L’enjeu d’Addis

Autant que le nom du successeur d’Alpha Oumar Konaré à la tête de la Commission, le renforcement des prérogatives de celle-ci apparaît comme la priorité de la prochaine conférence des chefs d’État dans la capitale éthiopienne.

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 6 minutes.

Couloirs déserts, bureaux inoccupés, téléphones qui sonnent dans le vide : le siège de l’Union africaine (UA), à Addis-Abeba, ressemble en cette fin d’année à un vaisseau fantôme. « L’organisation tourne au ralenti », raconte, avec un joli sens de la litote, un des rares fonctionnaires à faire acte de présence. « Depuis qu’Alpha Oumar Konaré a annoncé qu’il rendait son tablier, les personnels sont démobilisés, poursuit-il. Plus personne ne prend d’initiative, chacun attend d’y voir un peu plus clair, de connaître le nom et le programme du nouveau patron. Quant aux huit commissaires qui sont censés former l’embryon d’exécutif continental, ils sont presque tous accaparés par la campagne pour leur réélection »

Six candidats en lice
L’interminable transition entamée au lendemain du sommet de Banjul, en juillet 2006, devrait toucher à sa fin début février 2008. Et le nom du successeur de Konaré doit être théoriquement connu à l’issue du sommet d’Addis prévu du 31 janvier au 2 février. Six prétendants (voir J.A. nos 2450-2451) sont en piste : Antoinette Batumubwira (Burundi), Abdulai Osman Conteh (Sierra Leone), Barnabas Sibusiso Dlamini (Swaziland), Inonge Mbikusita-Lewanika (Zambie), Jean Ping (Gabon) et Cassam Uteem (Maurice). Quatre hommes et deux femmes, originaires de toutes les régions de l’UA à l’exception de l’Afrique du Nord. Parmi eux : un seul ancien chef d’État, Cassam Uteem, mais le poste qu’il a occupé pendant presque dix ans, entre 1992 et 2002, était essentiellement honorifique puisque, à Maurice, c’est le Premier ministre qui détient la réalité du pouvoir. « L’affiche n’est pas à la hauteur », commente, désabusé, un diplomate africain en poste à Addis.
Bref retour en arrière : Maputo, juillet 2003. Trente-cinq des quarante-cinq chefs d’État et de gouvernement de l’UA portent leurs suffrages sur Konaré. Le jeune retraité de la politique malienne – il a quitté le palais de Koulouba en juin 2002 – devient le premier président à part entière de la Commission de l’UA. Il était le seul en lice, après le retrait de l’ancien chef de la diplomatie ivoirienne, Amara Essy, l’homme des dix-huit mois de la transition entre l’OUA et l’UA. « AOK » avait bénéficié de l’appui sans réserve des pays qui comptent sur le continent : l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Algérie et la Libye.
La victoire de Konaré était avant tout le triomphe d’une idée et d’une ambition pour la jeune UA. En nommant un de leurs anciens pairs à la tête de l’organisation, en le gratifiant du titre de président et en lui confiant comme feuille de route « l’intégration politique, économique et culturelle du continent », les chefs d’État avaient conscience d’opérer un « saut qualitatif ». Mais aussi un saut dans l’inconnu. Beaucoup moins docile que les secrétaires généraux de l’OUA, de simples fonctionnaires, beaucoup plus enclin, aussi, à dire leur fait aux chefs d’État peu respectueux des droits de l’homme, le flamboyant Konaré s’est vite aliéné leur soutien. En témoignent sa passe d’armes avec le Nigérian Olusegun Obasanjo, en février 2005, au sujet de la crise togolaise ou ses remontrances publiques au Soudanais Hassan el-Béchir lorsque ce dernier revendiquait, pendant le sommet de Khartoum de janvier 2006, la présidence de la conférence des chefs d’État.
Konaré a eu le mérite de rendre visible l’UA sur la scène internationale et d’en faire un acteur diplomatique incontournable, mais il a échoué dans le domaine qui lui tenait le plus à cur, l’intégration politique. Le programme stratégique quadriennal qu’il avait présenté en 2004, synthèse de sa vision pour l’Afrique, était sans doute trop ambitieux et, surtout, prématuré. Force est de reconnaître cependant qu’il n’a guère été aidé par les États membres, qui ont freiné des quatre fers et ne lui ont jamais offert les moyens financiers indispensables au décollage de la Commission. Alors, prenant tout le monde de court, il annonce au beau milieu de son discours du sommet de Banjul, en juillet 2006, que son « enthousiasme s’est émoussé » et qu’il ne briguera pas le renouvellement de son mandat. Il accepte cependant, « dans l’intérêt supérieur de l’organisation », de jouer les intérimaires pour assurer la réussite du sommet d’Accra, de juillet 2007, consacré à « l’étude de faisabilité » des États-Unis d’Afrique. Mais qui ne débouchera sur rien de concret
Accra marque la fin du cycle de « l’utopie volontariste ». Les grandes ambitions de l’UA se sont fracassées contre le principe de réalité. « Les États-Unis d’Afrique ne se feront pas en un jour, c’est un objectif à moyen ou long terme, explique un responsable d’un des départements phares de l’Union. Chacun, même Konaré, est arrivé à la conclusion qu’il fallait changer de méthode, faire une pause, commencer par réformer et consolider l’existant, c’est-à-dire la Commission. » Un audit institutionnel conduit par un panel de treize éminentes personnalités et dirigé par l’ancien patron de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, le Nigérian Adebayo Adededji, est lancé. Vu l’état dans lequel elle se trouve, l’UA a moins besoin d’un visionnaire que d’un bon gestionnaire, capable de négocier le virage pragmatique. Mais qui ?
Longtemps, le nom de Joaquim Chissano est revenu avec insistance. L’ex-président mozambicain, qui a quitté le pouvoir en 2005 et peut se prévaloir d’un bilan honorable à la tête de son pays, semblait présenter le profil idoine pour le poste. Ancien chef d’État, démocrate, disposant d’une aura et d’une envergure dépassant les frontières de son pays, polyglotte (il parle portugais, français et anglais), il est de surcroît apprécié par les Sud-Africains, et, ce qui ne gâte rien, bien plus enclin au compromis que l’imprévisible Konaré. Pourtant, en dépit des sollicitations répétées, il a décliné l’offre. Il n’est pas le seul. D’autres « ex »-pressentis – le Botswanais Ketumile Masire, et le Namibien Sam Nujoma – ont eux aussi renoncé à se porter candidat.

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Une usine à gaz
Les déboires de Konaré ayant refroidi les ardeurs, seules six candidatures ont donc atterri au siège de l’UA. Mais les jeux sont loin d’être faits, et d’ultimes revirements ne peuvent être exclus. La Conférence étant « souveraine », rien n’interdit formellement aux chefs d’État de sortir un nom de leur chapeau pendant les débats. Cependant, la tendance qui semble se dessiner va davantage dans le sens d’un nouveau report de l’élection que dans celui d’une candidature de dernière minute. Pour plusieurs raisons : l’ordre du jour du sommet est très chargé, car avant de se pencher sur le nom du successeur de Konaré, les chefs d’État devront désigner le nouveau président de l’Union, le mandat du Ghanéen John Kufuor arrivant à expiration, et, surtout, étudier l’audit institutionnel du panel d’experts et statuer sur ses recommandations. Enfin, l’éventualité d’un renforcement de la Commission pourrait changer la donne. Konaré l’a dit et répété, sous sa forme actuelle, l’UA ressemble à une usine à gaz.
Le président de la Commission n’a aucune autorité sur les commissaires, qu’il n’a pas choisis, et voit tout un pan de prérogatives – celles qui concernent l’administration et les finances – lui échapper au profit du vice-président, qui est en réalité un président bis. Le Malien est par ailleurs partisan d’un mandat unique de six ou sept ans (contre quatre aujourd’hui). Il a été longuement entendu par les panélistes. « Si leurs conclusions reprennent ses suggestions, si celles-ci sont avalisées par la Conférence, et si aucun des six candidats actuels ne parvient à s’imposer, on peut imaginer qu’il serait alors fortement tenté de reconsidérer sa décision, se hasarde une bonne source à l’UA. » Konaré n’a peut-être pas dit son dernier mot

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