L’impossible rupture ?

Gouvernement resserré, fin du règne des « roitelets », guerre déclarée à la corruption, culture du résultat… Quarante ans après son accession au pouvoir, le président Bongo Ondimba promet du changement. Sans forcément convaincre.

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

Omar Bongo Ondimba (OBO) a achevé l’année 2007 en trombe et de fort mauvaise humeur. Alors qu’il célébrait sa quarantième année à la tête du pays et son soixante-douzième anniversaire, le chef de l’État s’est montré plus combatif que jamais, comme pour devancer et conjurer une probable controverse dont aurait pu faire l’objet son exceptionnelle longévité au pouvoir. À la manière du plus ordinaire de ses concitoyens, il est apparu, le 1er décembre, ni « usé » ni « fatigué » mais passablement exaspéré par « l’inefficacité » de son propre gouvernement. Rédigé par une nouvelle plume, le discours qu’il a lu devant des invités perplexes n’a été « réexaminé » dans les coulisses du Palais du bord de mer que par deux ou trois proches conseillers. Vertement, le chef de l’État a reproché à l’équipe du Premier ministre Jean Eyeghé Ndong de compter dans ses rangs des « roitelets » et dénoncé son incapacité à améliorer à un rythme satisfaisant la « situation sociale » des populations.

Le verbe incisif, OBO s’est fait suffisamment offensif pour étonner même ceux qui connaissent son tempérament. Et inscrire ses propos, que d’aucuns jugent « décoiffants », dans une démarche de « rupture ». Aussi a-t-il promis de réaménager le cabinet dirigé par Jean Eyeghé Ndong, ce Premier ministre volontaire mais affaibli par des baronnies érigées au sein d’un gouvernement de cinquante et un membres, dont cinq vice-Premiers ministres et onze ministres d’État. Vraisemblablement tenaillé par le souci d’améliorer le bilan de sa longue présidence, le doyen des chefs d’État africains entend surtout remettre au travail les nombreux prétendants à sa succession. « Je sillonnerai si nécessaire tout le Gabon pour vérifier par moi-même que ce que j’ai décidé est fait », s’engage-t-il, comminatoire.

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Sur le front de la lutte contre les détournements de deniers publics tant décriés par l’opinion publique, OBO promet de combattre « l’impunité ambiante » qui règne dans la haute fonction publique et de mettre les magistrats devant leurs responsabilités. Quelques jours plus tard, alors que tout le monde attend un réaménagement gouvernemental, Hervé Fulgence Ossamy, 42 ans, ancien directeur général de Gabon Télécom et gendre (mais en instance de divorce, il convient de le préciser) du président de la République, est incarcéré le 18 décembre dans le cadre d’une affaire de détournement. Comme pour signifier que la rupture annoncée n’était pas qu’un effet d’annonce. On va voir ce qu’on va voir.

Mais l’enthousiasme des Gabonais est quelque peu retombé après la nomination, le 28 décembre, du nouveau gouvernement. Visiblement, le chef de l’État n’est pas allé aussi loin que les observateurs l’attendaient. Il n’y a pas eu de révolution. Une partie de ses compatriotes voulait des têtes sur le billot. Ils espéraient, comme le disait la rumeur, au minimum 22 départs, pour 9 nouveaux arrivants. D’abord parce que la moyenne d’ancienneté des membres du gouvernement sortant tournait autour de dix ans. Ensuite, parce que le pays, qui compte 1,3 million d’habitants, était soumis de manière récurrente aux railleries de l’extérieur pour la taille jugée disproportionnée de son gouvernement. À l’arrivée, il n’y eut que 15 partants pour 7 nouveaux visages.

Un léger coup de balai

À défaut de big bang, les partisans du changement se contenteront d’un léger coup de balai. Réduit à 42 membres, le cabinet ne compte plus que 3 vice-Premiers ministres : Georgette Koko, 54 ans, chargée de l’Environnement et du Développement durable ; l’ancien opposant Paul Mba Abessole, 69 ans, en charge de la Culture, et Jean Ping, 66 ans, qui conserve les Affaires étrangères en attendant éventuellement de remplacer Alpha Oumar Konaré à la tête de la Commission de l’Union africaine (UA), si toutefois il était désigné par les chefs d’État membres de l’organisation le 2 février prochain à Addis-Abeba (lire aussi pp. 40-41). Après seize années de présence ininterrompue au gouvernement, dont dix comme vice-Premier ministre, Emmanuel Ondo Methogo, 61 ans, a été écarté. Également limogée, l’égérie du « bongoïsme » Paulette Missambo, 58 ans, aux affaires depuis 1990. Le maroquin de la Santé, qu’elle occupait, est confié à une quadra au caractère trempé, Angélique Ngoma, qui conserve la Famille et la Promotion de l’enfance dans son portefeuille.

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De fait, le coup de serpe présidentiel a surtout décimé la caste des ministres d’État, qui passent de 10 à 2. On n’y retrouve plus que l’inoxydable Casimir Oyé Mba, ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), qui n’a plus quitté le gouvernement depuis le 27 avril 1990, lorsque OBO l’installa à l’immeuble du 2-Décembre comme chef du gouvernement. Après avoir rongé son frein à la Planification, il revient sur le devant de la scène en prenant en charge le prestigieux et vaste portefeuille des Mines, du Pétrole, des Hydrocarbures, des Ressources hydrauliques etÂÂ des Énergies renouvelables. Le deuxième rescapé est Paul Toungui, époux de Pascaline, la fille du chef de l’État, dans le civil. Pressenti au Pétrole, il reste finalement le grand argentier du pays.

Le président pouvait-il aller plus loin ? Rien n’est moins sûr. OBO n’aurait pu entièrement accéder aux voeux des « réformistes » radicaux, au rang desquels figureraient des proches du Premier ministre Jean Eyeghé Ndong, André Mba Obame, ou le porte-parole du gouvernement René Ndemezo Obiang, sans bouleverser les équilibres sociologiques. Malgré tout, certains membres de l’entourage présidentiel, dont sa fille Pascaline et son conseiller Michel Essonghé, ont âprement ferraillé contre le « grand nettoyage ».

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Les adeptes de la rigueur budgétaire se féliciteront néanmoins de cette (légère) cure d’amaigrissement. Il faut dire que le budget de la nouvelle année était calculé sur la base de 36 départements ministériels. Il ne s’appliquera plus que pour 31. Ce qui n’est pas pour déplaire au Fonds monétaire international (FMI), qui incite Libreville à réduire le train des dépenses de l’État. Quand on sait qu’un vice-Premier ministre perçoit 3,3 mil lions de F CFA (5 000 euros), un ministre d’État 2,9 millions de F CFA, un ministre 2,5 millions et un ministre délégué 2,3 millions, la réduction des effectifs et les rétrogradations présentent des avantages comptables non négligeables.

« Procéder par étapes »

Par ailleurs – et c’est une première -, les ministres délégués nommés sont désormais dotés d’attributions précises et détaillées. Apparemment, le chef de l’État, qui a martelé que « désormais, la durée de vie du gouvernement dépendra de sa capacité à entreprendre et à agir », a décidé de responsabiliser les membres de l’équipe pour pouvoir évaluer régulièrement leurs performances individuelles. Voilà consolés ceux qui estiment qu’OBO n’est pas allé assez loin dans sa volonté d’engager des réformes. « Le chef de l’État entend procéder par étapes », analyse un proche conseiller. Il n’est donc pas exclu que le visage de ce nouveau gouvernement change, notamment au lendemain des élections municipales de la fin d’avril ou sénatoriales de janvier 2009.

Peut-être assistera-t-on alors à l’entrée de l’Union du peuple gabonais (UPG, opposition) au gouvernement. En effet, Pierre Mamboundou n’a pas repoussé les propositions d’ouverture du Palais du bord de mer. L’opposant radical a mis depuis quelques mois de l’eau dans son vin au point de considérer que la « nouvelle vision » présidentielle « devrait pouvoir déboucher sur la mobilisation de toutes les intelligences, de tous bords politiques, pour relever le défi ainsi tracé ». Mamboundou se serait d’ailleurs bien vu au poste de Premier ministre, confie-t-on dans certains états-majors politiques librevillois. Mais on ne lui aurait proposé que trois ministères, dont l’Enseignement supérieur et les Télécommunications, avec la perspective de gérer la très frondeuse université Omar Bongo Ondimba de Libreville et la privatisation sous haute tension de Gabon Télécom.

Ayant décidé que la classe politique consacrait beaucoup trop de temps aux « disputes », OBO a décrété que l’heure était désormais à l’action. Et veut une caisse d’assurance maladie, des hôpitaux, des routes, un réseau de transports en commun, etc. Bref, le chef de l’État entend remettre de l’ordre dans la maison Gabon et envoyer tout le monde au travail. Nommés le 28 décembre, les ministres ont été installés au pas de course le 2 janvier, avant le premier conseil de cabinet qui a siégé dans l’après-midi du même jour, suivi du premier conseil ministériel. Si la réforme du pays paraît si difficile, le maître du Gabon est, lui, devenu un homme pressé.

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