La réunion de la dernière chance

La conférence annuelle de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), à Ouagadougou, le 17 janvier, revêt une importance particulière. Les chefs d’État doivent désigner le gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BC

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

« Cela fait longtemps qu’ils sont à la recherche d’un compromis pour le poste de gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Cette fois, les chefs d’État vont trouver la solution », ose espérer un ministre de l’Économie de l’un des huit pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) avant la conférence de l’organisation, prévue le 17 janvier prochain dans la capitale burkinabè. « Ce sera un élément majeur de l’ordre du jour », conclut-il. Initialement prévue le mois dernier, cette session annuelle va, en effet, offrir l’occasion de saluer les perspectives de paix en Côte d’Ivoire, de s’alarmer des conséquences de la flambée des cours du brut avec la menace d’un retour de l’inflation, d’attirer l’attention sur un tassement de la croissance économique dans la zone, d’appeler à une relance des investissements et de relever avec angoisse les résultats mitigés de la campagne agricole 2007-2008. Mais à vrai dire, si ce sommet de l’UEMOA – organisé conjointement avec celui de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) – est tellement attendu, c’est que le temps presse du côté de la Banque centrale.

Les principaux indicateurs sont au vert
Depuis le départ de Charles Konan Banny, en décembre 2005, pour la primature ivoirienne, le provisoire s’est installé. Faute d’accord sur une candidature de consensus (voir encadré), le gouverneur par intérim, le Burkinabè Damo Justin Baro, est toujours en fonctions. « De nombreux dossiers ont été suspendus. La nécessaire réflexion sur la politique monétaire, avec la question du franc CFA arrimé à l’euro fort, n’a pas été engagée alors que l’indispensable réforme du secteur bancaire n’en est qu’à ses débuts. Il faut rapidement restaurer l’esprit BCEAO, désigner une personnalité forte pour résister aux pressions politiques et qui connaisse bien les arcanes de la maison pour insuffler une nouvelle dynamique. Car sinon, c’est la menace d’un nouvel Air Afrique qui plane », déplore un haut fonctionnaire sous le couvert de l’anonymat tant le malaise est profond au siège de la Banque à Dakar. Le constat est peut-être sévère mais il ne manque pas de justesse. En « off », les cadres de la vénérable institution née en 1959 ne cachent pas leur impatience d’en finir avec une situation qui n’a que trop duré. « Il faut des années pour qu’un gouverneur puisse être crédible, explique le directeur d’une banque sénégalaise. Fonctionner avec un intérimaire, si compétent soit-il, durant plusieurs années n’est pas bon. Par définition, sa marge de manuvre se limite aux affaires courantes. »
De fait, la compétence de Damo Justin Baro ne peut être mise en cause et sa gestion rigoureuse a permis de préserver l’essentiel. L’inflation est maîtrisée avec un taux de 2,3 % en 2006 en zone UEMOA, contre 11,8 % sur l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. Les avoirs extérieurs de la Banque ont progressé de 244 milliards de F CFA au cours de l’année 2006, pour se situer à 4 013 milliards, soit un taux de couverture de l’émission monétaire à 117 %. Mais parallèlement, sur la même année, les concours de la BCEAO aux banques se sont élevés à seulement 25 milliards de F CFA, soit 0,6 % des crédits à l’économie. « La Banque ne remplit pas son rôle de moteur », tranche un économiste, qui rappelle que le taux de croissance a plafonné à 3 % en 2006, contre 5,5 % sur l’ensemble des pays subsahariens. Pour 2007, le Conseil des ministres de l’UEMOA a relevé, en décembre dernier, « la faiblesse de la croissance économique » – qui devrait s’établir à 3,7 % -, et s’est dit « préoccupé par la hausse des prix ». « Par rapport à l’ère Konan Banny, qui avait lui aussi assuré un long intérim avant d’être nommé gouverneur (1990-1993, NDLR), l’époque a changé. Elle nécessite aujourd’hui un vrai leadership pour véritablement relancer la machine », conclut un autre observateur, qui en appelle à une meilleure articulation entre les politiques budgétaires des États et la politique monétaire de la BCEAO. Objectifs : continuer à juguler l’inflation, libérer le crédit et doper la croissance.
Cela passe par une nouvelle gouvernance au sein même de l’institution afin d’en assurer son indépendance tout en permettant aux capitales de fixer les grandes orientations stratégiques et les priorités. Cette réforme institutionnelle doit déboucher, au cours du premier semestre 2008, sur l’installation d’un nouveau conseil d’administration, d’un comité d’audit et d’un nouveau comité de pilotage monétaire. Reste à déterminer, et à faire vivre, l’autonomie de ce comité de pilotage. Qui établira en dernier ressort le niveau des taux d’intérêt directeurs ? Sur ces questions, la personnalité du gouverneur est déterminante.

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« Trop de banques ne sont pas de bonnes banques »
L’autre chantier concerne les réformes indispensables dans le secteur bancaire menacé par une lame de fond qui s’apprête à submerger le paysage ouest-africain : les fusions-acquisitions. Et de ce point de vue, le rachat de la Banque internationale du Burkina (BIB) par les Nigérians de l’United Bank for Africa (UBA), début décembre, n’en constitue que les prémices. « Les banques étrangères à la zone UEMOA profitent de la faiblesse de nos établissements. Il y a trop de banques qui ne sont pas de bonnes banques et qui polluent le système », estime le patron de l’un des principaux groupes de la sous-région. Afin d’écarter les « aventuriers de la finance », la BCEAO a décidé, en septembre, de relever le capital minimum des banques commerciales de 1 milliard de F CFA à 5 milliards, à compter du 1er janvier 2008, avant de passer à 10 milliards en 2010. « Si cette mesure a été prise pour freiner les ardeurs des banques nigérianes, c’est ridicule. Pour la plupart, elles disposent d’un capital de 100 milliards », explique le même interlocuteur.
Surbancarisée par le nombre d’établissements (116 en 2006), l’UEMOA offre un autre paradoxe. À peine plus de 5 % des populations ont accès aux services et produits bancaires, soit l’une des couvertures les plus faibles du continent. D’où la nécessité de généraliser les moyens de paiement pour parvenir à un taux de bancarisation de 20 %. Cela passe par la généralisation progressive du Système de transfert automatisé et de règlement (Star), pour sécuriser les grosses transactions, et du Système interbancaire de compensation automatisé (Sica) dédié aux moyens de paiement couramment utilisés (virements, chèques, cartes). Dernière priorité, et non des moindres : la lutte contre le blanchiment de l’argent. L’ampleur du phénomène est telle que celui-ci fut au cur des discussions du conseil d’administration de la BCEAO, à Ouagadougou, en novembre dernier. « Ce point est fondamental. Si l’on doute de notre monnaie, les conséquences seront catastrophiques. Il y va de notre crédibilité et de celle de la sous-région », estime Justin Baro. Là aussi, la BCEAO a engagé un programme d’envergure dans le cadre du Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent (Giaba), mais, pour l’heure, les premiers résultats concrets se font attendre.
Quel que soit son profil, le futur gouverneur aura donc du pain sur la planche. Il lui faudra aussi endosser le costume d’un véritable VRP afin de crédibiliser une institution clé dans la stabilité monétaire. « Nous faisons de notre mieux pour accompagner les économies et leur croissance, mais la monnaie ne peut pas tout faire à elle seule. Les États membres doivent également engager des réformes macroéconomiques et budgétaires de fond », conclut Damo Justin Baro. Mais dans l’immédiat, ils doivent surtout permettre à la BCEAO de renouer avec un leadership incontestable.

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