Dynastie maudite

La rivalité qui, depuis plus de trente ans, oppose l’armée à la famille Bhutto est jalonnée de meurtres. Après celui de Benazir, sa mère, le 27 décembre, le jeune Bilawal, 19 ans, a repris le flambeau…

Publié le 7 janvier 2008 Lecture : 5 minutes.

Le premier est mort pendu, le deuxième empoisonné, le troisième mitraillé, la quatrième assassinée Ce n’est pas une comptine anglaise, mais la légende noire d’une dynastie pakistanaise qui, comme celle des Gandhi en Inde, paie un lourd tribut à ses ambitions politiques dans un pays encore largement féodal, travaillé par l’intégrisme islamiste, déchiré par les disparités ethniques et sociales, mais aussi détenteur de l’arme nucléaire.
Depuis des décennies, deux mains de fer se disputent le pouvoir : l’armée, qui a le coup d’État facile, et la famille Bhutto, dont le gant de velours de la belle Benazir, dernière martyre en date, faisait oublier qu’elle était plus souvent démocrate en paroles qu’en actes.
L’ancienne Première ministre à peine tombée au champ d’honneur lors d’un meeting électoral, le 27 décembre, son fils Bilawal Zardari, 19 ans, étudiant en histoire à Oxford, a pris la relève. Fondé par son grand-père, le Parti du peuple pakistanais (PPP) reste aux mains de la famille.
Principale formation d’opposition au président Pervez Musharraf, le PPP compte profiter de l’émotion suscitée par l’assassinat de Benazir pour la « venger de manière démocratique » lors des législatives, reportées au 18 février. Dans un pays de 160 millions d’habitants (dont 50 % d’illettrés) sans véritable tradition démocratique, les symboles (le nom, le chef, le fief) comptent en effet davantage que le programme politique.
« La poussière et la boue de Larkana sont dans tes os. Et c’est là que tu seras enterrée », rappelait Zulficar Ali Bhutto à sa fille Benazir, tout en lui montrant le chemin du pouvoir. Aujourd’hui, tous deux reposent dans le mausolée familial, dans le Sind, au sud du pays, là où commence l’histoire des Bhutto.

Morgue aristocratique
L’ancêtre, Shah Nawaz Khan, s’illustre dans les années 1930 en tentant de soustraire cette province à la tutelle de Bombay. Mais ce grand propriétaire foncier anobli par la reine d’Angleterre a fait une mésalliance. Son fils, Zulficar Ali, né en 1928, restera marqué par cette double origine et alliera à la morgue aristocratique des idées socialisantes.
En 1958, le général-président Ayoub Khan propose au jeune avocat, diplômé d’Oxford et de Berkeley, le ministère du Commerce. C’est le début d’une ascension politique qui culmine avec le portefeuille des Affaires étrangères. En 1966, il rompt avec les militaires, fonde le PPP et, quatre ans plus tard, remporte les législatives. En 1971, la défaite du Pakistan face à l’Inde, qui soutient le Bangladesh sécessionniste, déclenche l’ire populaire et contraint les militaires à céder le pouvoir. Devenu président (1971-1973), puis Premier ministre après l’adoption d’une Constitution, Ali Bhutto use de son charisme et de ses talents d’orateur pour tenter d’atténuer le traumatisme. La recette sera reprise, plus tard, par sa fille : démocratie, réformes sociales, relations équilibrées avec les États-Unis et l’URSS, conciliation avec la Chine, réconciliation avec l’Inde, solidarité avec le monde musulman
Sur le plan intérieur, les nationalisations sont vite délaissées et la réforme foncière reste limitée. Membre de la classe possédante, Bhutto ne peut se permettre de s’aliéner ses soutiens claniques. Il devient de plus en plus autoritaire. Opposition muselée, élections truquées, émeutes, corruption, débâcle économique En 1977, le pays est au bord de la guerre civile. L’armée intervient. Le général Zia Ul Haq, que Bhutto vient de nommer à sa tête, se retourne contre lui. Une obscure affaire d’assassinat politique sert de prétexte. À l’issue d’un procès monté de toutes pièces, Bhutto est condamné à mort et pendu dans la prison de Rawalpindi, le 4 avril 1979.
Il laisse le PPP aux mains de sa veuve, la bégum Nusrat, une maîtresse femme d’origine iranienne. Mais c’est à leur fille aînée, Benazir, née en 1953, que l’ex-Premier ministre a légué son héritage politique.
Depuis l’enfance, « Pinkie » – ainsi surnommée en raison de son goût pour la couleur rose – marche sur les traces de son père adoré. Il lui fait rencontrer Indira Gandhi et Zhou Enlai, l’envoie étudier à Oxford. La jeune femme se sent investie d’une mission : venger son géniteur. Placée en résidence surveillée avec sa mère, Benazir apprend la patience et le pragmatisme. Alors que ses frères, qui ont choisi l’exil, s’égarent dans des actions aussi violentes que stériles (détournement d’un avion, en 1981), elle s’impose à la tête du PPP et organise la résistance depuis Londres, où elle a trouvé refuge.
En 1985, elle perd son frère, Shah Nawaz, empoisonné dans sa villa de la Côte d’Azur, meurtre dont sa ravissante épouse afghane est soupçonnée d’être complice. Un an plus tard, Benazir rentre triomphalement au pays. En 1988, Zia Ul Haq meurt dans un mystérieux accident d’avion : elle devient la première femme élue à la tête d’un pays musulman. Démise de ses fonctions en 1990, elle redevient Première ministre après sa victoire électorale de 1993.
Le sort frappe alors son second frère, Murtaza, qui se pose en rival et dirige une faction dissidente du PPP. Il est abattu en 1996 par des policiers. Sa veuve accuse Benazir d’avoir créé un climat favorable à ce drame. La haine déchire la famille. Comme en 1990, les soupçons de corruption alimentés par l’exécrable réputation de son mari minent le pouvoir de « l’héritière ».
Car Benazir avait, en bonne politique, opté pour un mariage arrangé. Mais Asif Ali Zardari la trompe et mène grand train, ce qui lui vaudra le surnom de « Monsieur 10 % », huit ans de prison et l’hostilité de la population. En 1996, le président démet une nouvelle fois Benazir de ses fonctions, pour corruption. C’est de Dubaï, où elle vivait depuis en exil, qu’elle était revenue, en octobre dernier, afin de disputer les élections législatives. Elle avait été préalablement blanchie de toute accusation par Musharraf, qui, devenu très impopulaire, avait accepté, sous la pression des Américains, de composer avec son adversaire.
C’est désormais au tour de Bilawal Zardari de reprendre le flambeau. Mais bien que placé sous la houlette de son très sulfureux père, le jeune homme accole désormais à son patronyme celui de feu sa mère : Bhutto. Pour que vive la légende

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