La méthode Zongo

Peu connu du grand public à sa nomination en juin 2007, le Premier ministre occupe le terrain, médiatise ses déplacements, s’exprime sur tous les dossiers. Mais tâche surtout d’imprimer sa marque. Non sans succès.

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Sorti par la petite porte en 2001, Tertius Zongo revient par la grande en 2007. Un peu plus de sept mois après sa nomination au poste de Premier ministre, sa cote de popularité est encore au beau fixe. Dans un Burkina qui, plus que jamais, aspire au changement, le nouveau chef du gouvernement, rappelé le 4 juin de Washington où il était ambassadeur, a fait naître beaucoup d’attente. Le « tchatcheur », comme on le surnommait à l’époque où il occupait le poste de porte-parole du gouvernement de Kadré Désiré Ouédraogo à la fin des années 1990, est revenu sur la scène politique avec un nouveau credo : la lutte contre la corruption, la fin des passe-droits, la promotion au mérite et la culture du résultat. En clair, Zongo est rentré d’Amérique avec la ferme intention de moraliser la gestion des affaires publiques.
Moins d’un mois après sa prise de fonctions, les fraudes qui ont entaché les épreuves du brevet des collèges 2007 lui ont ainsi donné l’occasion d’asseoir d’emblée son autorité. Résultat : l’affaire s’est soldée par une cinquantaine d’interpellations suivies, le 28 juin, de sept condamnations à des peines de prison Dans la foulée, le 4 juillet, Abel Dabakuyo, le directeur général de la Caisse autonome de retraite des fonctionnaires (Carfo), est débarqué sur décision du Conseil des ministres. Sa faute ? Vouloir doter l’institution d’un nouveau siège social sans avoir, au préalable, obtenu l’accord de son conseil d’administration. Dans la même veine, le directeur administratif et financier de l’École nationale d’administration, soupçonné de malversations alors qu’il était au ministère de l’Économie et des Finances, est relevé de ses fonctions. Mi-septembre, enfin, un séminaire de formation réunit, à Ouagadougou, tous les ministres pour une formation aux techniques de management

Un vrai communicant
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre enfonce le clou. « Le temps de la moralisation de la vie publique est venu. L’époque des rentes de situation est révolue. Chacun devra rendre des comptes », lance-t-il devant les députés, le 4 octobre. Et Zongo d’annoncer son intention de renforcer les effectifs de la Cour des comptes et de créer dans les trois ans à venir une structure autonome de suivi des mesures prises en matière de lutte contre la corruption. « Sa volonté de transparence et sa franchise sur la situation économique et sociale du Burkina tranchent avec le discours de ses prédécesseurs », constate un parlementaire visiblement acquis à la cause du nouveau locataire de la primature. D’autres attendent de voir
« Tertius Zongo est un grand communicant. Pour l’instant, il travaille son image », analyse Augustin Loada, professeur de droit public et de sciences politiques à l’université de Ouagadougou. La proximité qu’il essaie d’instaurer avec la population en serait l’illustration. Le chef du gouvernement médiatise ses déplacements dans le pays, où il ne cesse de répéter qu’il est à l’écoute de tous. Évangélique fervent, il n’hésite pas non plus à afficher sa foi sous l’il des caméras. Et à multiplier les prises de position, rompant avec la posture traditionnelle du chef qui veut que celui-ci ne s’exprime qu’en cas d’extrême nécessité. « Le diagnostic [] est d’une telle lucidité que, venant d’un Premier ministre, [] il n’a pas manqué de susciter quelques surprises [chez les députés]. On aurait dit un opposant qui critique l’incurie d’un gouvernement », relevait le quotidien Le Pays, au lendemain de son grand oral. Bien qu’il ait, peu ou prou, effectué le même parcours qu’Ernest Paramanga Yonli, son prédécesseur, tout se passe comme si Zongo cherchait à se démarquer à tout prix de ce dernier, accusé d’être un technocrate distant, moins à l’aise avec les hommes qu’avec les dossiers. Pour beaucoup de ses compatriotes, la « méthode Zongo » est claire : éloigné de Ouaga pendant cinq ans, sans véritable relais politique local, poids plume du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP, au pouvoir), le Premier ministre occupe le terrain pour exister.

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Culture du résultat
À la veille de sa nomination, aucun bookmaker ouagalais n’aurait parié sur lui. Au lendemain de la mise en place de son équipe, le 10 juin, nombreux sont ceux qui ont laissé entendre qu’il n’avait pas eu son mot à dire dans sa composition et qu’il n’était là que pour assurer la poursuite des chantiers ouverts. D’aucuns murmurent même que ses relations avec l’influent ministre d’État chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, Salif Diallo, sont quelque peu tendues. Le chef du gouvernement a en tout cas plusieurs fois critiqué, à mots couverts, le bilan de celui-ci. « Douze ans après, sur 30 000 hectares qui peuvent être aménagés à Bagré, 3 000 seulement l’ont été. Cela pose problème. Avec une agriculture en maîtrise totale de l’eau où l’on peut avoir des rendements importants, les paysans ne sont même pas encore capables de produire la moitié de ce qu’il est possible de faire », a-t-il lâché lors d’une visite dans le centre-est du pays, en août 2007.
Serait-ce pour avoir prise sur certains portefeuilles que le Premier ministre s’appuie, plus qu’à l’accoutumée, sur le Parlement – à commencer par son président, Roch Marc Christian Kaboré ? Seule certitude, nombre de ministres vivent cette situation comme une nouvelle pression « En même temps qu’une réponse au scepticisme qui a entouré sa nomination, la stratégie de Zongo est un moyen de peser », résume Loada. Succédant à Yonli, le chef du gouvernement est, effectivement, arrivé dans un contexte peu propice à l’émergence d’une nouvelle figure dans le marigot politique ouagalais. Avec près de sept années au compteur, son prédécesseur est, à ce jour, le détenteur du record de longévité à la primature sous l’ère Blaise Compaoré. Les premiers pas de Zongo dans sa nouvelle fonction ont, en outre, coïncidé avec la préparation d’un double événement, le 15 octobre, attendu depuis plusieurs mois par le tout-Ouaga : la célébration du vingtième anniversaire de l’arrivée au pouvoir du président d’un côté, la commémoration de l’assassinat de Thomas Sankara de l’autre. Tous les yeux étaient alors rivés sur les deux personnages qui ont construit le Burkina de ces vingt-cinq dernières années
Nommé dans un contexte difficile, Tertius Zongo a, toutefois, réussi à émerger. Reste maintenant à s’inscrire dans la durée. Dans cette perspective, le chef du gouvernement ne doit pas manquer le rendez-vous sur lequel tout le monde l’attend en ce début d’année : l’affaire des malversations à la Direction générale des douanes. Ousmane Guiro, son directeur général, accusé d’avoir octroyé des exonérations de taxes sur l’importation d’hydrocarbures à des sociétés qui ne pouvaient y prétendre, a fait l’objet d’un mandat de dépôt, le 5 décembre. Mais, mystérieusement, l’homme a passé les fêtes de fin d’année en famille, au lieu de se retrouver à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (Maco). Après les effets de manches, le Premier ministre a, pour la première fois, l’occasion de montrer aux Burkinabè que son credo n’est pas un vain mot.

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