement détériorée. Plus question de rentrer
Ricardo Lumengo s’exprime dans un français châtié, avec ce phrasé alangui si caractéristique de l’accent vaudois. Et presque aussi bien en allemand. « On se sent et on devient rapidement suisse », affirme-t-il, tout sourires.
Son flegme apparent tranche avec la passion qui, manifestement, l’anime. Il se souvient avec nostalgie des discussions enflammées, au temps de l’adolescence et de la lutte contre la dictature : « La politique a toujours fait partie de ma vie. Comment pourrait-il en être autrement quand on a grandi entre l’Angola et le Congo ? L’arrestation de mon père, lorsque j’avais 8 ans, et sa libération triomphale, deux ans plus tard, resteront à jamais gravées dans ma mémoire. »
Tous les ans, il passe quelques semaines en Afrique. Pour se ressourcer, voir des parents, des amis Mais c’est en Suisse qu’il se sent désormais chez lui et qu’il imagine son avenir.
Membre du Parti socialiste depuis plusieurs années, il a vu sa carrière politique s’accélérer il y a trois ans, après son élection au Conseil de la ville de Bienne. L’ancien demandeur d’asile dispose aujourd’hui d’un mandat national, mais reste lucide : il sait que la médiatisation de son élection ne sera qu’un feu de paille. Qu’il est surveillé de près par ses détracteurs, et même, sans doute, par certains membres de son propre parti.
Mais l’homme de gauche qu’il est accepte, au moins provisoirement, que l’on s’intéresse à lui en raison de ses origines. Et parce qu’il est devenu le symbole de la Suisse anti-Blocher. Mais le chemin est encore long : quand cessera-t-il d’être une figure emblématique de la lutte contre le racisme et la xénophobie pour devenir – enfin ! – un député comme les autres ?

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