Opération Boutef III

Le FLN et tous les représentants de la « famille révolutionnaire » appellent le président de la République à briguer un troisième mandat en 2009 à la faveur d’une révision de la Constitution. Une initiative qui ne manquera pas de faire débat.

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

« Il n’y a pas de hasard en politique. » C’est avec cette formule qu’Abdelaziz Belkhadem, Premier ministre et secrétaire général du Front de libération nationale (FLN, ancien parti unique), a commenté le timing de l’appel lancé le 4 décembre 2007 par son parti au président Abdelaziz Bouteflika pour qu’il brigue un troisième mandat à la faveur d’une révision de la Constitution, celle-ci disposant qu’un président de la République ne peut être réélu qu’une seule fois.
L’annonce a été faite au deuxième jour de la visite d’État du président français, Nicolas Sarkozy, en Algérie. « Nous voulions prendre à témoin un chef d’État étranger de l’immense popularité de notre président », explique le patron du FLN. Le même jour, quatre « organisations de masse » proches de l’ancien parti unique publient séparément une demande identique : révision de la Constitution pour permettre au président de se représenter en 2009 : l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA, qui revendique près de 5 millions de syndiqués), l’Union nationale des paysans algériens (UNPA), l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM, qui regroupa les anciens combattants de la guerre de libération) et l’Organisation nationale des enfants de chouhada [martyrs] (Onec). Ces quatre structures incarnent la « famille révolutionnaire », formule générique désignant le courant nationaliste pur et dur. La concomitance de ces annonces laisse à penser que le 4 décembre marque le début d’une opération « troisième mandat » pour Boutef.
L’idée d’une révision de la Constitution n’est pas nouvelle. Le président algérien n’a jamais caché la gêne que lui inspire la Loi fondamentale conçue en 1996 (l’Algérie était alors au bord de l’implosion du fait de la menace terroriste) et devenue anachronique après l’évolution positive qu’a connue le pays. La première fois qu’il a évoqué un changement constitutionnel remonte au 4 juillet 2005. C’était devant le commandement de l’armée à l’occasion de la fête de l’Indépendance. Quelques mois plus tard, le 26 novembre 2005, un ulcère hémorragique nécessitait le transfert d’urgence du président algérien à l’hôpital parisien du Val-de-Grâce pour une intervention chirurgicale délicate et une longue convalescence. La presse locale avait fait ses choux gras de l’état de santé de Bouteflika. Du coup, ce dernier n’a plus abordé publiquement le sujet de la révision constitutionnelle, cette tâche revenant logiquement au FLN, dont le chef de l’État est le président d’honneur. C’est donc le parti qui a pris l’initiative de l’opération troisième mandat.
À 70 ans, le principal intéressé s’est abstenu de commenter l’offre. Quant à la classe politique, majorité ou opposition, elle ne semble pas pressée d’adhérer ou de rejeter l’appel de la « famille révolutionnaire », préférant attendre que le président lui-même lance le débat. En attendant, voici les principaux arguments que pourraient invoquer partisans et adversaires d’un projet de révision de la Constitution.

Les arguments pour
Jamais président algérien n’a joui d’une telle popularité. Ni d’un tel bilan. L’Algérie de 2007 n’a rien à voir avec celle qu’il a trouvée en 1999, quand il a entamé son premier mandat. En deux référendums, il a sollicité et obtenu du peuple son soutien à « sa » politique de réconciliation qui a considérablement contribué à dépeupler les maquis islamistes avec, à la clé, une indéniable amélioration des conditions sécuritaires que ne saurait remettre en question la récente vague d’attentats-?suicides (10 000 morts par an en moyenne dans les années 1990, moins de 1 000 en 2007). La banqueroute des années 1990 n’est également plus qu’un mauvais souvenir : un peu plus de 100 milliards de réserves de change aujourd’hui, un chômage passé de 30 % à 12 % et une économie en voie d’émergence. Embellie circonstancielle due à l’envolée des cours pétroliers ? Pas seulement. « Pour la première fois depuis l’indépendance, il y a un peu d’intelligence et de bon sens au sein du pouvoir. » La formule de cet universitaire résume la perception générale des années Boutef. Si le pouvoir est encore perçu par l’opinion comme un « ramassis de prédateurs », le président et son proche entourage sont épargnés. Ses déplacements à l’intérieur du pays ressemblent à ceux d’une pop star. Des ?dizaines de milliers de personnes se pressent pour l’applaudir, l’embrasser ou lui toucher la main. Peu de personnalités, historiques ou contemporaines, peuvent soutenir la comparaison.
Originaire de l’Ouest, Bouteflika enregistre ses meilleurs résultats électoraux ailleurs, en pays chaoui, chez les Kabyles ou les Zénètes du Touat. Les zaouias, confréries religieuses, ne jurent plus que par lui, et il est le seul à faire l’unanimité au sein de toutes les tribus. Bref, Boutef jouit de la confiance de la population. Patrons et ouvriers, jeunes et vieux, tous sont séduits par son verbe où se mêlent populisme et pragmatisme, libéralisme et protectionnisme. Son côté benjamin de la guerre de libération, son passé de jeune chef de la diplomatie au temps béni d’« Alger, La Mecque des révolutionnaires » et son statut de victime du pouvoir des militaires (en 1979, il avait été écarté par l’armée alors qu’il était le successeur naturel de Houari Boumedienne) font oublier son appartenance à une génération largement minoritaire dans le corps électoral (les trois quarts des Algériens ont moins de 30 ans) et qui tardent à transmettre le témoin aux générations postindépendance. Son rayonnement international dû à sa longue expérience diplomatique, à son érudition et à sa parfaite maîtrise des dossiers de la planète n’est pas sans flatter l’orgueil des Algériens. Dernier argument en faveur d’un troisième mandat : le décalage entre la popularité du président et la répulsion qu’inspire la classe politique chez l’opinion. D’où l’extrême prudence affichée par l’ensemble des partis à propos de la présidentielle de 2009. L’ensemble de l’échiquier politique a encore en mémoire les résultats d’avril 2004. Bouteflika avait alors été réélu avec 85 % des suffrages, laminant ses rivaux, dont le premier (Ali Benflis) n’en avait recueilli que 6,4 %.

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Les arguments contre
« La limitation du nombre de mandats est antidémocratique, plaide Abdelaziz Belkhadem, dans la mesure où il s’agit d’une véritable restriction à la souveraineté populaire qui se trouve amputée dans son droit à choisir ses représentants. » Un argument un peu léger, car la limitation du nombre de mandat est davantage un garde-fou contre la tentation de s’accrocher au pouvoir qu’une atteinte à la souveraineté du peuple. Il va sans dire qu’une révision de la Constitution, quelles que soient les motivations de ses initiateurs, sera perçue comme un tripatouillage pour une pérennisation de l’équipe en place. Cela ne manquera pas d’éclabousser Bouteflika, qui pourrait voir son statut de « sauveur de la République » se transformer en celui de « fossoyeur de ses institutions ».
Permettre à Bouteflika de se présenter une troisième fois ne constitue certes pas une atteinte au pluralisme (rien n’interdit aux autres partis d’investir leur propre candidat), mais cela reste un coup dur donné à la pratique démocratique. Cela replongerait le pays dans une transition sans fin, confirmerait la précarité d’une stabilité sociopolitique que l’on croyait acquise et ferait planer les incertitudes les plus lourdes sur l’Algérie post-Bouteflika avec une guerre de succession sans fin, un réveil de la lutte des clans au sein du sérail ou de dramatiques empoignades régionalistes.
Si beaucoup reconnaissent que l’Algérie a besoin d’une réforme de la Constitution, celle-ci ne devrait pas avoir pour motivation l’extension du nombre de mandats. Il s’agit de penser un projet de société qui ferait définitivement entrer le pays dans le XXIe siècle et mettrait ses institutions à l’abri de la volatilité du corps électoral, lequel, il n’y a pas si longtemps, avait accordé ses suffrages à l’obscurantisme (victoire du Front islamique du salut en 1991, avec les conséquences que l’on sait).
En 2009, Bouteflika aura 72 ans, soit plus du double de l’âge moyen de la population. De nombreux septuagénaires sont encore au pouvoir dans le monde. Les inquiétudes sont plutôt liées à l’état de santé du président. La simple annulation d’un Conseil des ministres, le 31 décembre 2007, a relancé toutes les spéculations sur sa maladie, et ses capacités à gouverner ont de nouveau fait la une de la presse locale. Si Boutef III il y a, il sera moins flamboyant. Au cas où l’initiative du FLN irait à son terme, de toutes les promesses du candidat Abdelaziz Bouteflika lors de sa campagne électorale de 2004, une sera à tout le moins différée : « Je serai celui qui transmettra le pouvoir aux générations d’après l’indépendance. »

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